Je me souviens que quand j'étais encore à Rome, il y a environ cinq ans, je lisais à sainte Blesille le livre de l'Ecclésiaste, pour la porter au mépris du monde en lui faisant connaître la fragilité et la vanité des créatures, qui portent tant de marques du néant d'où elles ont été tirées.

Ce fut dans le même temps qu'elle me pria de lui faire une espèce de petit commentaire sur les endroits obscurs de ce livre, afin qu'en mon absence et sans mon secours elle pût entendre toute seule ce qu'elle lisait. Mais comme une mort précipitée l'enleva tout d'un coup de ce monde lorsque j'étais sur le point de dicter mon commentaire, je fus alors percé d'une si vive douleur sur une si grande perte , qu'il m'eût été impossible de rien dire, n'étant occupé qu'à penser en moi-même que nous n'étions pas dignes, ô Paula et Eustochia, de jouir plus longtemps de la compagnie d'une personne d'un si rare mérite. Maintenant donc que j'ai établi ma demeure dans Bethléem, ville infiniment plus auguste que celle de Rome /(1), je rends à la mémoire de Blesille ce que je lui dois, et je vous accorde à vous-mêmes ce que je ne saurais vous refuser. liais je crois qu'il faut vous avertir en passant que dans ce commentaire je n'ai pas prétendu m'assujettir à l’autorité d'aucun interprète en particulier. Il est vrai néanmoins que je me suis plus approché de la version des Septante que d'aucune autre, dans les endroits où leur traduction n'était pas trop éloignée du texte hébreu que je traduisais. J'ai l'ait aussi quelquefois mention des autres traducteurs grecs, je veux dire d'Aquila, de Symmaque, etc., afin d'éviter par là le reproche d'une trop grande nouveauté, qui aurait pu faire de la peine à mes lecteurs ; et ceci pourtant sans préjudice des intérêts de ma conscience, qui ne me permettait pas d'abandonner la source de la vérité pour suivre des opinions particulières et les sentiments des hommes.

 

CHAPITRE PREMIER.

Néant des travaux de l'homme et de ses connaissances.

 

V. 1. « Les paroles de l'Ecclésiaste, fils de David et roi de Jérusalem. » L'Ecriture nous apprend en termes exprès que Salomon, fils de David, a eu trois noms différents : on l'a d'abord nommé Salomon, c'est-à-dire : pacifique; il est aussi appelé Ididia, ce qui signifie : le bien-aimé du Seigneur ; enfin il prend lui-même à la tête de ce livre la qualité et le nom de Coëleth, qui veut dire : prédicateur, parce qu'il y parle à tous les hommes en général, pour les détromper de la vanité de toutes les choses visibles. On lui donna les noms de « pacifique, » et de« bien-aimé du Seigneur, » à cause que de son temps le peuple d'Israël jouit d'une profonde paix, et que Dieu donna à ce roi des marques très particulières de bonté et de prédilection. Nous trouvons aussi les noms de « bien-aimé»et de « pacifique » dans les titres du psaume quarante-quatrième et du psaume soixante-onzième; car bien que ces psaumes soient une prophétie qui regarde Jésus-Christ (142) et son Eglise, et que ce que le Saint-Esprit y dit surpasse infiniment la félicité et la puissance du roi Salomon, il est pourtant vrai que le fond de l'histoire de ces deux cantiques regarde la personne de ce prince, qui était la figure de notre « roi de paix. »

Il est remarquable que Salomon a écrit autant de livres qu'il a eu de noms différents, savoir : le livre des Proverbes, le livre de l'Ecclésiaste et le Cantique des cantiques. Dans les Proverbes il enseigne les commençants, et il leur montre comme à de petits enfants les devoirs de la piété, en les instruisant par des sentences et des maximes abrégées. C'est pourquoi il use souvent de ces termes : « Mon fils, écoutez, etc. » Dans l’Ecclésiaste il a dessein d'instruire des Hommes qui ont acquis la maturité de l'âge, et qui sont capables de comprendre qu'il n'est rien dans le monde de longue durée, que tout passe et s'évanouit en peu de jours. Enfin dans le livre des Cantiques il fait parler les hommes consommés dans la vertu, qui par un parfait mépris du siècle se sont préparés à l'union et aux embrassements de l'époux céleste; car si nous ne commençons par quitter les vices, et si nous ne renonçons aux pompes du siècle pour nous disposer à l'avènement et aux visites de Jésus-Christ, nous ne serons point dignes de lui dire : « Qu'il me donne un baiser de sa bouche. » C'est à peu près l'ordre et la méthode que les philosophes gardent dans les choses qu'ils apprennent à leurs disciples : ils leur enseignent d'abord la morale ; ensuite ils les font passer à la connaissance des choses naturelles et de la physique ; et quand ils nient que leurs sectateurs ont fait du progrès dans ces sciences, ils leur apprennent la logique et l'art de raisonner.

Ce qu'on doit encore remarquer plus soigneusement est que les titres sont tous différents dans les trois ouvrages de Salomon. Nous lisons donc ce titre suivant à la tète des Proverbes: Les paraboles de Salomon, fils de David et roi d'Israël, au lieu que nous lisons ainsi dans le livre de l'Ecclésiaste : Les paroles de l'Ecclésiaste, fis de David et roi de Jérusalem. Mais dans le titre des Cantiques nous ne trouvons ni « fils de David, » ni « roi d'Israël », ou de « Jérusalem ; » on y voit simplement ces paroles : Cantique des cantiques de Salomon. Cette diversité de titres ne laisse pas d'avoir des rapports tout mystérieux avec les ouvrages mêmes; car les maximes des Proverbes regardent le commun et les douze tribus d'Israël , qui sont comme des enfants sans aucune connaissance, et qui ne sont capables que des premières instructions de la piété et de la crainte du Seigneur. Il n'en est pas de même du livre de l'Ecclésiaste, destiné à nous inspirer le mépris du monde : les exhortations que l'auteur y l'ait conviennent particulièrement aux habitants de Jérusalem, la ville capitale du royaume d'Israël, où était comme le centre de l'ambition et des pompes du siècle. Quant au livre du Cantique clos cantiques, il est propre à ceux qui ne désirent que les choses du ciel et qui ne soupirent qu'après la céleste patrie. Entre ces trois ordres et ces trois états, ceux qui commencent dans la piété ont besoin de l'autorité ou de la dignité paternelle pour les soutenir dans les voies de la justice; ceux qui ont déjà fait quelques progrès clans la vertu s'animent de plus en plus sous la puissance d'un roi qui les gouverne dans l'équité; mais pour les parfaits et ceux qui reconduisent par amour et non par la crainte, il est inutile de leur mettre devant les veux les noms de pire et de roi, qui pourraient leur imprimer du respect et de la crainte: le seul nom propre de Salomon suffit pour les attacher à leurs devoirs. Aussi, parmi les parfaits, l'amour réduit tout à l'égalité et à l'unité; le maître et le disciple sont une même chose, et les rais y oublient leur grandeur et leur majesté : Aequalis magister est, et nescit esse se regem. En voilà assez pour le sens littéral.

Pour ce qui est du sens spirituel , il est facile de trouver en Jésus-Christ les noms de « pacifique » , de « bien-aimé » et de « prédicateur , » puisque c'est lui-même qui a détruit le mur de séparation , qui a éteint dans son sang nos inimitiés anciennes, pour de deux peuples n'en faire qu'un seul ; et qui nous dit à tous : « Je vous donne ma paix, je vouslaisse ma paix. » C'est aussi en parlant à ses disciples que le Père éternel le nomme son fils bien-aimé : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon affection. Ecoutez-le. », Les aveugles, dans l’Evangile, ont reconnu qu'il était le vrai fils de David ; ils ont crié à haute voix : « Fils de David, avez pitié de nous ; » ce qu'une grande multitude de (143) peuple confessa enfin en criant tous ensemble « Hosanna au fils de David! » Quant à la qualité «d'ecclésiaste » ou de « prédicateur, » elle lui appartient par préférence à tous les prophètes, parce qu'il est le Verbe et la sagesse de Dieu le Père, et qu'après avoir formé des apôtres et des prédicateurs, il les a envoyés porter son Evangile jusqu'aux extrémités de la terre. C'est donc sans fondement que certains libertins s'imaginent que le livre de l'Ecclésiaste nous porte à la volupté et aux plaisirs des sens, lui qui nous apprend au contraire que tout ce qu'on voit dans le monde n'a point de solidité ni de consistance, et que nous ne devons point rechercher passionnément des biens qui périssent entre nos mains au moment que nous croyons les posséder : Nec debere nos ea stuidiose appetere, quae dum tenentur intereant.

V. 2. « Vanité des vanités, » dit l'Ecclésiaste, « vanité des vanités, tout n'est que vanité. » Si toutes les choses que Dieu a faites en créant le monde étaient bonnes et parfaites à ses yeux, selon le témoignage de l'Écriture dans la Genèse, comment l'Ecclésiaste a-t-il pu dire que tout n'est que vanité , et non-seulement que ce n'est que vanité, mais que c'est «la vanité des vanités? » car cette expression marque a grandeur de la vanité et le pur néant de toutes les créatures , de même que le nom de « Cantique des cantiques, » marque le plus parfait et le plus excellent de tous les cantiques et des pièces de poésie. Nous trouvons dans le psaume trente-huitième une manière de parler toute semblable : « En vérité, tout ce qu'il y a d'hommes qui vivent sur la terre ne sont que vanité ; » mais si les hommes qui jouissent de la vie sont regardés comme très peu de chose , et comme une vanité , nous pouvons dire que ceux qui sont dans le tombeau parmi les morts sont « la vanité des vanités, » c'est-à-dire : la plus grande de toutes les vanités.

Pour développer le sens de ces passages de l’Ecriture, qui ne paraissent pas être tout-à-fait d'accord, il faut se souvenir de ce que nous lisons dans le livre de l'Exode, où il est parlé de l'éclat du visage de Moïse , dont les rayons blessaient les yeux des Israélites, qui n'osaient envisager leur saint législateur qu'après qu'il avait couvert d'un voile son visage; mais quelque grand qu'ait été l'éclat du visage de Moïse, l'apôtre saint Paul ose nous assurer que ce n'était rien en comparaison de la gloire des ministres de la nouvelle alliance. « On peut même dire (ce sont les paroles de l'Apôtre, II, Cor. 3, 10) que la loi n'a point été établie avec éclat et majesté, si on la compare avec la majesté divine de l'Évangile. » Nous pouvons donc raisonner de la même manière en expliquant les paroles de l'Ecclésiaste, et dire que le ciel, la terre, lamer et toutes les créatures de l'univers ne sont que vanité, si l'on veut les comparer à l'être souverain de Dieu et à la bonté infinie du Créateur, quoique d'ailleurs les créatures soient bonnes et parfaites en elles-mêmes, étant les ouvrages de Dieu qui ne peut rien faire qui ne soit hou et parfait en son genre; ce que nous allons encore mieux comprendre par la comparaison de la lumière d'une lampe avec l'éclat des rayons du soleil. Il nous arrive souvent d'admirer la beauté d'une lampe qui fait briller sa lumière au milieu des ténèbres; mais cette lumière disparaît entièrement et devient inutile sitôt que le soleil fait éclater ses rayons sur la terre. Les étoiles même, qui sont si brillantes pendant la nuit , perdent tout leur éclat et semblent n'être plus dès que le soleil a commencé à les obscurcir par sa lumière. La même chose m'arrive aussi quand je m'arrête à considérer la beauté et la diversité infinie des créatures : j'admire les éléments et tous ces grands corps de la nature, mais, faisant réflexion sur leur peu de durée et les voyant se précipiter vers leur fin, sachant d'ailleurs qu'il n'y a que Dieu seul qui soit toujours ce qu'il a été de toute éternité , je ne nuis m'empêcher de dire une et deux fois : « Vanité des vanités, tout n'est que vanité. » Les mots hébreux abal abalim, qui sont dans ce verset et qui signifient : vanité des vanités, ont été traduits par les Grecs atmos atmidon ; ce que nous pouvons appeler justement : une légère vapeur, un peu de fumée, un souffle de vent, à cause que toutes ces choses se dissipent et passent en un moment. Ces expressions nous font donc connaître la fragilité, l'inconstance et le néant de toutes les créatures ; car tout ce que nous voyons doit passer en peu de temps, et il n'y a que les choses invisibles qui soient éternelles.

Donnons encore un autre sens à cette explication, et disons que toutes les choses de ce monde ne sont que vanité, qu'elles passent comme une ombre et comme un souffle de vent, parce que les créatures sont toutes assujetties à une inconstance extrême et involontaire, et qu'elles la souffrent à cause de celui qui les y a assujetties en leur faisant espérer qu'elles seront enfin délivrées de cette servitude et de cette corruption , pour participer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu; carrions savons que jusqu'à présent toutes les créatures soupirent et sont comme dans le travail de l'enfantement. Ajoutons à tout cela que nous ne connaissons les choses dans ce monde que très imparfaitement, que nos lumières sont presque des ténèbres. Or il est certain que tout n'est que vanité pendant que nous vivons ainsi au milieu de toutes sortes de défauts et d'imperfections, et que nous attendons pour arriver à un état de consistance et de perfection. Tamdiù omnia vana sunt, donec veniat quod perfectum est.

V. 3. « Que retire l'homme de tout le travail dont il est occupé sous le soleil? » Après que l'Ecclésiaste a dit en général que tout n'est que vanité, il vient à un détail particulier des vanités et des misères de ce monde. Il commence par les hommes , dont il montre la vanité et l'inutilité des travaux : les uns s'accablent de peines et de soins pour amasser des richesses; les autres s'étudient à donner une noble éducation à leurs enfants; quelques-uns sont insatiables d'honneur et de gloire , et quelques autres enfin ne sauraient vivre que pour faire de nouveaux bâtiments; mais au milieu de toutes ces occupations, ils se voient souvent enlevés de ce monde par une mort subite , et ils apprennent par une fatale expérience que ces paroles de l'Evangile sont écrites pour leur condamnation : « Insensé que vous êtes ! cette nuit même on va vous ravir la vie; et à qui laisserez-vous ces biens que vous avez amassés ? » Il est d'autant plus vrai que tous les travaux des hommes sont inutiles pour eux-mêmes qu'il est certain qu'ils n'emportent rien de ce monde, et qu'ils retournent en terre aussi nus qu'ils en étaient sortis.

V. 4. « Une race passe , et une autre lui succède ; mais la terre demeure ferme dans sa durée. » Depuis le commencement du monde les hommes sont dans une perpétuelle révolution : la mort des uns nous prive de la compagnie de ceux que nous avions coutume de voir, et la naissance de beaucoup d’autres nous met avec des personnes qui n'avaient pas encore paru sur la terre. Mais y eut-il jamais de vanité et de misère plus réelle que celle-ci? l'homme couronné d'honneur et de gloire, comme le maître et le roi de la terre, passe comme une ombre et est bientôt réduit en poudre, pendant que la terre, qui n'était faite que pour l'homme, demeure toujours stable et ne connaît point de changement dans sa durée. Quid hâc vaniùs vanitate.

V. 5.« Le soleil se lève et se couche, et retourne au point d'où il était parti, et il reprend son cours dans le même endroit. » Le soleil, que Dieu a donné aux hommes pour éclairer leurs pas, les avertit lui-même chaque jour par son lever et par son coucher que le monde passe et qu'il tend vers sa fin; car dès que ce bel astre a plongé son chariot de feu dans l'Océan, il court par des routes qui nous sont inconnues pour se rendre au lieu d'où il était sorti, et il n'a pas plus tôt achevé le tour qu'il fait pendant la nuit qu'on le voit se presser de sortir du côté d'Orient , comme s'il sortait de son lit nuptial. Tous ces mouvements réguliers et toutes ces vicissitudes journalières nous prêchent continuellement que nous ne faisons que passer, et que notre vie s'écoule sans que nous nous en apercevions.

Selon le sens purement spirituel, nous pouvons regarder dans ces paroles de l'Ecclésiaste le soleil de justice, dont les rayons portent en tous lieux la santé. C'est lui qui s'élève ton jours aux yeux des justes , mais qui se couche en plein midi pour les hypocrites et les faux prophètes. Dès qu'il parait sur notre horizon il nous attire vers son propre lieu, il nous élève vers son père; car il n'est descendu sur la terre que pour nous faire monter au ciel avec lui. C'est pour cela qu'il dit : « Lorsque le Fils d l'homme sera élevé, il attirera toutes choses àlui; » et il n'est pas surprenant que le fils de Dieu attire vers lui ceux qui croient en son nom , puisque le Père éternel lui-même attire tout vers son fils; ce que Jésus-Christ confirme par ces paroles : « Personne ne vient à moi si mon père, qui m'a envoyé, ne l'attire lui-même. » Ce soleil donc, qui se lève pour les uns et qui s couche pour les autres, est le même qui parut se coucher au patriarche Jacob quand il quitta la Terre-Sainte, mais qui se leva à ses yeux de nouveau quand il revint de Syrie et qu'il rentra dans la terre de promesse d'où il était sorti. Lot vit aussi le soleil se lever sur Segor après qu'il eut obéi au commandement de Dieu, qu'il eut quitté Sodome, et qu'il se fui transporté sur la montagne, pour demeures dans la ville que le Seigneur lui avait marquée; afin de s'y réfugier.

V. 6. « II prend son cours vers le midi, au tourne vers le nord : l'esprit tournoie de toute: parts; et il revient sur lui-même par de longs circuits, » Par cet endroit nous pouvons aisément juger que le soleil fait sa course du côté du midi pendant l'hiver, mais qu'il est plus proche du septentrion durant l'été. On peut aussi en conclure que l'année commence, non pendant l'équinoxe d'automne , mais pendant l'équinoxe du printemps. lorsque toute la nature devient féconde à la faveur des zéphyrs qui soufflent en cette saison. Pour ce qui est des dernières paroles du verset : « L'esprit tournoie de toutes parts, et il revient sur lui-même par de longs circuits, », nous pourrions presque nous persuader qu'il parle encore du soleil, qu'il nomme ici « esprit, » à cause qu'il donne la vie, qu'il fait respirer et qu'il communique des forces à toute la nature, comme s'il était rame du monde et comme s'il donnait le mouvement à ce grand corps et à toutes ses parties, sans manquer à la plus petite.

Remarquez une semblable conduite dans le soleil de justice, qui semble être plus proche de nous dans un temps d'hiver, c'est-à-dire lorsque nous sommes les plus affligés et les plus persécutés sur la terre , au lieu qu'il se tient loin si nous habitons du côté du septentrion, privés du feu de la charité comme de la chaleur du midi. Mais quand ce soleil de justice aura élevé toutes choses vers lui-même, et qu'il aura éclairé tous les hommes par sa lumière , alors se fera le dernier et le principal rétablissement de toutes les créatures , parce que Dieu sera tout en tous : Erit Deus omnia in omnibus.

V. 7. « Tous les torrents entrent dans la mer, et la mer n'en regorge point. Les torrents retournent au même lieu d'où ils étaient sortis, pour couler à leur ordinaire. » Il y en a qui pensent que les eaux douces des fleuves et des ruisseaux qui vont se rendre dans la mer sont absorbées d'en haut par les ardeurs du soleil , ou qu'elles servent à alimenter la liqueur salée de la mer même. Mais notre divin Ecclésiaste, le créateur des mêmes eaux, nous assure qu'elles retournent vers leurs sources par des veines et de secrets conduits qui nous sont inconnus, et qu'elles vont bouillonner dans leurs sources après être sorties, comme de leur matrice, du profond abîme de la mer. Il me parait que les Hébreux expliquent ce passage d'une manière bien plus noble. Ils disent donc que ces paroles doivent se prendre dans un sens métaphorique ; que les torrents sont les hommes eux-mêmes qui meurent tous les jours, et qui retournent dans le sein de la terre d'où ils étaient sortis; que ce ne sont point des fleuves, mais des torrents, à cause de la précipitation avec laquelle ils passent sur la terre et rentrent dans le lieu de leur origine, sans que la terre s'en trouve trop remplie, quelque grande que soit la multitude des corps qu'on met à tout moment dans le tombeau ; qu'enfin cette mer est insatiable comme les filles de la sangsue des Proverbes de Salomon, qui disent toujours: « Apporte, apporte, » et qui ne disent jamais : « C'est assez. »

V. 8. « Toutes les choses du monde sont difficiles ; l'homme ne saurait les expliquer par ses paroles. L'oeil ne se rassasie point devoir, et l'oreille ne se rassasie point de ce qu'elle entend. » Il est également difficile de pénétrer les secrets de la nature, d'avoir la connaissance de la physique, et de savoir exactement toutes les règles des moeurs. Nous ne pouvons par tous nos discours expliquer à fond ou rendre raison de la nature de chaque chose. Les yeux de notre esprit n'ont pas assez de vivacité pour nous découvrir toutes les beautés du sujet que nous méditons , et notre docilité ne saurait suivre les pensées d'un habile maître qui voudrait nous remplir de ses connaissances. Car si nous ne voyons en cette vie les choses que comme enveloppées d'énigmes et d'obscurités, si toutes nos connaissances sont imparfaites, aussi bien que nos prophéties, il suit nécessairement de cette imperfection que nous ne pouvons point expliquer ce que nous ne connaissons pas , que nos yeux sont trop faibles pour percer dans les ténèbres, et que nos oreilles ne peuvent se remplir de l'incertitude des choses que nous entendons. Il faut encore remarquer que toutes sortes de sciences sont très difficiles, et qu'on ne les acquiert qu'avec beaucoup de peine et de travail , ce qui condamne l'oisiveté, et la négligence de ceux qui s’imaginent qu'il (146) suffit de désirer d'être savant dans les saintes Ecritures pour en avoir une parfaite connaissance: Contra eos qui putant otiosis sibi, et vota facientibus venire notitiam Scripturarum.

V. 9. « Qu'est-ce qui a été autrefois? C'est ce qui doit être à l'avenir. Qu'est-ce qui s'est l'ait? C'est ce qui se doit faire encore, et rien n'est nouveau sous le soleil. » Il parle en général, ce me semble, de toutes les choses dont il a déjà fait le dénombrement ; je veux dire : de la succession continuelle des hommes de siècle en siècle , de la pesante masse de ta terre , du lever et du coucher du soleil, du cours des fleuves qui se jettent dans la mer , de la vaste étendue de l'Océan , en un mot, de tout ce qui tombe sous nos sens et que nous sommes capables de nous représenter par nos pensées. Il nous assure donc qu'on ne voit rien dans la nature qui n'ait déjà paru dans les siècles passés. En effet, les hommes, depuis le commencement du monde, ont coutume de naître et de mourir les uns après les autres. La terre aussi demeure toujours suspendue sur les eaux, et l'on voit régulièrement tous les jours que le soleil se couche le soir après s'être levé le matin. Et pour ne pas m'étendre davantage, je me contente de dire que Dieu, ce grand ouvrier de la nature, a donné aux oiseaux la faculté de voler, aux poissons celle de nager, aux animaux terrestres celle de marcher, et aux serpents la facilité de se glisser sur l'herbe. Un poète comique s'est assez approché des sentiments de l'Ecclésiaste lorsqu'il s'est expliqué de la sorte : « On ne dit rien de notre temps qui n'ait été dit avant nous ; » ce qui fit dire à Donat, mon précepteur grammairien, qui nous expliquait un jour ce vers de Térence : « Malheur à ceux qui se sont servis avant nous de nos propres expressions! » Mais s'il est vrai que les hommes ne peuvent rien prononcer qui soit nouveau et qui n'ait déjà été dit dans les siècles passés , avec combien plus de raison doit-on reconnaître qu'il n'arrive rien de nouveau dans la nature et dans la disposition du monde, dont le gouvernement a été si sage et si parfait dès son origine que Dieu se reposa le septième jour, après qu'il eut créé toutes choses et donné le mouvement à tous les êtres !

J'ai lu dans un certain livre ce raisonnement « Si tout ce qui a été fait sous le soleil existait dans les siècles passés avant que de paraître dans le monde , et si d'ailleurs l'homme n'a été fait qu'après la création du soleil, on doit inférer de ce principe que l'homme était déjà avant que de naître sous le soleil. » Mais on peut aisément se défaire de cette difficulté en disant qu'il s'ensuivrait de ce raisonnement que les bêtes et les moucherons, les plus petits et les plus grands animaux, ont aussi existé avant la création du ciel , à moins qu'on ne prétende montrer par la suite du discours que l'Ecclésiaste n'a parlé que des hommes seuls, et non pas de tous les autres animaux ; car l’Ecriture dit expressément : « Il n'est rien de nouveau sous le soleil, qui parle et qui puisse dire: Voilà une chose nouvelle. » Or, entre tous les animaux, l'homme est le seul qui ait l'usage de la parole. Que si l'on veut soutenir que les autres animaux parlent aussi, ce sera pour nous une grande nouveauté qui détruira la proposition de l'Ecclésiaste, qui nous assure « qu'il n'y a rien de nouveau sous le ciel. »

V. 10. « Est-il quelque chose de laquelle on puisse dire : Voyez, c'est une nouveauté? Tout cela a déjà paru dans les siècles qui nous ont précédés.» Symmaque a traduit cet endroit avec plus de clarté lorsqu'il a dit : « Croyez-vous qu'il y ait quelqu’un qui puisse dire : Regardez, voilà une chose nouvelle? Mais texte nouveauté a déjà paru dans le siècle passé. » Ceci s'accorde parfaitement avec ce qui est dit dans le verset précédent, où l'Ecclésiaste assure qu'il n'arrive rien de nouveau dans le monde, qu'il n'y a point d'homme existant aujourd'hui qui puisse nous dire : Voyez, ce que je vous montre est une chose nouvelle, puisque tout ce qu'il saurait nous montrer a déjà paru dans les siècles passés. Qu'on ne croie point cependant que les miracles, les prodiges et beaucoup d'autres choses nouvelles et extraordinaires, qui arrivent tous les jours par la volonté de Dieu, aient déjà été dans les siècles passés. Ce sentiment nous ferait tomber dans les erreurs d'Epicure, qui a prétendu établir de continuelles révolutions périodiques, après lesquelles on voyait les mêmes choses dans le monde, faites dans les mêmes lieux et par les mêmes personnes. Si cela avait lieu, nous serions obligés de dire que Judas a trahi plusieurs fois le Sauveur du monde , et que Jésus-Christ est mort fort souvent pour nous. Il faut donc dire, pour ne pas suivre ces erreurs grossières des épieu

riens, que les choses futures ont déjà été dans les siècles passés, à cause qu'elles étaient dans la prescience et dans la prédestination de Dieu; car ceux que Dieu a choisis; et prédestinés en Jésus-Christ avant la création du monde ont été en lui dans les siècles passés : Qui enim electi sunt in Christo ante constitutionem mundi, in prioribus saeculis jam fuerunt.

V. 11. « On ne se souvient plus de ce qui a précédé ; les choses aussi qui arriveront après nous seront oubliées de ceux qui viendront dans les derniers jours, » De même que les choses passées , dont nous n'avons point de connaissance, sont ensevelies dans un éternel oubli , de même nous arrivera-t-il que toutes les choses que nous faisons aujourd'hui, ou que d'autres feront après nous, seront oubliées pour toujours parmi ceux qui viendront à la fin des siècles. On n'en parlera pas plus que des choses qui n'ont jamais existé. Et alors s'accomplira cette belle sentence de l'Ecclésiaste.

« Vanité des vanités, tout n'est que vanité. » C'est pourquoi les séraphins, dans Isaïe, se couvrent de leurs ailes le visage et les pieds , pour nous faire connaître que tout nous est caché dans le passé et dans l'avenir; selon la version des Septante : « On ne se souvient plus de ce qui a précédé, etc. » Il n'est pas difficile de prendre ce verset dans le sens de l'Evangile, où il est dit que « les premiers seront les derniers, et que les derniers seront les premiers; » car bien que ceux qui ont tenu dans ce monde les premiers rangs deviennent un jour les derniers de tous, néanmoins Dieu est si plein de bonté et de douceur qu'il n'oubliera pas même les moindres de ses serviteurs. Il est vrai qu'il ne leur donnera pas la même récompense et la même couronne de gloire qu'il doit donner à ceux qui se sont tenus dans l'abaissement, et qui par humilité ont toujours voulu être les plus petits et les derniers de tous. On dit aussi dans la suite de ce livre que « la mémoire de l'insensé ne sera point éternelle comme la mémoire du sage. »

V. 12. « Moi l'Ecclésiaste, j'ai été roi d'Israël dans Jérusalem. » Ce que l'Ecclésiaste a dit jusqu'à cet endroit doit être regardé comme l'exorde d'un prédicateur qui a parlé en général de tout le monde. Maintenant il revient à lui-même, pour nous apprendre qui il a été, et de quelle manière il a acquis, par sa propre expérience, la connaissance de toutes choses. LesHébreux disent que Salomon composa ce livre comme le monument de sa pénitence, où il confesse que, pour s'être trop confié en sa propre sagesse et en ses richesses, il avait bien offensé Dieu en s'abandonnant à l'amour des femmes.

V. 13. « Je résolus en moi-même de rechercher et d'examiner avec sagesse ce qui se passe sous le soleil. Dieu a donné aux enfants des hommes cette fâcheuse occupation qui les exerce pendant leur vie. » Le texte hébreu et les versions grecques de ce verset conservent des termes qui marquent une application violente et connue une espèce d'extension, distentionem qui met l'esprit de l'homme à la gêne et à la torture. Mais de quelque manière qu'on explique le texte original, on doit tout rapporter à ce qui a été dit auparavant. L'Ecclésiaste donc s'appliqua avant toutes choses, et sur toutes choses, à la recherche de la sagesse ; mais il poussa trop loin ses recherches, voulant comprendre par lui-même ce qu'il ne lui était pas permis de savoir. Il osa examiner pourquoi l'on voyait quelquefois de petits enfants possédés du démon, pourquoi des hommes justes périssaient souvent dans le même naufrage qui engloutissait les impies. Il voulait savoir si ces choses et d'autres semblables se faisaient par le hasard ou si elles arrivaient par un jugement de Dieu. Que si tout cela arrivait par hasard, où serait la Providence? Mais si Dieu s'en mêlait., que deviendrait sa justice? Faisant donc mes efforts, dit l'Ecclésiaste, pour découvrir la raison de toutes ces choses,j'ai reconnu que tant de curiosité et d'application, tant de soins et de peines que les hommes se donnent, et qui les tourmentent en mille manières différentes, étaient ordonnées dans la conduite de Dieu , afin que les hommes sentissent qu'ils veulent approfondir des choses qu'il ne leur est pas permis de connaître: Ut scire cupiant quod scire non licitum est.

Remarquer encore la liaison admirable de l'Ecriture, qui nous fait connaître la cause et la raison des châtiments de Dieu avant de nous parler de ces mêmes châtiments et de nos peines. L'apôtre saint Paul garde ce bel ordre dans son épître aux Romains lorsqu'il dit :

« C'est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leur cœur, aux vices de l’impureté; c'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions honteuses ; C'est pourquoi Dieu les a livrés à un sens réprouvé, en sorte qu'ils ont fait toutes sortes d'actions indignes de l'homme; , et dans la seconde aux Thessaloniciens : « C'est pourquoi Dieu les laissera tomber dans l'erreur, en sorte qu'ils croiront au mensonge. » Dans tous ces endroits l'Apôtre nous fait connaître la raison des châtiments terribles de la justice de Dieu, en nous parlant d'abord des crimes énormes des hommes, qui en étaient le sujet. De même ecclésiaste nous découvre dans ce passage la source des gênes et des tortures que les hommes se donnent inutilement dans ce monde, en nous apprenant qu'ils ont fait volontairement tout ce qu'il fallait pour leur attirer toutes ces peines : Quia prius sponte sua et propria voluntate haec vel illa fecerunt .

V. 14« J'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil, et j'ai trouvé que tout n'est que vanité et présomption d'esprit. » Nous sommes obligés, pour bien expliquer l'Écriture, de parler des mots hébreux du texte plus souvent que nous ne voudrions. Le terme routh, que les interprètes grecs traduisent diversement, signifie plutôt : un mouvement «volontaire » du coeur qu'une « présomption » de notre esprit. L'Ecclésiaste dit donc que chacun fait dans ce monde ce qui lui plaît , que chacun y suit ses propres lumières et ses inclinations , et que, comme chacun est maître de lui-même, il arrive que les hommes se portent volontairement à une infinité de choses toutes différentes. Les uns goûtent ce qui déplaît aux autres ; ceux-ci condamnent ce que d'autres avaient approuvé. Insupportables à nous-mêmes , insupportables à tous les autres, nous faisons le bien ou nous nous portons au mal par des motifs opposés et contraires. Ce peu d'uniformité et cette bizarrerie de sentiments parmi les hommes est la source de tout le travers, de toutes les vanités et de toutes les misères qui accablent les enfants d'Adam sur la terre : Et vana sunt universa sub sole, dum invicem nois in bonorum et malorum finibus displicemus.

Le Juif sous la discipline duquel j'ai appris les Écritures saintes me faisait remarquer que le mot hébreu routh dont nous avons parlé signifie en cet endroit; non : la «volonté, » ou : la « présomption » de l'esprit de l'homme, mais : les «afflictions », et : les « misères »qu'il souffre dans cette vie. Il disait donc que le sens de ce passage se devait prendre en cette manière: J'ai fait attention sur tout ce qui se fait dans le monde, et je n'y ai rien vu que des misères et des sujets d'affliction ; c'est-à-dire : des choses capables d'apporter du chagrin et du trouble dans l'âme.

V. 15. « Les hommes déréglés se corrigent et se redressent difficilement , et le nombre des imparfaits est infini. » Un homme méchant et corrompu, s'il ne commence par se corriger, ne pourra jamais travailler à son salut et à sa perfection. Les choses déjà rangées et bien ordonnées sont capables d'embellissement et d'une plus grande beauté ; celles qui sont dérangées ou mal tournées doivent d'abord être rangées et redressées. Ou ne dit qu'un homme est perverti que quand il a été corrompu, et qu'il s'est lui-même éloigné de la droiture et du bon ordre. Je dis ceci contre les hérétiques novatiens, qui s'imaginent qu'il y a certaines choses dans la nature qui par elles-mêmes sont incapables d'être rétablies dans un meilleur état.

On peut encore prendre le verset dans ce sens: Le monde est rempli de tant de malignité, de tant de vices et de tant de défauts, qu'il semble presque impossible de le réformer, et de le rétablir dans le bon ordre et dans la première perfection où Dieu l'avait créé. D'ailleurs le démon par sa malice a si fort renversé tout ce qu'il y avait de bien dans l'homme qu'on ne voit dans le monde que péchés sur péchés, crimes sur crimes; en sorte que le nombre de ceux qui sont trompés et pervertis par ce séducteur surpasse toutes les supputations qu'on en pourrait faire.

V. 16. « Je me suis entretenu en moi-même de ces pensées, et j'ai dit: Je suis devenu grand et très puissant; et j'ai surpassé en sagesse tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem. Mon esprit a contemplé les choses avec une grande sagesse, et avec beaucoup de science et de pénétration. » Salomon a surpassé en sagesse, non pas Abraham, ni Moïse, ni plusieurs autres saints prophètes , mais seulement ceux qui avaient été avant lui dans Jérusalem. Nous lisons aussi dans les livres des Rois que Salomon fut orné d'une profonde sagesse, et qu'il demanda ce don au Seigneur par préférence à tous les autres avantages. On doit donc remarquer que Dieu accorde les lumières de la sagesse et de la science à ceux qui ont le coeur pur et dégagé des affections de la terre. Car l'Ecclésiaste ne dit point : « J'ai parlé avec beaucoup de sagesse et d'éloquence ; » mais il dit: « Mon esprit a contemplé les choses avec une grande sagesse et une profonde science. » Il est encore vrai que nous ne saurions nous énoncer parfaitement sur beaucoup de choses que nous connaissons fort distinctement.

V. 17. « J'ai appliqué mon coeur à connaître la prudence et la doctrine, les erreurs et l'imprudence , et j'ai découvert qu'en cela même il y avait bien de la vanité ou de la présomption d'esprit. » Les contraires se reconnaissent par l'opposition de leurs contraires, et le premier degré de la sagesse est de n'être point assujetti à la folie; mais on ne peut éviter la folie et l'imprudence sans en connaître les défauts. Aussi voyons-nous plusieurs choses pernicieuses et dangereuses dans les autres créatures , afin de nous faire acquérir la sagesse en les évitant et en nous en éloignant. Salomon a donc eu également besoin de s'appliquer à l'étude de la sagesse et à la connaissance de l'imprudence et de la folie qui lui sont opposées, afin que par son attachement à l'une et par son éloignement de l'autre on pût reconnaître qu'il avait acquis la véritable sagesse. Il avoue néanmoins que dans toutes ses curieuses recherches il n'a fait que se repaître de vent , et qu'il n'a jamais pu acquérir une parfaite sagesse.

V. 18. « Parce qu'une grande sagesse est accompagnée d'une grande indignation et d'un grand chagrin , et que plus on acquiert de science, plus on a de peine et de travail. » A mesure qu'un homme acquiert des connaissances et qu'il est éclairé des lumières de la sagesse, il se voit si environné de vices et si éloigné des vertus auxquelles il aspire qu'il ne peut s'empêcher d'en concevoir de l'indignation et du chagrin. Il a une extrême peine de se voir si sujet à tant de défauts et à tant de péchés, parce qu'il sait que les grands seront terriblement tourmentés, et qu'on exigera plus de bonnes actions de celui à qui on a donné plus de belles lumières. C'est ce qui l'afflige d'une tristesse selon Dieu, et qui lui cause une douleur amère à la vue de ses péchés. Un homme sage s'afflige encore de voir que la sagesse demeure si cachée et si inaccessible, et de ce qu'elle ne se présente pas à nous aussi facilement que la lumière corporelle se présente à nos yeux ; trais qu'il faut en rechercher la possession par des soins qui sont de véritables tourments et par les travaux les plus insupportables : Per tormenta quaedam et intolerabilem laborem, jugi meditatione et studio provenire.

 

CHAPITRE II

Néant des plaisirs et des richesses.

 

V. 1. « J'ai dit. en moi-même : Allons, je vais prendre toutes sortes de plaisirs et de délices , je vais jouir de toutes sortes de biens ; et j'ai reconnu que tout cela nième n'était que vanité. » Quand j'ai vu, dit l'Ecclésiaste, que tout ce que j'avais pu faire pour acquérir une grande sagesse, et toutes sortes de sciences n'aboutissait qu'à de vains efforts, et qu'il ne m'en revenait que du travail et de la peine , j'ai aussitôt changé d'objet, et je me suis jeté du côté du plaisir et de la mollesse , afin de vivre désormais dans le luxe, de ne penser qu’à devenir riche et qu'à goûter, avant de mourir, tout ce que la volupté et les plaisirs passagers ont de plus séduisant. liais j'ai moi-même reconnu en cela, comme en tout le reste, l'excès de ma vanité et de ma misère , puisque des plaisirs passés n'ajoutent rien aux présents, et que la volupté croit toujours sans pouvoir être satisfaite. Au reste ce ne sont pas les seuls plaisirs des sens qui peuvent tenter et l'aire tomber tous ceux qui s'y attachent : les joies même spirituelles sont sujettes à la tentation , et il est nécessaire d'être averti de sa propre fragilité par quelque aiguillon, et d'être souffleté par l'ange de Satan, de peur qu'on ne tombe dans quelque vaine complaisance. C'est pourquoi Salomon disait dans les Proverbes : « Ne me donnez ni la pauvreté ni les richesses; , et il ajoute d'abord « De peur qu'étant rassasié, je ne devienne menteur et que je ne dise : Qui est témoin de ce que je fais? » Aussi le démon n'est tombé que parce qu'il s'est vu dans une grande abondance de biens : Siquidem et diabolus per bonorumabundantiam concidit. Nous lisons encore dans la première épître de saint Paul à Timothée « De peur que s'élevant d'orgueil, il ne tombe dans la même condamnation que le démon , » c'est-à-dire : dans la condamnation où le démon est tombé lui-même le premier. Disons enfin que les joies même spirituelles sont appelées en cet endroit du nom de vanité, à cause qu'elles sont accompagnées de beaucoup de défauts et d'obscurités. Mais lorsque nous verrons à découvert la sagesse, la joie que nous en ressentirons ne sera plus une vanité, une vaine joie; ce sera pour lors la joie des joies et la pure vérité.

V. 2. « J’ai condamné les ris de folie, et j'ai dit à la joie: Pourquoi faites-vous cela? » Où nous avons lu le terme de « folie, » les interprètes grecs ont traduit le mot hébreu molal par celui « d'égarement » ou de «tumulte. » Mais les Septante et Théodotien, qui sont souvent d'accord, ont rendu le texte original de cet endroit par periphoran, qui signifie à la lettre : l'action d'un homme qui tourne de çà et de là, et qui se laisse emporter de tous côtés. De même donc que ceux qui se laissent emporter à tous les vents de doctrine et à des opinions humaines sont toujours inconstants et flottants au milieu de l'erreur , de même aussi ceux dont les ris se changeront en pleurs se trouvent-ils dans de perpétuelles agitations, emportés par tous les égarements du siècle et par les mouvements impétueux de leurs passions. Ils ne voient pas, ces grands rieurs, le précipice où leurs péchés les entraînent, et ils ne savent ce que c'est que faire pénitence de leurs péchés passés. Toujours trompés par l'idée fausse de leur bonheur, ils s'imaginent que des biens périssables et de très peu de durée sont des biens éternels, et se flattant de ces vaines espérances , ils se réjouissent avec excès dans des choses qui ne sont dignes que de pleurs et de gémissements. On peut en dire autant. des hérétiques, qui se promettent du bonheur et d'heureux succès , quoiqu'ils suivent des erreurs et les illusions de leurs faux dogmes.

V. 3. « J'ai pensé en moi-même de remplir de vin mon corps, mais mon esprit m'a porté à la sagesse et à m'élever au-dessus de l’imprudence jusqu'à ce que j'aie connu ce qui est utile aux enfants des hommes, et ce qu'ils doivent faire sous le soleil pendant les jours de leur vie. » J'ai voulu m'abandonner à toutes sortes de délices et m'enivrer de volupté et de plaisirs, comme le corps s'enivre de vin, pour me délivrer par là de tous les chagrins de la vie; mais mon esprit et la raison naturelle que Dieu a donnée aux pécheurs mîmes et aux scélérats m'ont détourné de ce premier dessein, et m'ont porté à la recherche de la sagesse et au mépris de l'imprudence, afin que je puisse connaître en quoi consiste le véritable bien que les hommes doivent se procurer pendant le cours de leur vie. Remarquez que la comparaison que fait l'Ecclésiaste de l'excès du vin avec la volupté est une comparaison fort juste et fort belle; car l'un et l'autre renversent l'esprit et lui ôtent toute sa force et sa vigueur. Celui donc qui surmontera la volupté par la sagesse sera en état de connaître ce que l'homme doit éviter et ce qu'il doit rechercher pendant qu'il vit sur la terre.

V. 4. « J'ai fait faire des ouvrages magnifiques; j'ai bâti des maisons et j'ai planté des vignes ; » et le reste jusqu'à l’endroit où Salomon dit : « Les yeux du sage sont à sa tête ; l'insensé marche dans les ténèbres. » Avant que d'en venir à une explication particulière de chaque verset, je crois qu'il est utile de réduire dans un corps le sens qu'ils contiennent, d'en montrer la liaison et d'en faire ici un abrégé, afin que les lecteurs comprennent plus facilement les paroles de l'Ecriture. L'auteur dit donc : J'ai joui comme un roi puissant de tous les biens qu'on estime dans le siècle. J'ai fait bâtir de magnifiques palais ; j'ai couvert de vignes les collines et les montagnes; j'ai fait planter plusieurs beaux ;jardins et plusieurs vergers; je les ai remplis d'arbres les plus rares et les mieux choisis; mais pour les entretenir toujours dans leur verdure et dans leur fertilité, je les ai fait arroser par des eaux qui prenaient leur source dans les réservoirs que j'avais fait creuser sur des lieux élevés. Pour ce qui est du nombre de mes serviteurs, tant de ceux que j'ai achetés que de ceux qui sont nés de mes esclaves, ,j'en ai eu des multitudes infinies. Avec cela j'ai été si riche en troupeaux de boeufs et de brebis qu'on n'a point vu de roi, clans Jérusalem, qui en ait eu une si grande quantité. J'ai rempli mes trésors d'un poids immense d'or et d'argent , et j'ai amassé des richesses infinies, ou des présents que les rois me faisaient, ou des tributs que plusieurs nations me payaient. Ces prodigieuses richesses m'ayant invité à augmenter de plus en plus mon luxe et mes délices, je pensai à me procurer les plus doux plaisirs de la musique et de tous les concerts des voix et des instruments. Au milieu d'une foule de musiciens, qui chantaient pendant que j'étais assis à table, j'avais encore le plaisir d'y être servi par de jeunes garçons et de jeunes filles. J'avoue toutefois que quoique je fusse enseveli dans tous ces plaisirs des sens, je sentais que ma sagesse diminuait et qu'elle m'abandonnait à proportion que mes délices augmentaient. Emporté par l'ardeur de la sensualité, je me précipitais dans toutes les voluptés que la passion pouvait me suggérer, et je me persuadais que si ,j'avais travaillé à acquérir des biens et des richesses, ce n'était que pour passer mes jours dans le luxe et dans la mollesse. Enfin, étant rentré en moi-même et m'étant éveillé comme après un profond sommeil, j'ai jeté les yeux sur mes actions, et je n'y ai trouvé que vanité, que toute sorte d'ordure, et que des égarements d'esprit continuels. Car tout ce que j'avais regardé d'abord comme un bien m'a paru ensuite n'être point un bien. Faisant donc attention et aux avantages de la sagesse et aux maux dont l'imprudence est accompagnée , je n'ai pu m'empêcher de louer l'une et de condamner l'autre; j'ai loué hautement celui qui est assez heureux que de pouvoir se modérer dans ses passions, se défaire de ses mauvaises habitudes, et qui, après s'être corrigé de ses vices, ne songe qu'à s'attacher à la pratique de la vertu. Je vois présentement une distance infinie entre la sagesse et l'imprudence, entre la modération et le luxe. Elles ne sont pas moins différentes que la nuit et le jour, et l'expérience que j'en ai faite m'oblige à reconnaître un si grand éloignement entre les vertus et les vices, que la lumière et les ténèbres ne sont pas plus éloignées ni plus opposées. Au reste il nie semble que celui qui est amateur de la sagesse a toujours les yeux élevés vers le ciel, qu'il marche la tête levée et bien droite, et qu'il contemple des vérités qui sont au-dessus du monde ; au lieu que ceux qui s'abandonnent aux vices et à leurs débauches marchent en tous temps dans l'ignorance de leurs ténèbres, et se vautrent dans la boue de plaisirs sensuels.

V. 5. « J'ai fait des jardins et des clos, où j'ai mis toutes sortes d'arbres fruitiers.» Comme il y a dans les maisons des grands et des riches toutes sortes de vases, qu'il y en a d'or et d'argent et d'autres qui sont faits de bois et d'argile, il doit. aussi y avoir des jardins et des vergers dans 1'Eglise, afin que les faibles et les imparfaits y trouvent une nourriture convenable; car selon saint Paul, ceux qui sont faibles et peu éclairés doivent manger des lierres et des légumes; les plus forts; et ceux dont la foi est plus éclairée, mangent de toutes sortes de fruits. Mais entre tous les arbres fruitiers, je n'en vois point à qui on puisse mieux attribuer la qualité « d'arbre de vie », que la sagesse, parce que sans elle tout le reste des arbres devient sec, et ne porte aucun fruit: Nisi enim illa in medio plantetur, ligna coetera siccabuntur.

V. 6. « J'ai fait creuser des réservoirs d'eaux pour arroser les plants des jeunes arbres. » Les arbres qui viennent dans les bois et clans les forêts sont des arbres sauvages, et qui ne portent point de pommes ni aucun autre bon fruit ; ces arbres, dis-je, ne sont point arrosés ni nourris des eaux du ciel : il faut les entretenir et les l'aire croître en les arrosant des eaux qu'on a ramassées dans des réservoirs. Aussi l'Égypte est un pays bas et enfoncé dans la terre, semblable à un jardin qui ne porte que des légumes : c'est pourquoi ce pays est arrosé d'eaux qui sortent de la terre, et qui prennent leur source dans l'Éthiopie. Au contraire, la terre de promission est un pays de montagnes et un terrain élevé, qui est arrosé des pluies du ciel et qui n'attend que d'en haut d'être fertilisé dans chaque saison.

V. 7. « J'ai eu des serviteurs et des servantes; j'ai eu des esclaves nés en ma maison; un grand nombre de boeufs et de troupeaux de brebis, plus même que n'en ont jamais eu tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem. » Si nous voulons rapporter ces paroles à Jésus-Christ et les prendre clans un sens spirituel, nous trouverons aisément dans l'Église des serviteurs et des servantes, des hommes et des bêtes, selon l'ordre marqué dans l'Ecclésiaste. Ceux qui servent Dieu par un esprit de crainte sont des esclaves et des serviteurs, et ceux-là désirent plutôt les choses spirituelles qu'ils ne les possèdent. Les servantes sont les aines entièrement attachées à la terre. Pour les esclaves qui sont nés dans la maison de leur maître, quoiqu'ils soient plus avancés que les serviteurs et les servantes, ce sont néanmoins des âmes encore engagées dans un état de servitude, et que le Seigneur n'a pas jusqu'à présent honorées du titre de noblesse, ni mises au nombre de ses affranchis. Il en a de plus, dans la maison de l'Ecclésiaste , qui tiennent la place de boeufs et de brebis, tant à cause de leur simplicité que de leur vie toute active. Ceux-là travaillent véritablement dans l'Église; mais, y vivant sans réflexion et sans aucune connaissance des Ecritures, ils peuvent être comparés à des bêtes privées de la lumière de la raison, n'étant pas capables de contempler les grandeurs de Dieu ni de réformer en elles-mêmes l'image du Créateur. Remarquez avec soin que quand l'Écriture parle de serviteurs et de servantes, elle n'ajoute pas le nom de «multitude; » ce qu'elle fait néanmoins en parlant des troupeaux de brebis et de boeufs, pour nous faire connaître que, dans le corps de l'Église, il y a plus de bêtes que de personnes raisonnables , plus de brebis que de serviteurs et de servantes : Plura quippe in Ecelesia armenta quàm homines, plures oves quam servi, ancillae atque vernaculi.

Quant aux dernières paroles du verset: «Plus que n'en ont jamais eu ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem, » elles ne me semblent pas beaucoup relever la gloire de Salomon ni la grandeur de ses richesses, puisque cette préférence ne le met qu'au-dessus seulement de David son père; car du temps de Saül Jérusalem était encore sous la domination des Jébuséens, qui avaient fixé leur demeure dans cette ville , où les rois d'Israël n'avaient pas alors commencé à régner. Il faut donc prendre les choses dans un sens plus élevé, et examiner ce que peut être cette ville de Jérusalem où l'Ecclésiaste a été plus riche et plus opulent que tous les rois ses prédécesseurs.

V. 8. « J'ai amassé une grande quantité d'or et d'argent et les richesses des rois et des provinces; j'ai eu des musiciens et des musiciennes, et tout ce qui fait les délices des enfants des hommes; des jeunes garçons et des jeunes filles qui servaient le vin à ma table. » L'or et l'argent dans l'Écriture sainte figurent toujours la lettre et le sens intérieur du texte sacré. C'est pourquoi la colombe mystérieuse dont il est parlé dans le psaume soixante-septième nous présente au dehors des ailes argentées, et nous cache au dedans des plumes qui tirent sur l'éclat de l'or. Pour ce qui est des richesses des rois et des provinces, que l'Ecclésiaste a eu soin d'amasser, nous pouvons dire que ce sont les sciences séculières, et ce que les philosophes ont enseigné dans le monde. Ceux donc qui possèdent ces sciences dans l'Eglise doivent les employer à l'avantage de la vérité, et s'en servir dans l'occasion pour surprendre les faux sages par leur propre sagesse, pour détruire leurs vains raisonnements et tous leurs principes, et pour montrer que leur suffisance est une imprudence véritable. Le reste du verset où il est parlé des deux sexes, de musiciens et de musiciennes, de jeunes garçons et de jeunes filles, n'a pas le sens qu'on croit d'ordinaire; car ces distinctions ne marquent point des hommes et des femmes, mais toutes sortes d'instruments de musique, et toutes sortes de coupes et de vases pour le service de la table. C'est dans ce sens qu'Aquila a pris ce passage, aussi bien que Symmaque, qui ne s'est pas trop éloigné de la traduction d'Aquila.

V. 9. « Je suis devenu grand, et j'ai surpassé en richesses tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem ; et la sagesse est demeurée toujours avec moi. » On ne peut point attribuer ces paroles de grandeur et de richesses temporelles à notre divin Ecclésiaste, dont le royaume n'était pas de ce monde. On doit dire seulement qu'il faisait devant les hommes de grands progrès dans la sagesse et dans la grâce à mesure qu'il croissait en âge; et que son père l'a élevé enfin au souverain degré d'honneur et de gloire. Ce qui suit: « Ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem, » s'entend des saints de l'Ancien-Testament, qui ont gouverné l'Église avant la venue du Messie. Si nous nous arrêtons à la seule superficie de la lettre des saintes Ecritures, il se trouvera que la Synagogue, ou l'Église ancienne, surpasse en intelligence l'Église nouvelle. Mais cette épouse de Jésus-Christ a su ôter le voile qui couvrait le visage de Moïse,pour nous faire voir dans leur plus beau jour les mystères divins cachés sous les figures de l'ancienne loi. Il est dit encore : « Et la sagesse est demeurée toujours avec moi, » ce qui signifie que la plénitude de la sagesse a toujours été en Jésus-Christ, même pendant sa vie mortelle. Quand la sagesse s'augmente par degrés elle est en mouvement, et l'on ne peut point dire alors qu'elle est stable et qu'elle demeure; mais quand on la possède tout entière et dans sa plus grande perfection, on parle avec vérité lorsqu'on dit: « Et la sagesse est demeurée avec moi.

V. 10. « Je n'ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu'ils ont désiré; et j'ai permis à mon coeur de jouir de toutes sortes de plaisirs, et de prendre ses délices dans tout ce que j'avais préparé ; et j'ai cru que mon partage était de jouir ainsi de mes travaux.» Les yeux de l'âme et la vue de l'esprit se portent avec ardeur à la contemplation et à la considération des choses spirituelles , et les pécheurs qui sont dans les ténèbres de l'ignorance privent leur cœur des délices et des véritables joies de la sagesse. L'Ecclésiaste s'est abandonné à ces saintes méditations de l'esprit, et après les légères épreuves de cette vie, qui ne durent qu'un moment, il a trouvé à se dédommager de ses peines par la couronne d'une gloire immortelle, dont ses travaux ont été suivis. Car enfin notre véritable partage et tout notre mérite consistent à travailler infatigablement sur la terre, pour acquérir toutes sortes de vertus dont Dieu réserve la récompense éternelle dans le ciel : Haec enim portio nostra est praemiumque perpetuum, si hic pro virtutibus laboremus.

V. 11. « Ensuite j'ai jeté les yeux sur tous les ouvrages que mes mains avaient faits et sur tous les travaux auxquels je m'étais si fort appliqué; et j'ai reconnu qu'il n'y avait que vanité et présomption d'esprit clans toutes ces choses; et que rien n'est solide ni parfait sous le soleil. » Celui qui fait toutes ses actions avec beaucoup de prudence et d'exactitude peut dire plus véritablement que les autres que tout n'est que vanité et que « rien n'est solide ni parfait sous le soleil. » Car si les actions des sages sont accompagnées de tant de défauts , et si l'on trouve du vide dans leurs magnifiques travaux, que sera-ce des ouvrages des insensés et des imprudents , qui font tout sans aucune précaution et sans aucune exactitude? Souvenez-vous que Jésus-Christ a mis sa tente dans le soleil, et que par conséquent celui qui n'a point les qualités de cet astre, je veux dire la clarté, la régularité et la persévérance du soleil, ne pourra jamais être le lieu de la demeure du Sauveur ni s'enrichir de l'abondance de ses grâces.

V. 12. « J'ai passé à la contemplation de la sagesse, des égarements et de l'imprudence ; mais qui est l'homme qui puisse suivre son roi et son Créateur? »J'ai tâché ci-dessus de donner une exposition suivie de plusieurs passages, jusqu'à ce verset : « Le sage a les yeux à sa tête, » afin d'en faire connaître plus aisément le sens propre, et d'ajouter ensuite une explication courte. du sens spirituel ou analogique. Maintenant que tout cela est exécuté, je reviens à ma manière ordinaire de ce commentaire , parce que je trouve en cet endroit un sens fort différent de celui de la version des Septante. L'Ecclésiaste nous apprend donc qu'après avoir prononcé la condamnation de la volupté et de toutes les délices, il s'était remis à l'étude et à la recherche de la sagesse ; mais qu'il avait reconnu tant d'erreurs et tant de défauts de lumière dans cette recherche que ses connaissances lui avaient déplu infiniment, à cause qu'elles ne lui donnaient point une science certaine et véritable des choses qu'il voulait connaître. Car quelques efforts que l'homme fasse pour connaître la sagesse, il ne pourra jamais atteindre à la connaissance pure et parfaite que son roi et son Créateur a toujours eue de la prudence et de la sagesse. D'où il faut conclure que nos connaissances sont fort incertaines, et que nous ne savons point en quoi consistent la sagesse et la vérité; ou si nous le savons, ce n'est que par des conjectures et par des opinions incertaines.

V. 13. « Et ,j'ai reconnu que la sagesse a autant d'avantage sur l'imprudence que la lumière en a sur les ténèbres. » Quoique j'aie reconnu , dit l'Ecclésiaste, que la sagesse. des hommes est toujours accompagnée de plusieurs défauts, qu'elle est mêlée d'erreurs et d'égarements, et que nous ne puissions en aucune manière la posséder dans la même perfection qu'elle se trouve dans notre roi, notre Créateur, je ne laisse pas cependant de voir une très grande distance entre la sagesse et entre l'imprudence, puisqu'il y a entre elles autant de différence qu'il y en a entre le jour et la nuit, entre la lumière et les ténèbres.

V. 14. « Les yeux du sage sont à sa tête , l'insensé marche dans les ténèbres; et j'ai reconnu qu'ils sont sujets aux mêmes événements. » Celui qui est arrivé à l'âge parfait, et qui a mérité d'avoir Jésus-Christ pour chef, tourne toujours les yeux vers lui , et les tenant élevés au ciel, il ne saurait plus penser aux (154) choses de la terre. Cela supposé comme très certain , et la sagesse et l'imprudence étant si éloignées l'une de l'autre que le sage est comparé au jour et l'insensé aux ténèbres; que l'un lève toujours ses yeux vers le ciel et que l'autre les abaisse vers la terre, comment se peut-il faire, ai-je dit, qu'on ne voie point de différence clans leur mort? Pourquoi cette égalité de châtiments pendant la vie? pourquoi les mêmes accidents, la même fin , et pourquoi en un mot le sage et l'insensé sont-ils accablés des mêmes afflictions?

V. 15 et 16. « J'ai donc dit en moi-même Si je dois mourir aussi bien que l'insensé, que me servira de m'être plus appliqué à la sagesse? Et comme j'entretenais mon esprit de ces pensées, j'ai reconnu enfin qu'il y avait en cela même de la vanité ; car la mémoire du sage ne sera pas confondue éternellement avec celle de l'insensé, bien que les temps à venir ensevelissent tout également dans l'oubli ; et comment le sage pourrait-il périr avec l'insensé ? » J'ai dit encore en moi-même : S'il est vrai que le sage et l'insensé, le juste et l'impie meurent l'un et l’autre, et que tous les maux les accablent également dans ce monde, de quoi me servent tous ces efforts que j'ai faits pour acquérir la sagesse.. et tous ces travaux dont je me suis accablé pendant le cours de mes années? Mais après de nouvelles et de sérieuses réflexions, j'ai vu que je ne pensais pas juste, et qu'il y avait bien des défauts dans mes raisonnements; car un jour viendra où l'on fera le discernement du sort du sage et de celui de l'insensé, lorsqu'à la fin du monde les hommes seront séparés pour toujours les uns des autres, que les justes seront mis dans un lieu de repos et de plaisirs, et que les impies tomberont dans un lieu de tourments et de peines éternelles. Les Septante ont traduit fort nettement en cet endroit fi! sens du texte hébreu, quoiqu"ils n'aient pas suivi l'ordre des paroles : « Et pourquoi suis-je devenu sage? Alors j'ai trop parlé en moi-même, et j'ai agi comme l'insensé, qui se répand trop en de vains discours. Et j'ai vu qu'il y avait en cela même de la vanité; car la mémoire du sage ne sera pas éternellement confondue avec celle de l'insensé, » et le reste. L'Ecclésiaste confesse donc qu'il avait d'abord mal pensé sur l'égalité du sort des sages et des imprudents , et il reconnaît que ce qu'il en avait dit auparavant était pauvre et avancé sans jugement.

V. 17. « C'est pourquoi la vie m'est devenue ennuyeuse, lorsque j'ai considéré tous les maux qui se font sous le soleil, où tout n'est que vanité et où l'on ne se repaît que de vent. » S'il est vrai, comme saint Jean l'assure, que le monde est tout enseveli dans la malice ; et si l'Apôtre lui-même gémit et soupire dans la prison du corps en disant : « Misérable homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps si sujet à la mort? » l'Ecclésiaste a eu raison de dire qu'il haïssait tout ce qu'il voyait sous le soleil; car si nous comparons le paradis, où nous jouissions de toutes sortes dé fruits et de délices spirituelles, à cette vallée de larmes où nous sommes comme des esclaves enfermés dans la prison de ce corps mortel , obligés à manger notre pain à la sueur de notre front , nous ne pourrons ne pas gémir d'être déchus de l'état de notre première béatitude.

V. 18 et 19. « J'ai regardé ensuite avec détestation tous mes travaux et tout ce que j'avais pu faire d'ouvrages sous le soleil, parce que je laisse toutes ces choses à un homme qui viendra après moi, sans que je sache s'il doit être sage ou insensé. Ce sera cet homme qui deviendra le maître de tous les ouvrages auxquels j'ai donné toute mon application, et qui m'ont donné tant de peine et de travail pour acquérir la sagesse. Mais est-il de vanité comparable à celle-là? » Il semble que fauteur parle ici conformément à ce que nous lisons dans l'Evangile d'un homme qui amasse des trésors et des richesses, et qui est enlevé tout d'un coup par une mort précipitée, sans savoir qui sera le maître et l'héritier de tous ses biens, si ce sera un homme sage ou si ce ne sera point quelque insensé; ce qui est arrivé à Salomon lui-même, qui eut pour successeur Roboam son fils, très éloigné de la sagesse et de toutes les bonnes qualités de son père.

Mais en prenant ces paroles dans un sens plus élevé, je trouve que l'Ecriture parle ici des travaux et des ouvrages d'esprit. En effet ce sont les sages qui méditent jour et nuit sur les Ecritures, qui composent des livres pour transmettre à la postérité le fruit de leur application et de leurs veilles , et pour laisser après eux leur mémoire en bénédiction. Cependant il arrive que leurs ouvrages tombent entre (155) les mains des insensés, qui en font un fort mauvais usage ; car au lieu d'en profiter, ils y prétendent trouver les principes de leurs erreurs et de leurs hérésies, parce qu'en les lisant ils ne consultent. que la corruption de leur cour et leurs propres ténèbres. Je suis donc persuadé que l'Ecclésiaste n'a point voulu parler des richesses ordinaires, puisque s'il parlait des trésors d'or et d'argent et de la peine qu'il avait eue à les amasser, il ne s'expliquerait pas en cette manière : « Et mon héritier se rendra maître de tous mes travaux et des peines que j'ai essuyées sous le soleil pour devenir sage ; » car enfin qu'on me dise si c'est une grande sagesse que d'amasser des richesses terrestres et périssables: Quae enim spentia est terrenas divitias congregare?

V. 20 etc. « C'est pourquoi j'ai tourné le dos à toutes ces choses, et j'ai pris la résolution dans mon coeur de ne me tourmenter pas davantage sous le soleil. Car après qu'un homme a bien travaillé pour acquérir la sagesse et la science, et qu'il s'est donné bien de la peine, il laisse tout ce qu'il peut avoir acquis à une personne qui n'aimera que l'oisiveté. Tout cela donc est une vanité et un grand mal; car que retirera l'homme de tout son travail et de l'affliction d'esprit par laquelle il s'est tourmenté sous le soleil? Tous ses jours sont pleins de douleurs et de misères, et il n'a point de repos dans son âme , même pendant la nuit. Et n'est-ce pas là une vanité? » Il a déjà parlé de l'incertitude. où l'on est touchant l'héritier qu'on aura après sa mort. On ignore si ce successeur, qui se mettra en possession des biens d'un autre, sera un homme sage ou s'il ne sera point un insensé. L'Ecclésiaste répète ici la même chose; mais le sens est pourtant un peu différent et plus déterminé dans cet endroit. Il dit donc qu'en supposant même qu'on aura un fils pour héritier, ou un parent, ou un ami, le même inconvénient subsiste toujours, parce que la personne qui a tant travaille pour acquérir des trésors et des sciences laisse tous ses biens à un autre qui en doit jouir après lui. Et de là il arrive que les travaux et les fatigues du mort deviennent les délices de celui qui vit et qui ouit du travail d'un autre.

Que chacun fasse réflexion sur soi-même. et qu'il se souvienne des peines et des soins qu'il s'est donnés en composant ses ouvrages. Combien de fois il a rayé ce qu'il avait écrit pour rendre son style plus doux et plus coulant, et pour mériter que sa composition fût bien reçue! et néanmoins il ne peut douter qu'il ne laisse après lui maîtres de ses ouvrages des personnes qui jouiront d'un travail auquel ils n'ont eu aucune part. plais, comme j'ai déjà dit auparavant, quelle connexion y a-t-il entre des richesses terrestres et entre la sagesse, la science et la vertu, en vue desquelles l'Ecclésiaste nous assure avoir tant travaillé? Et d'ailleurs qui ne sait que le devoir essentiel de l'homme sage, savant et vertueux est de fouler aux pieds les richesses ?

V. 24 etc. « Il vaut donc mieux manger et boire, et faire du bien à son âme du fruit de son travail ; et ceci vient de la main de Dieu. Car qui peut manger de son bien ou qui peut le mettre en réserve si Dieu ne le permet? Dieu a donné à l'homme qui lui est agréable la sagesse, la science et, la joie, et il a donné au pécheur les soins inutiles, afin qu'il amasse sans cesse et qu'il ajoute bien sur bien , et le laisse à un homme qui sera agréable à Dieu. Mais cela même est une vanité et une présomption d'esprit. » Après avoir examiné ce qui se passe dans le monde, j'ai reconnu qu'il n'était rien de plus injuste que de voir un homme jouir des travaux d'un autre, et j'ai cru au contraire qu'il n'était rien de meilleur ni de plus juste que si chacun goûtait les fruits de son travail. J'ai regardé même comme un don de Dieu quand un homme sait se servir de son bien en mangeant et buvant autant qu'il en a besoin, et usant d'épargne lorsqu'il le juge à propos. En effet c'est une grâce singulière de Dieu pour l'homme ,juste, qu'il soit dans la disposition d'employer à son profit particulier tout ce qu'il a pu acquérir par ses soins et par ses veilles. C'est au contraire une grande marque de la colère de Dieu contre le pécheur que de lui permettre de travailler jour et nuit pour amasser des richesses dont il ne doit jamais jouir, et qu'il doit laisser à ceux qui sont justes devant Dieu. Mais enfin, faisant réflexion que cela même s'en va, et que la mort est le terme de toutes nos jouissances, je n'ai pu m'empêcher d'y découvrir une très grande vanité. Voilà en passant le sens littéral de tous ces versets, de peur qu'on ne nous accuse de mépriser, comme très bas, le sens propre et naturel des Ecritures, pour nous attacher à des explications plus riches et plus spirituelles. Je n'ai garde de mépriser la simplicité du sens historique, quoique je puisse demander quel grand bien et quel don c'est d'aimer avec passion ses propres richesses, et d'attraper à la dérobée quelque petit plaisir passager ; ou, si l'on veut, de faire ses délices des travaux d'autrui, et de regarder comme un don du ciel de se faire heureux du malheur et des misères des autres.

C'est donc un grand bonheur pour nous que de pouvoir manger la chair de l'agneau et boire son sang, qui sont notre véritable nourriture, ou que de nous nourrir des véritables délices que nous trouvons préparées dans la lecture des livres sacrés. Car qui peut, sans un don particulier de Dieu, participer à la sainte table ou s'en abstenir par respect, puisque c'est Dieu lui-même qui nous ordonne de ne point jeter aux chiens les choses saintes, qui nous apprend en quelle manière le serviteur établi par son maître doit distribuer la nourriture aux autres domestiques , et qui nous avertit enfin dans un autre endroit, et clans un sens figuratif, de nous contenter quand nous trouverons du miel, d'en manger autant qu'il nous suffit. Remarquez encore que l'Écriture s'explique ici d'une manière très belle , lorsqu'elle dit que Dieu donne à celui qui est bon la sagesse, la science et la ,joie ; car celui qui n'est pas bon , et qui ne commence pas par corriger ses moeurs avec une sincère volonté, celui-là, dis-je , ne mérite point que Dieu lui donne la sagesse, la science et la joie qu'il accorde à l'homme ,juste. C'est dans ce sens qu'il est dit ailleurs: « Semez pour vous dans la justice ; recueillez au temps des vendanges des fruits de vie; préparez-vous la lumière de la science. » Il faut commencer par semer la justice, par recueillir des fruits de vie; après quoi on verra paraître le beau jour et la lumière de la science. De même donc que Dieu donne à ceux qui sont bons devant lui la sagesse et les autres dons que nous avons marqués, de même aussi abandonne-t-il les méchants à leur propre caprice, en leur permettant d'amasser des richesses, et de coudre de part et d'autre les oreillers de leur doctrine corrompue et de la perversité de leurs dogmes. Niais les gens de bien et ceux qui sont agréables à Dieu découvrent d'abord la fausseté et la vanité de ces dogmes, et ne doutent point qu'ils n'aient été inventés par un esprit de présomption. Et ne soyons pas surpris que l'Ecclésiaste nous dise que « Dieu a donné au pécheur des soins inutiles, etc. ; » car cela doit se rapporter à ce que nous avons déjà traité plusieurs fois, et il faut le prendre dans le même sens que nous lui avons donné ci-dessus; c'est-à-dire que les inquiétudes, les peines d'esprit et les chagrins qui partagent en mille manières les méchants sont les châtiments de leurs péchés; que Dieu n'est nullement l'auteur de ce qui leur arrive de contraire; mais que la source de leurs malheurs est dans leur propre volonté qui les a portés à mal faire : Et non esse causam distentionis in Deo, sed in illo qui sponte sub ante peccaverit

 

CHAPITRE III

Néant de l'honneur et de la gloire.

 

V. 1. « Toutes choses ont leur temps, et tout passe. sous le ciel après le temps qui lui a été prescrit. » L'Ecclésiaste nous a montré dans les chapitres précédents combien notre état dans cette vie est sujet à l'inconstance et à l'agitation; ici il veut nous faire voir que chaque chose a son contraire, et qu'il n'est rien dans ce monde qui dure toujours. Mais il ne parle que des choses qui sont sous le ciel et dont la durée est bornée par le temps; car pour les substances spirituelles, elles ne sont point bornées par les temps ni renfermées dans le ciel.

V. 2. « Il y a temps de naître et temps de mourir, temps de planter et temps d'arracher ce qui est planté. » On ne peut point douter que le moment de la naissance et le moment de la mort ne soient connus de Dieu et fixés par sa providence, ni que « naître », n'ait le même sens que planter,» et « mourir » le même sens « qu'arracher; » mais comme nous lisons dans Isaïe ; « Seigneur, nous avons conçu par votre crainte; nous avons enfanté; nous avons produit, »nous devons aussi remarquer qu'un homme parfait en vertu fait mourir en lui-même tous les effets de la crainte dès qu'il a commencé d'aimer Dieu, parce que l'amour parfait bannit la crainte servile. Les Hébreux prétendent que tout ce que l'Écriture dit en cet endroit, touchant l'opposition et la contrariété des temps, se doit entendre du peuple d'Israël jusqu'à ce dernier passage : « Il y a temps de faire la guerre et il y a temps de faire la paix ; » mais, ne jugeant pas nécessaire de les suivre pas à pas dans leur explication, ni de rapporter leurs sentiments sur chaque verset, je me contenterai de les marquer en passant et d'une manière fort abrégée, laissant à la capacité des lecteurs d'en l'aire une exposition plus étendue. Il y a eu pour Israël un temps de naître et d'être planté, et il y a eu de même un temps de mourir et d'être réduit à la captivité.

Il y a eu temps de les faire mourir et de les tuer dans l'Egypte, et il y a eu temps de les délivrer de ce pays de mort. Il y a eu temps de ruiner le temple sous l'empire de Nabuchodonosor, et il y a eu temps de rebâtir ce temple sous le règne de Darius. Il y a eu temps de pleurer le renversement de la ville de Jérusalem, et il y a eu temps de rire et de danser sous Zorobabel, Esdras et Néhémias. Il y a eu temps de disperser le peuple d'Israël, et il y a eu temps de les rassembler dans leur pays. Il y a eu un certain temps que Dieu a donné au peuple juif le ceinturon et le baudrier, et il y a eu d'autres temps où ils ont été menés captifs à Babylone pour y faire pourrir leur ceinture au-delà de l'Euphrate, selon la prédiction expresse de Jérémie. II y a eu temps de les rechercher et de les sauver, et il v a eu temps de les rejeter et de les perdre. Il y a eu temps de séparer Israël, et il y a eu temps de le réunir. Il y a eu temps de l'aire taire les prophètes, comme ils se taisent aujourd'hui que les Juifs sont esclaves des Romains, et il y a eu temps de les faire parler quand, au milieu d'une terre ennemie, ils jouissaient de la consolation et des révélations du Saint-Esprit. Il y a eu temps d'aimer Israël lorsque Dieu leur a donné tant de marques de sa protection dans la personne de leurs patriarches, et il y a eu temps de les haïr et de les détester quand ils ont fait mourir Jésus-Christ. Il y a temps de faire la guerre, et ce temps est présent parce que les Juifs ne pensent point à faire pénitence , et il y a temps de faire la paix, lorsqu'à la fin du monde tout Israël sera sauvé après qu'une multitude infinie de gentils sera entrée dans l'Eglise de Jésus-Christ.

V. 3. « Il y a temps de tuer et temps de guérir. » Il y a temps de tuer et de guérir pour celui qui dit dans le cantique du Deutéronome «Je tuerai et je ferai vivre. » Il nous guérit et nous l'ait vivre quand il nous invite à la pénitence; il nous fait mourir au contraire, selon ce qui est dit dans un des Psaumes : « Je faisais mourir sans délai tous les pêcheurs de la terre. »

« Il y a temps d'abattre et temps de bâtir. » Nous ne pouvons point nous édifier nous-mêmes, et jeter les fondements du bien et de la vertu, si nous ne commençons par déraciner les vices et par détruire nos mauvaises inclinations. C'est pour cela que Dieu ordonna à Jérémie, dans ses révélations, de commencer sa mission par déraciner, par renverser et par perdre, afin de planter ensuite et de bâtir.

V. 4. « Il y a temps de pleurer et temps de rire. » Nous sommes à présent dans le temps des pleurs ; les joies et les ris ne sont que pour l'avenir, selon cette parole de l'Evangile

« Heureux ceux qui pleurent, parce qu'ils riront un jour! »

« Il y a temps de s'affliger et temps de sauter de joie. » C'est il quoi nous pouvons rapporter les reproches que Jésus-Christ faisait aux Juifs en disant: « Nous avons chanté des airs lugubres devant vous, et vous n'avez point pleuré; nous avons joué de la flûte, et vous n'avez point dansé. » C'est maintenant qu'il faut pleurer et s'affliger, afin que nous puissions un jour sauter de joie, comme faisait David devant l'arche d'alliance. Car encore que ce prince déplût en cela à la fille de Saül, il ne laissa pas de faire une action très agréable devant Dieu.

V. 5. « Il y a temps de jeter çà et là des pierres et temps de les ramasser.» Je suis surpris qu'un homme d'érudition et fort éloquent ait pu donner un sens ridicule à ces paroles. Salomon, dit-il, parle en cet endroit des maisons qu'on abat et qu'on bâtit ordinairement. Les hommes donc renversent et rétablissent leurs maisons comme bon leur semble. Les uns sont occupés à faire des amas de pierres pour bâtir, les autres à renverser les bâtiments déjà faits. Ce qui fait qu'on peut leur appliquer ce que dit Horace: « Il renverse, il bâtit, il change en rond ce qui était carré,etc. » Je laisse au jugement du lecteur à décider si cette application est bonne ou mauvaise, et je reviens à mon explication précédente. Le temps de (158) jeter des pierres et de les ramasser est marqué, ce me semble, dans ces paroles que saint Jean-Baptiste dit dans saint Mathieu : « Dieu est tout-puissant pour faire naître de ces pierres des enfants à Abraham. » Lorsque les gentils étaient répandus par toute la terre, sans connaissance du vrai Dieu.. on pouvait les comparer à des pierres jetées deçà et delà ; mais lorsqu'ils sont entrés dans l'Eglise et qu'ils ont embrassé la foi de Jésus Christ, ils ont été alors des pierres choisies et des pierres ramassées.

« Il y a temps de s'embrasser et temps de s'éloigner clos embrassements.» En prenant ce texte simplement et dans un sens propre, il se présente de lui-même à l'esprit, surtout si l'on se souvient d'un passage de l'Apôtre qui convient là celui de l'Ecclésiaste : « Ne vous refuser point l'un à l'autre le devoir du mariage, si ce n’est d'un consentement mutuel, afin de vous exercer à l'oraison. » Les personnes mariées doivent se rendre ce devoir conjugal pour avoir des enfants, ensuite ne penser qu'à la continence et à la chasteté. On peut dire encore que le temps de s'embrasser était le. temps où Dieu disait aux hommes : « Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre », au lieu que le temps de s'éloigner des embrassements est le temps de la loi nouvelle, où les apôtres l'ont souvenir les fidèles que « le temps est court » et que «ceux mêmes qui ont des femmes doivent être comme s'ils n'en avaient point. »

Mais si nous voulons nous élever à des sens plus sublimes, nous verrons que la sagesse embrasse étroitement cens qui l'aiment et qui la recherchent. « Ayez du respect pour la sagesse,» vous dit l'Ecriture ; « aimez-la et elle vous embrassera. » Elle vous recevra entre ses bras et vous serrera dans son sein, comme une mère pleine de tendresse embrasse ses enfants. Il est vrai que l'esprit de l'homme est trop faible pour s'élever toujours en haut et pour ne penser qu'à des mystères divins et très sublimes ; cette continuelle application aux choses célestes n'est pas de cette vie; nous sommes obligés malgré nous de nous relâcher des exercices de la contemplation et d'avoir soin des nécessités du corps. C'est pourquoi il y a temps d'embrasser la sagesse et, de vaquer à la considération des choses spirituelles ; mais il y a temps aussi de nous en éloigner, et de quitter ces nobles occupations pour secourir une nature et un corps fragiles,aux besoins desquels nous devons accorder tout ce qui est nécessaire à la. vie, excepté ce qui pourrait déplaire à Dieu et nous faire tomber dans le péché : Et his, quibus vita nostra absque peccato indiget, serviamus.

V. 6. « Il y a temps d'acquérir et temps de perdre, temps de conserver et temps de rejeter. » L'Ecclésiaste nous propose les mêmes vérités et les mêmes sentences sous des expressions différentes, comme il est aisé de le voir par ce qui précède et par ce qui vient ensuite. Lorsqu'il dit« qu'il y a temps de renverser et temps de bâtir, temps de déchirer et temps de coudre, » il nous donne à connaître la réprobation de la Synagogue et l'élection de l'Eglise chrétienne. La loi est déchirée et abolie, et les Evangiles sont publiés, accompagnés et comme cousus d'une infinité de passages de l'Ancien-Testament, que les évangélistes ont empruntés des prophètes pour démontrer la venue du Messie dans la personne de notre Seigneur Jésus-Christ. C'est ainsi qu'il y a eu temps de chercher et de conserver Israël, temps de le perdre et de le rejeter. Ou disons plutôt qu'il y a eu temps d'appeler les gentils à l'Eglise, et temps d'abandonner le peuple juif; temps de conserver les fidèles de la gentilité et temps de rejeter les incrédules d'Israël.

V. 7. « Il y a temps de se taire et temps de parler.» Je ne sais si les disciples de Pythagore n'ont point emprunté de cet endroit la maxime qu'ils suivent exactement, d'être cinq ans sans parler, afin de ne dire ensuite que des paroles sages et judicieuses. Apprenons nous-mêmes à nous taire avant que de nous donner la liberté de parler. Soyons muets pendant un certain temps, et n'ayons que des oreilles pour écouter les leçons d'un habile maître et de notre précepteur. N'estimons rien bien dit que ce que nous avons appris d'un autre et que nous avons médité fort longtemps. N'ayons point la présomption de prendre la dualité de maîtres, qu'après un silence de plusieurs années. Mais au lieu d'observer ces maximes, nous nous laissons aller à la corruption du siècle présent, qui est plus grande que celle de tous les siècles passés, et nous ne nous embarrassons point d'enseigner dans les Eglises des choses dont nous n'avons point de connaissance; et s'il arrive que nous nous attirions les applaudissements de nos auditeurs, soit par des discours étudiés et bien arrangés, soit par quelque artifice du démon, qui favorise toujours l'erreur et le mensonge, nous nous flattons, contre le témoignage de notre propre conscience, de savoir ce que nous avons pu persuader aux autres. Les arts cependant ne peuvent s'apprendre que sous la conduite de quelque bon maître. Il n'y a que l'art de prêcher les vérités divines qu'on regarde avec mépris, qu'on croit si facile que chacun s'en peut mêler sans avoir eu de précepteur pour se rendre capable d'instruire les autres.

V. 8. « Il y a temps d'aimer et temps de haïr. » On doit aimer, après Dieu, ses enfants, sa femme et ses parents; mais l'on est obligé de les haïr dans le temps du martyre, lorsqu'un confesseur de Jésus-Christ se sent attaqué par une fausse tendresse pour ses parents, et qu'ils veulent ébranler sa constance. Ou bien disons qu'il y a eu un temps que nous étions engagés à aimer la loi et tout ce qu'elle ordonne, comme la circoncision, les sacrifices des bêtes, le sabbat, les fêtes du premier jour des mois; mais que le temps de haïr toutes ces cérémonies est le temps de l'Évangile où la foi a pris la place pour rendre à Dieu un culte tout spirituel. Disons enfin qu'il y a temps d'aimer les faibles connaissances que nous avons présentement de la vérité, et qu'il y aura temps de haïr toutes nos imperfections quand nous serons arrivés à notre terme et que nous verrons la vérité face à face: alors nous mépriserons et nous haïrons ce que nous estimons davantage en cette vie.

« Il y a temps de faire la guerre et temps de faire la paix. » Pendant que nous sommes dans ce monde, nous devons toujours combattre et avoir les armes à la main; le temps de la paix ne viendra qu'après notre mort. Dieu, qui hante dans un lieu de paix, a établi notre demeure dans la céleste Jérusalem, dont l'étymologie est prise de la paix. Que personne donc ne se flatte d'être en repos et hors de danger il faut, dans un temps de guerre, être toujours sur ses gardes , se tenir prêt pour combattre, et ne quitter point les armes, afin de mériter la victoire et de se reposer éternellement dans le sein d'une profonde paix.

V. 9. « Que retire l'homme de tout son travail? J'ai vu l'occupation que Dieu a donnée aux enfants des hommes, et qui les travaille pendant tout le cours de leur vie. Tout ce qu'il a fait est bon en son temps, et il a livré le monde à leurs disputes, sans que l'homme puisse reconnaître les ouvrages que Dieu a créés depuis le commencement du monde jusqu'à la fin. » Je n'ignore point ce que plusieurs ont dit sur cet endroit. Ils prétendent que Dieu a donné dans ce monde de l'occupation à tous les hommes, et même à ceux qui enseignent des dogmes pernicieux, afin que l'esprit de l'homme ne demeurât pas dans l'oisiveté et dans la langueur; que c'est ce que veut dire l'Ecclésiaste lorsqu'il nous assure que « tout ce que Dieu a fait est bon en son temps, » et que néanmoins les hommes, avec tous leurs efforts, ne sauraient comprendre la nature des ouvrages du Créateur, ni en avoir une connaissance parfaite. Le docteur hébreu qui m'a enseigné les Écritures m'expliqua autrefois en cette manière le passage dont nous parlons : Puisque tout passe et s'évanouit après un certain temps; puisqu'il y a temps d'abattre les édifices et temps d'en haire de nouveaux , temps de pleurer et temps de rire, temps de se taire et temps de parler, pourquoi tant de travaux et tant d'inquiétudes dont nous nous accablons? A voir tous les mouvements que les pommes se donnent, on dirait qu'ils veulent rendre perpétuelles les occupations d'une vie aussi courte que la nôtre. Nous ne pensons point aux paroles de l'Évangile, qui nous ordonne de ne point nous tourmenter et nous inquiéter de l'avenir et qui nous avertit « qu'à chaque jour suffit sa peine. » Car que pouvons-nous acquérir dans ce monde en travaillant de plus en plus? Nous ne changerons pas la situation des choses humaines ni l'ordre établi par la divine Providence, qui veut que les Hommes soient occupés à différents ouvrages et qu'ils se portent, les uns à une chose et les autres à une autre, afin que tous travaillent et que le commerce de la vie soit rempli par cette diversité. Dieu n'a donc rien fait qui ne soit utile en son temps. II est bon de veiller et de dormir, mais il n'est point bon de toujours veiller ni de toujours dormir. II faut que chaque chose soit faite en son temps, et qu'il y ait de la variété et des vicissitudes, selon l'ordre que Dieu en a prescrit et selon que le besoin le demande. Dieu a de même mis les hommes sur la terre pour jouir de la diversité des saisons, non pas pour examiner avec trop de curiosité la nature de tous les êtres, ni pour demander la raison des ouvrages de Dieu, pourquoi ils ont été créés de telle ou de telle manière, pourquoi les uns subsistent depuis le commencement du monde, et pourquoi d'autres périssent et sont sujets à des changements continuels.

V. 11, 12 et 13. «Et j'ai reconnu qu'il n'y a rien de meilleur que de se réjouir et de bien faire pendant sa vie; car tout homme qui mange et qui boit, et qui retire du bien de son travail, reçoit cela par un don de Dieu. » L'homme a été établi dans ce monde comme un fermier et un étranger, afin d'y vivre un espace de temps fort court, et de penser que, ne pouvant se promettre une longue vie sur la terre, il fallait regarder tous ses biens d'un oeil de mépris et aspirer à un meilleur poste. Cet état d'hôte et d'étranger invite l'homme à faire le plus de bien qu'il peut et à quitter le soin d'amasser des richesses, qui font le tourment de tous ceux qui s'y attachent. Il faut aussi se persuader que tout le fruit qu'on peut retirer de son travail consiste à se procurer les aliments nécessaires à la vie, et à faire bon usage de ce qu'on possède, employant ses biens en aumônes et en bonnes couvres. C'est là le grand don de Dieu et une grâce toute singulière.

Par cet endroit on découvre aisément le peu de raison qu'ont certains libertins, qui prétendent que le livre de l'Ecclésiaste nous porte au luxe, aux délices et au désespoir de ceux qui parlent ainsi dans Isaïe : «Mangeons et buvons, car demain nous ne serons plus en vie;» et qui mettent tous leurs plaisirs à se rendre semblables aux bêtes, en donnant toute leur application à la joie des sens. Ce n'est pas ce qu'enseigne l'auteur de l'Ecclésiaste : il veut au contraire, avec l'apôtre saint Paul, que« nous nous contentions d'avoir de quoi vivre et de quoi nous vêtir. » et que nous employions le superflu à la nourriture des pauvres, et à exercer la libéralité envers ceux qui sont dans l'indigence.

Mais, si nous prenons les paroles de Salomon dans un sens analogique et tout spirituel, nous porterons plus haut nos pensées, et nous verrons que tout notre bonheur dans ce monde est d'avoir l'avantage de pouvoir nous nourrir du corps et du sang de Jésus-Christ, qu'il nous assure lui-même être une vraie viande et un véritable breuvage. Il nous donne cette divine nourriture, non-seulement dans le mystère des autels, mais aussi dans la lecture de la sainte Ecriture. Car ceux qui possèdent la connaissance des Ecritures trouvent mille délices, des mets excellents et des eaux salutaires dans la parole de Dieu, qui nous est donnée pour la nourriture de nos âmes.

Au reste l'on se tromperait de prétendre que la prophétie de Balaam. où il dit : « Jacob sera exempt de travail et Israël ne souffrira point de douleur, » est contraire à ce que dit l'Ecclésiaste, « qu'il n'est rien de mieux que de se réjouir en buvant et mangeant, et en jouissant du fruit de ses travaux, et que cela est un don de Dieu. » Il n'y a point de contradiction entre ces deux passages, parce que l'un est une prédiction de l'avenir qui nous promet ces jours heureux dont parlent les prophètes, lorsque nous serons délivrés de tous les maux que nous souffrons dans cette vie, et que le Seigneur aura essuyé, nos pleurs et nos larmes. Mais avant de jouir du repos éternel, il faut que les justes soient affligés dans ce monde et qu'ils travaillent infatigablement à l'ouvrage de leur salut. Le grand Apôtre n'a pas été dispensé de ce travail ni de ces peines, qui le faisaient suer et gémir jusqu'à lui faire souhaiter d'être délivré d'un corps mortel qui l'exposait à tant d'afflictions et de combats. Aussi lisons-nous dans l'Evangile : «Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils se réjouiront! » Ce ris et cette joie ont de même pour garant la prophétie de Job, qui nous fait espérer que« la bouclée de ceux qui aiment la vérité sera remplie de joie. » C'est ainsi que nous jouissons dies à présent du travail de nos mains si nous sommes tout occupés à faire de bonnes oeuvres. Travaillons donc sans cesse; que le poids de la fatigue de nos travaux ne nous décourage point, afin de mériter par notre persévérance et de nous procurer un repos éternel.

V. 14. « J'ai encore reconnu que tout ce que Dieu a fait doit toujours subsister; qu'on ne peut rien ajouter à ses ouvrages ni rien en diminuer. Et Dieu a eu en vue, dans ce qu'il a fait, de se faire craindre et révérer.» Il n'est rien de nouveau dans ce monde. Le cours du soleil, les changements de la lune, de la terre et des arbres ont commencé avec le monde. La sécheresse et la verdure, la nudité de l'hiver et la beauté du printemps sont aussi anciennes que la terre même, qui produit les herbes, les (161) fleurs et les fruits dans chaque saison. Dieu a donc si bien réglé toutes choses et mis un si bel ordre dans la nature qu'il fait servir les éléments aux besoins du genre humain, afin que les hommes reconnaissent en cela sa providence et sa sagesse, et qu'ils tremblent de frayeur à la vue d'une si grande puissance. Car si l'on considère avec un peu de réflexion cette disposition admirable des créatures, l'égalité de leurs mouvements, l'ordre qu'elles gardent et leur durée dans tous les siècles, on sera obligé d'adorer leur créateur. En effet, « les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que les créatures nous en donnent. » Si nous faisons commencer un autre verset par ces paroles «Dieu a eu en vue de se faire craindre dans ce qu'il a fait,» nous pouvons y donner ce sens Dieu a voulu, par toutes les choses qu'il a faites, imprimer de la crainte dans le coeur des hommes, afin qu'ils se gardassent de pervertir et de renverser l'ordre qu'il a établi dans le monde lorsqu'il l'a créé. Remarquer ici cette belle ex pression du texte original : « afin qu'ils craignissent de devant sa face ; « car il est écrit : «Le visage du Seigneur est appliqué sur ceux qui font le mal. »

V. 15. « Ce qui a été est encore aujourd'hui, ce qui doit être a déjà été; et Dieu a soin de chercher celui qui souffre persécution. » Toutes les choses que nous voyons maintenant sont des choses, ou qui ont déjà été, ou qui sont présentes, ou qui seront dans la suite. Le soleil, qui se lève tous les jours fort régulièrement, était avant nous et sera encore après notre mort. Je prends pour preuve le soleil, afin que nous comprenions par ce seul exemple qu'il en est de même de toutes les autres créatures, qui sont telles qu'elles ont été par le passé, et qui seront les mîmes jusqu'à la fin des siècles. Il n'y a rien dans la nature qui périsse entièrement et qui soit anéanti lorsque l'être en est détruit, parce que chaque chose a son retour, qu'elle renaît et qu'elle ressuscite avec de nouvelles qualités et sous de nouvelles formes. Mais si l'on voit une espèce de résurrection dans toutes les choses naturelles, ne doutons point que les hommes ne ressuscitent véritablement après leur mort. Que si quelqu'un aime mieux dire que ces paroles : «Et Dieu a soin de chercher celui qui souffre persécution,» sont le commencement d'un autre verset, il pourra s'en servir dans le temps des persécutions des gentils, pour consoler ceux qui souffrent constamment les tourments du martyre. Et parce que, dans le sentiment de l'Apôtre, tous ceux qui veulent vivre avec, piété dans ce monde ne peuvent manquer d'être persécutés, il est juste qu'ils trouvent leur consolation dans ce passage de l'Ecclésiaste, qui leur promet que Dieu recherche soigneusement celui qui souffre persécution, comme il faisait autrefois rendre compte du sang de ceux qu'on avait tués, de même encore qu'il est venu chercher ce qui était perdu et qu'il a rapporté dans la bergerie la brebis qui s'était égarée.

V. 16 et 17. « J'ai vu sous le soleil l'iniquité dans le lieu du jugement et l'iniquité dans le lieu de la justice; et j'ai dit en mon coeur ; Dieu jugera le juste et l'injuste, et alors ce sera le temps de toutes choses.» Le sens de ces passages est fort clair dans l'original; la traduction v a répandu quelque obscurité et un peu de ténèbres. Je me suis appliqué sous le soleil que nous vouons, dit l'Ecclésiaste, à la recherche de la vérité et de la justice. ; je l'ai cherchée dans le lieu où elle devrait régner, et j'ai vu l'impiété et l'injustice sur le trône des juges, au milieu desquels les présents l'ont pencher la balance au préjudice de la vérité et de la ,justice. Je m'étais toujours persuadé que l'équité n'était pas tout-à-fait bannie des palais et des tribunaux, que le juste y trouvait de la protection, qu'il y était traité selon son mérite, et l'injuste puni à cause de ses crimes; mais j'ai reconnu que je m'étais trompé et qu'il en était tout autrement, puisque les justes sont maltraités dans ce monde et affligés de plusieurs calamités, pendant qu'on voit des scélérats dans un grand crédit et s'élever quelquefois jusque sur le trône. Rentrant ensuite en moi-même et m'entretenant de ces pensées, j'ai fait réflexion que Dieu ne jugeait point les hommes sur la terre à diverses reprises et les uns après les autres; mais qu'il se réservait à les juger tous ensemble à la fin des siècles, où chacun recevra selon ses couvres et selon les intentions de son coeur. C'est ce que signifient ces dernières paroles : « Et alors sera le temps de l'examen de toute volonté et de toutes les actions que l'on aura faites; » ce qui veut dire que quand Dieu commencera à juger tous les hommes, la vérité paraîtra toute nue; au lieu que, pendant cette vie, le mensonge et l'injustice ont pris la place et règnent partout dans ce monde. Nous lisons un passage semblable dans le livre intitulé La sagesse de Syrach: «Ne dites point : Pourquoi cela, ou pourquoi ceci? parce que chaque chose sera recherchée dans son temps. »

V. 18 et 19, etc. « J'ai dit en mon coeur, touchant les enfants des hommes, que la parole, qui les distingue des bêtes, n'empêche pas qu'ils ne paraissent leur être semblables ; car le sort des animaux et celui des hommes est égal comme l'homme meurt, les bêtes meurent aussi ; les uns et les autres respirent le même air, et l'homme n'a rien de plus que la bête; tout est soumis à la vanité et tout tend vers un même lieu ; ils ont tous été tirés de la terre et ils retourneront tous en terre. Qui connaît si l'âme des enfants d'Adam monte en haut et si l'âme des bêtes descend en bas? » Il ne faut pas s'étonner si nous ne voyons dans ce monde aucune différence extérieure entre l'homme juste et l'homme impie, et si la vertu est si peu considérée dans ce temps de confusion et d'ignorance, puisque l'homme ne diffère en aucune manière des bêtes, quant à la misère et à la fragilité du corps : nous naissons comme l'on voit naître les bêtes; la mort nous réduit en poussière, de même qu'elle fait retourner en poussière le corps des bêtes privées de raison. Mais si nous pensons que les âmes des hommes montent en haut quand nous mourons et que les âmes des bêtes descendent dans la terre , sur quel témoignage appuyons-nous cette connaissance, et qui peut nous être garant de la vérité ou de la fausseté de nos espérances? ce que l'Ecclésiaste ne dit point comme s'il pensait que nos âmes périssent avec nos corps, et qu'après la mort les hommes et les bêtes sont mis dans un même lieu; mais parce qu'avant la venue de Jésus-Christ les hommes et les bêtes descendaient également sous la terre. C'est pourquoi Jacob disait qu'il devait « descendre dans les enfers. » Job se plaint aussi que les justes et les impies« sont retenus dans les enfers. » L'Evangile nous apprend de son côté qu'il y a un grand chaos dans les enfers; que le Lazare y est dans le sein d'Abraham, le riche dans les tourments. Et, pour dire la vérité, avant que Jésus-Christ, accompagné du bon larron, nous eût ouvert les portes du Paradis après avoir éteint les chariots de l'eu et l'épée étincelante qui en défendaient l'entrée, les cieux nous étaient entièrement fermés; et alors les hommes et les bêtes étaient renfermés dans la même clôture des enfers, parce qu'ils étaient aussi vils et aussi faibles les uns que les autres quant à la chair et à la substance matérielle; et quoiqu'il semblât que la dissolution des uns et la conservation des autres mit une grande différence entre les hommes et les bêtes, il faut néanmoins confesser que d'être retenu dans les ténèbres de l'enfer était presque la même chose que de périr avec le corps.

Remontons au commencement de cette section pour expliquer chaque verset d'une manière courte et précise, et selon l'ordre du texte sacré. «J'ai dit dans mon coeur, touchant le parler des enfants des hommes, que Dieu avait voulu les distinguer. » C'est principalement la faculté de la parole qui distingue les hommes des bêtes. Nous parlons les uns avec les autres et nous nous découvrons mutuellement nos inclinations et nos plus secrètes pensées, pendant que les bêtes demeurent muettes et abattues dans le silence. Néanmoins, bien que nous nous distinguions d'elles par la parole, nous ne laissons pas de leur être semblables dans les qualités du corps et par la vileté et la fragilité de la chair : on voit mourir les hommes de la même manière qu'on voit mourir les bêtes; les uns et les autres respirent le même air et vivent de même en le respirant. C'est le sens de ce verset : « Il n'y a qu'un souffle pour tous, et l'homme en cela n'a aucun avantage sur les bêtes. »

Mais, pour nous ôter la pensée que nous pourrions avoir, qu'il étend ce qu'il dit jusques à nos âmes, il ajoute d'abord : « Ils ont tous été tirés de la terre et ils retourneront tous en terre; » ce qui ne se peut dire que de nos corps, qui ont été formés de terre; et c'est du corps seulement que Dieu a dit: « Vous êtes terre et vous retournerez en terre. » Quant aux paroles suivantes, qui semblent contenir des blasphèmes et des impiétés : « Qui connaît si l'âme des enfants d'Adam monte en haut, et si l'âme des bêtes descend en bas?» quant à ces paroles, dis-je, il faut. bien se donner de garde de croire que l'Ecclésiaste ne distingue point les hommes des bêtes, et qu'il prétend confondre la dignité de l'âme avec la bassesse du corps. Il veut seulement, lorsqu'il dit : « qui connaît?» nous insinuer la difficulté de cette connaissance, et combien peu de personnes la possèdent; car dans l'Ecriture sainte le pronom interrogatif quis, qui, ne marque point l'impossibilité d'une chose, mais la seule difficulté ; comme dans cet endroit d'Isaïe : « Qui pourra parler de sa naissance?» et dans le quatorzième psaume : « Seigneur, qui est celui qui habitera dans votre tabernacle? » et le reste. La seule différence donc qu'il y a entre les hommes et les bêtes est que l'âme des hommes monte au ciel en se séparant du corps., et que l'âme des bêtes descend en bas dans la terre et y est détruite avec le corps; ce que j'ai dit en passant dans cette explication littérale, afin de répondre à quelque savant ecclésiastique qui pourrait prétendre que l'Ecclésiaste a parlé des âmes en doutant et ne sachant si celles des hommes montent en haut et si celles des bêtes descendent en bas.

V. 22.« Et j'ai reconnu qu'il n'y a rien de meilleur pour l'homme que de se réjouir dans ses oeuvres, et que c'est là son partage ; car qui le pourra mettre en état de connaître ce qui doit arriver après lui? » Il n'est donc rien de meilleur pour l'homme,pendant qu'il vit en ce monde, que de mettre sa joie à faire de bonnes oeuvres et des aumônes, pour se préparer un trésor dont il doit jouir dans le royaume des cieux. Ce partage qu'il se fait lui-même de ses propres biens ne saurait lui être ravi ni par les voleurs ni par les tyrans , et c'est le seul qui doit le suivre après sa mort; car, après que l'âme s'est séparée du corps, l'homme ne peut point encore une fois profiter du fruit de ses travaux, ni connaître ce qui se fera dans ce monde après qu'il en sera parti. Il y en a qui disent, sur ce verset, que l'Ecclésiaste nous apprend à nous servir des biens que nous possédons dans cette vie, parce que cet usage est la seule chose que nous emportons avec nous en quittant le monde, ne sachant point qui sera l'héritier de nos biens après notre mort, ni s'il méritera de nous succéder et de posséder ce que nous avons acquis par notre travail

 

CHAPITRE IV

Néant ou privation du vrai et de la justice.

 

V. 1. « J'ai porté mon esprit ailleurs: j'ai vu les oppressions qui se font sous le soleil, les larmes des innocents qui n'ont personne pour les consoler, et l'impossibilité où ils sont de résister à la violence, abandonnés qu'ils sont du secours de tout le monde. » Après m'être entretenu, dit l'auteur de ce livre, du bon usage que chacun doit faire de ses biens, j'ai porté ailleurs les veux de l'esprit, et j'ai fait mes réflexions ; et j'ai vu les violences que les grands font aux petits, sans qu'il se trouve personne qui ait compassion des larmes qu'ils versent en abondance pour marquer l'excès de leur douleur, et qui sont toute leur ressource et leur unique soulagement dans leurs calamités. Ce qui les accable encore davantage, c'est de voir que ceux qui les oppriment si injustement sont très puissants dans le monde et qu'ils s'affermissent de plus en plus dans leur méchanceté. C'est ce qui les rend inconsolables et sans espérance de voir la fin de leurs maux. David, dans le psaume soixante-douzième, s'est fort étendu sur cette matière, aussi bien que le prophète Jérémie, qui parle souvent de la prospérité des méchants.

V. 2 et 3. « Et j'ai préféré l'état des morts à celui des vivants; et j'ai estimé plus heureux que les uns et les autres celui qui n'a pas encore vu le jour, et qui n'a point connu par expérience les maux qui se font sous le soleil. » En considérant les misères dont les hommes sont accablés dans cette vie, j'ai estimé plus heureux les morts que les vivants; ce qui s'accorde avec ces paroles de Job où il parle du tombeau « C'est là que les forts, après leur travail et leur lassitude, trouvent leur repos; c'est là que ceux qui étaient autrefois enchaînés ensemble ne souffrent plus aucun mal, et qu'ils n'entendent plus la voix de ceux qui exigeaient d'eux des travaux insupportables. » L'Ecclésiaste dit donc qu'un homme qui n'est pas encore venu au monde est plus heureux que les morts et les vivants, parce que ceux qui sont encore en ce monde sont sujets à une infinité de maux, et que ceux qui sont morts doivent être regardés comme des gens échappés tout nus du naufrage, au lieu que celui qu'on n'a point encore vu naître est exempt de toutes les peines et de toutes les disgrâces de cette vie; mais prenez garde qu'il ne dit pas cela pour nous faire croire qu'on est déjà avant de naître : il veut seulement nous faire connaître qu'il est plus avantageux de n'être point, du tout que d'être misérable et de vivre malheureux. C'est ce que notre Seigneur a dit de Judas, en nous avertissant des tourments qui lui étaient préparés : « Il eût été plus avantageux à cet homme de n'être jamais venu au monde. »

En effet, il aurait été bien plus heureux de n'avoir jamais été que d'être né pour souffrir des supplices éternels.

Il y en a qui donnent un autre sens à ces paroles de Salomon, et ils disent qu'on doit préférer les morts aux vivants parce que, pendant qu'on vit sur la terre, on est exposé à des tentations et à des combats, et qu'on est comme en prison dans ce corps mortel. Les morts au contraire jouissent du repos; ils sont hors de tout danger et ne sont plus sujets au péché. L'Ecriture dit aussi de saint Jean-Baptiste, qui a été plus grand que tous ceux qui sont nés des femmes, que le plus petit du royaume du ciel est plus grand que Jean, parce qu'étant mort, il est délivré des misères du corps et qu'il n'a pas besoin de dire avec l'Apôtre: « Misérable homme que je suis! qui me délivrera de ce corps mortel? »

V. 4. « J'ai aussi considéré tous les travaux des hommes et le mérite de leurs actions, et j'ai reconnu que les hommes sont exposés à l'envie de leurs semblables ; et certainement cela même est une grande vanité et une affliction d'esprit. » . J'ai porté encore ailleurs mon esprit, et j'ai considéré les actions vertueuses et la réputation du mérite de ceux qui travaillent dans ce monde, et j'ai reconnu que l'honneur et la gloire des uns fait la peine et la misère des autres; car les envieux sont déchirés et tourmentés de la félicité des bons, et ceux qui se sont acquis de la réputation par leur mérite sont exposés aux piéges de leurs envieux. Mais est-il rien de plus vain, de plus inconstant et qui sente plus le néant que de voir les hommes dans cette situation où, au lieu de gémir de leurs misères et de pleurer leurs propres péchés, ils s'abandonnent à une lâche envie qui leur fait haïr le mérite de leurs frères? Quid enim vanius, quid instabilius et sic nihili, quam homines non suas flere miserias, vel propria lugere peccata, sed melioribus invidere?

V. 5. « L'insensé met ses mains l'une dans l'autre, et il mange sa propre chair. » C'est l'homme paresseux dont il est parlé dans les Proverbes, qui serre sa poitrine avec ses deux mains. La pauvreté vient fondre sur lui comme un cavalier qui va à toute bride, et il est réduit à manger de sa chair à cause de son extrême faim; ce qui est dit ici hyperboliquement. Cet insensé s'estime plus heureux d'avoir un peu d'orge dans le creux de la main, en vivant dans l'oisiveté et dans la paresse, que de s'en remplir les deux mains en travaillant. Tout le raisonnement de l'Ecclésiaste aboutit donc à nous montrer que celui qui fait quelque chose de bon dans ce monde est toujours exposé aux traits de l'envie, et que celui qui ne fait rien et qui vit dans l'oisiveté et dans le repos est en danger d'être accablé de misère et de pauvreté. Ainsi l'un et l'autre sont également malheureux : le premier à cause des dangers où ses biens et ses richesses peuvent l'exposer, et le dernier à cause de la pauvreté qui le talonne à tout moment.

Disons encore que ces paroles regardent en particulier les envieux, puisque celui qui porte envie au bonheur d'un autre, et qui se laisse emporter à la fureur de cette passion, reçoit dans son sein et dans son coeur un vice capital qui dévore son âme et qui tourne sa fureur contre celui qui lui a donné entrée, jusqu'à lui faire dévorer sa propre chair; car plus il voit de biens et de prospérités dans celui qui est l'objet de son envie, plus est-il tourmenté au dedans de lui-même; en sorte qu'il se dessèche peu à peu, qu'il se détruit, et qu'il fond comme goutte à goutte par l'amertume de sa jalousie et la violence de sa passion. Et paulatim zelo et livore distillat.

V. 6. « Un peu dans le creux de la main vaut mieux, avec du repos, que plein les deux mains avec travail et affliction d'esprit.» Une juste médiocrité est plus avantageuse aux gens de bien que la possession de toutes les richesses des impies. Nous lisons aussi dans les Proverbes : « Peu, avec la justice, vaut mieux que de grands biens avec l'iniquité;» ce qui est exprimé d'une manière très belle pour nous faire remarquer que la justice et la vertu sont accompagnées de la paix et du repos, au lieu que l'iniquité porte avec elle le trouble et le travail. Et parce que le nombre singulier est toujours pris en bonne parte le duel en mauvaise part, on ne doit pas s'étonner si un peu dans le creux de la main est suivi de repos et de contentement, ni de voir les deux mains pleines de travaux et d'inquiétudes.

V. 7 et 8. «Après avoir jeté la vue sur toutes choses, j'ai trouvé encore une autre vanité sous le soleil : tel est seul et n'a personne avec lui, ni enfant, ni frère, qui néanmoins travaille sans cesse; ses yeux ne voient jamais assez de richesses, et il ne lui vient point dans l'esprit de se dire à lui-même : «Pour qui est-ce que je travaille, et pourquoi me priver moi-même de l'usage de mes biens? » C'est là encore une vanité et une affliction très malheureuses.» J'ai encore tourné les yeux d'un autre côté, et j'ai remarqué des gens qui se donnent bien des peines et des soins superflus : ils amassent des richesses par toutes sortes de voies justes et injustes, sans qu'ils aient l'esprit de se servir des biens qu'ils ont amassés. Ils possèdent tout ce qu'on peut posséder; ils couvent leurs trésors; ils ont toujours les yeux dessus pour les garder, et ne savent pour qui ils les conservent avec un si grand soin; ils n'ont jamais la satisfaction de jouir eux-mêmes de leurs travaux, car ils n'ont ni enfants, ni frères, ni proches parents, afin de pouvoir dire qu'ils ont eu de justes motifs pour mettre en réserve les richesses qu'ils ont acquises. Je n'ai donc point remarqué de plus grande vanité ni de plus grande misère que celles d'un homme qui amasse des biens et des trésors, et qui ne tonnait pas ceux à qui il doit les laisser.

Quelques interprètes attribuent à notre Sauveur les paroles suivantes : « Il y en a un seul et qui n'a pas de second;» parce qu'il est descendu du ciel pour sauver seul le monde; et quoiqu'il y ait une infinité d'enfants de Dieu qui sont ses frères adoptifs, il ne s'est pourtant associé personne pour travailler avec lui. Ses travaux sont immenses, ayant pris sur luimême les peines dues à nos péchés et à nos crimes, et n'ayant jamais cessé de travailler et d'être affligé pour l'expiation de nos iniquités, animé qu'il était d'un désir ardent de notre salut. Ce qu'il y a encore de plus admirable dans sa conduite est que, plus nous péchons contre lui, plus nous exhorte-t-il à nous convertir et à faire pénitence.

V. 9 jusqu'au 12. « Il vaut donc mieux être deux ensemble que d'être seul, car ils tirent de l'avantage de leur société: si l'un tombe, l'autre le relève. Malheur à celui qui se trouve seul ! car, lorsqu'il sera tombé, il n'aura personne pour le relever. Si deux dorment ensemble, ils s'échauffent l'un l'autre; mais comment un seul s'échauffera-t-il? Si quelqu'un a de l'avantage sur l'un des deux, tous deux lui résistent; un triple cordon ne se rompt pas aisément. » L'Ecclésiaste vient de parler des inquiétudes et des tortures que se donnent les avares pour acquérir de plus en plus des trésors et des richesses; mais en cet endroit il veut faire l’éloge de la société et des avantages qu'on en peut retirer; car, dit-il, lorsque deux amis demeurent ensemble, il n'est point d'accident fâcheux auquel ils ne puissent remédier : si par hasard l'un vient à tomber, l'autre court aussitôt pour le secourir et le relever. On est aussi moins embarrassé de ses affaires domestiques, et l'on repose bien plus tranquillement pendant la nuit quand on sent à son côté un ami fidèle, que quand on se trouve seul et sans compagnon, quoique d'ailleurs environné de biens et de trésors.

S'il arrive même qu'un ennemi fier et plus fort que l'un des deux se jette sur lui, l'autre viendra à son secours, et tous deux ensemble terrasseront celui qui les aurait vaincus l'un après l'autre. Ainsi , comme deux personnes qui s'entr'aiment véritablement valent beaucoup mieux qu'un homme seul , de même aussi l'union et la société de trois personnes est préférable à celle de deux qui demeurent ensemble; et, ce qui est bien remarquable, c'est que la vraie charité, et (amour du prochain qui n'est point infecté de la malignité de l'envie, devient plus fort et plus noble à proportion qu'il croit en nombre d'amis et de frères. Vera etenim caritas et à nullo livore violata, quanto augetur numero , tanto crescit et robore. Ce sens est simple et naturel.

Au reste, comme nous avons déjà remarqué le sentiment de quelques interprètes qui expliquent de Jésus-Christ ces endroits que nous traitons, je crois que nous devons continuer à rapporter leurs expositions dans le même ordre que nous avons fait ci-dessus. « Il vaut mieux être deux ensemble que d'être seul. » Cela veut dire qu'il vaut infiniment mieux avoir Jésus-Christ dans son coeur que d'être exposé seul aux piéges de son adversaire. Cet avantage parait visiblement dans le secours que Jésus-Christ ne manque pas de donner à tous ceux qui sont en société avec lui; car si quelqu'un de ceux-là vient à tomber par surprise, Jésus-Christ (166) aussitôt accourt à son secours et le relève. « Malheur à celui qui est seul! » et qui n'a pas présent le Sauveur pour le relever de ses chutes. De même si le sommeil de la mort enlève quelque fidèle de ce monde, comme il porte Jésus-Christ dans son sein, il a en lui-même un principe de vie qui le réchauffera et le fera ressusciter plus promptement au dernier jour. Enfin, si le démon se présente pour attaquer rudement un serviteur de Jésus-Christ, alors il se joindra à celui qui est attaqué, pour résister tous deux ensemble à ce fier ennemi. Ce n'est pas que la vertu seule de Jésus-Christ ne soit toute-puissante contre le démon; mais c'est pour faire connaître le libre arbitre de l'homme, à qui Dieu le laisse toujours, et pour nous avertir en même temps que Jésus-Christ devient plus fort en ses membres contre le démon lorsque nous concourons à notre propre défense. Non quod solius Christi adversus diabolum virius infirma sit; sed quod liberum homini relinquatur arbitrium, et annitentibus nobis ipse in praeliando fortior fiat.

V. 13 jusqu'au 17. « Un enfant pauvre, mais qui est sage, vaut mieux qu'un roi vieux et insensé, qui ne sait rien prévoir pour l'avenir; car quelquefois tel est dans la prison et dans les fers qui en sort pour être roi, et tel est né roi qui tombe dans une extrême pauvreté. J'ai vu tous les hommes vivants qui marchent sous le soleil avec un second jeune homme, qui doit succéder à son tour. Tous ceux qui ont été avant lui sont un peuple infini en nombre, et ceux qui doivent venir après ne se réjouiront point en lui. Mais cela même est une vanité et une affliction d'esprit. » Mon précepteur dans l'hébreu, que je cite souvent dans cet ouvrage, me dit, un jour qu'il lisait l'Ecclésiaste avec moi, que Baraciba, le plus célèbre de tous les docteurs juifs, expliquait ainsi cet endroit de l'Écriture. L'homme intérieur , qui commence d'agir en nous après l'âge de quatorze ans, ou l'âge de puberté, vaut beaucoup mieux que l'homme extérieur et charnel qui est sorti du ventre de la mère avec un grand penchant pour les vices. Il est sorti du sein de lanière comme d'une prison où les enfants sont enchaînés, et il n'en est sorti que comme un esclave du péché qui règne en lui. Cet homme est tombé dans une extrême pauvreté en la personne de ses descendants, qui commentent toutes sortes de crimes. J'ai donc vu ceux qui ont vécu selon les inclinations du premier homme, et qui dans la suite ont quitté l'enfance pour passer à un âge plus raisonnable, à l'état du second homme, qui se forme en nous peu à peu pendant que le premier se détruit ; et j'ai remarqué que tous avaient péché dans ce premier homme avant que devoir paraître en eux le second, et avant qu'on vit deux hommes contraires en chacun de nous. Mais comme ils se sont tournés du côté du bien et qu'ils ont quitté la gauche de la lettre Y (1), fameuse parmi les philosophes, pour se jeter à droite, je veux dire pour suivre le second homme qui a succédé au premier, ils n'ont point de joie lorsqu'ils se souviennent de ce premier homme qui les a fait pécher. L'Apôtre nous est aussi témoin que nous portons deux hommes en nous-mêmes; et cette expression suivante du livre du Lévitique semble nous en avertir: « L'homme, l'homme qui voudra faire cela ou ceci, etc. »

Saint Grégoire, évêque de Pont, disciple d'0rigène, a pris ce passage dans le sens suivant, quand il a expliqué l'Ecclésiaste. Pour moi, dit-il, je préfère volontiers un enfant pauvre et sage à un vieux fou qui est assis sur le trône, et qui est incapable de comprendre qu'il n'est pas impossible que quelqu'un de ceux qu'on a mis en prison et chargés de chaînes par ses ordres sorte de là pour être couronné roi, et que lui-même perde toute son autorité et la puissance dont il abuse si injustement; car il arrive quelquefois que ceux qui ont vécu d'abord sous le règne d'un roi fort vieux trouvent ensuite de grandes douceurs sous la conduite d'un enfant qui gouverne sagement son royaume; mais ceux qui viendront après eux, n'ayant aucune connaissance des maux passés, ne pourront point louer l'enfant sage qui a succédé à un roi vieux et insensé, parce qu'ils se laisseront emporter par de fausses opinions et par les mouvements impétueux de leurs inclinations opposées à la vertu.

Apollinaire, évêque de Laodicée, fameux interprète des Ecritures, tâche ici, à son ordinaire, d'expliquer les plus grandes difficultés et de dire de grandes choses en peu de mots. Il prétend tend que l'Ecclésiaste parle en cet endroit de l'échange imprudent que l'on fait quand on donne de grandes et de bonnes choses pour d'autres moindres et mauvaises. Par là il veut nous donner l'idée de ces hommes insensés qui préfèrent les biens présents et passagers à la félicité des biens futurs et de la vie éternelle qu'ils ne considèrent jamais, ne prenant plaisir que dans la jouissance de ce qui flatte les sens et leurs inclinations brutales. Après qu'il a encore parlé en général de ce qui arrive dans ce monde et des vicissitudes qu'on y remarque, il conclut enfin par la mort, qui est le terme de toutes les fortunes du siècle et de toutes les actions des hommes. On voit donc mourir tous les jours une infinité de personnes dont d'autres occupent aussitôt la place , et ces derniers feront bientôt place à d'autres qui viendront après eux. Cette succession continuelle est la preuve de la vérité des paroles de l'Ecclésiaste.

Origène et Victorin, qui s'accordent assez, appliquent cet endroit à Jésus-Christ et au démon. Jésus-Christ est l'enfant pauvre et plein de sagesse, et le démon le roi vieux et insensé. L'Ecclésiaste a donc vu par un esprit prophétique tous les hommes qui peuvent être participants des grâces de celui qui dit : « C'est moi qui suis la vie,» et qui abandonnent le roi vieux et insensé pour suivre Jésus-Christ. Ou bien ceci est la figure de deux peuples d'Israël, du premier qui a été attaché à Dieu avant la venue de notre Sauveur, et du dernier qui doit recevoir l'Antéchrist pour le véritable Christ. Ce premier peuple n'a pas été entièrement rejeté, puisque la première Eglise de Jésus Christ a été formée en partie du peuple juif d'où les apôtres ont été choisis; mais les Juifs qui donneront dans l'illusion à la fin du monde n'auront aucun sujet de se réjouir et de se glorifier dans la personne de leur Christ, eux qui mettront, à la place du Messie et de l'oint du Seigneur, un méchant homme et le véritable Antéchrist.

V. 17. « Considérez où vous mettez les pieds lorsque vous allez en la maison du Seigneur, et approchez en sorte que vous écoutiez; car l'obéissance vaut mieux que les victimes des insensés, qui ne connaissent pas le mal qu'ils font. » L'Ecclésiaste nous donne ici d'excellents préceptes pour notre conduite. Il nous avertit de prendre garde à ne point faire de faux pas quand nous allons à l'Église; car on ne se rend point recommandable pour entrer dans la maison du Seigneur; mais c'est quand on y entre sans l'offenser. D'ailleurs s'il était donné à tous ceux qui sont dans l'Église d'entendre la parole de Dieu, l'auteur de ce livre n'eût point ajouté: « Et approchez-vous afin que vous entendiez.» Nous lisons aussi dans le livre de l'Exode que Moïse était le seul qui approchait de Dieu pour l'entendre, pendant que les autres se tenaient loin et ne pouvaient en approcher. Les hommes insensés, qui ignorent que ces maximes sont les vrais remèdes du péché, s'imaginent qu'ils pourront faire satisfaction à Dieu pour leurs offenses, et effacer leurs péchés, pourvu qu'ils fassent des dons et des présents à l'autel. Ils ne comprennent pas que c'est un grand mal et un grand péché de se flatter que, sans obéir aux commandements de Dieu et sans faire de bonnes oeuvres, on peut se convertir, et expier les crimes qu'on a commis par des victimes et des dons qu'on offre à Dieu. Il y a des passages dans l'Écriture qui confirment cette vérité et qui nous disent que« l'obéissance est préférable aux sacrifices; » et ailleurs encore il est écrit :« C'est la miséricorde que je demande, et non pas des sacrifices.»

 

 

CHAPITRE V

Néant de l'homme à l'heure de la mort.

 

V. 1. « Ne dites rien inconsidérément et avec précipitation ; que votre coeur ne se hâte point de proférer des paroles devant Dieu; car Dieu est dans le ciel et vous êtes sur la terre; c'est pourquoi parlez peu. La multitude des soins produit les songes, et l'imprudence se trouve dans la multitude: des paroles.» Plusieurs se persuadent que l'Écriture nous ordonne dans ce passage d'être fort réservés à faire des promesses et des vœux devant le Seigneur, sans avoir auparavant examiné si nos forces nous permettront de les accomplir; car Dieu est présent quand nous le prions, et, bien qu'il habite dans le ciel et que nous vivions sur la terre, il entend néanmoins tout ce que nous disons : ainsi il condamne notre imprudence et notre témérité quand nous parlons beaucoup en sa présence. D'autres disent, avec plus de raison et dans un meilleur sens, que l'Ecclésiaste (168) nous avertit de prendre garde, lorsque nous considérons les perfections de Dieu ou que nous en parlons, de ne point nous former des idées indignes de cet être souverain, mais de nous souvenir de notre propre faiblesse, et que nos pensées sont aussi éloignées de la nature de Dieu que le ciel est élevé au-dessus de la terre c'est pourquoi nous devons peu parler de ces choses; car de même qu'un homme qui a la tête embarrassée de plusieurs affaires est sujet à beaucoup de rêves et de songes pendant la nuit, il arrive aussi à ceux qui osent disputer et faire de longs discours sur la nature de Dieu de tomber dans des illusions et des opinions peu sensées. Enfin on peut encore donner ce sens aux versets que nous expliquons. Nous devons d'autant plus parler peu de Dieu que nous ne connaissons que fort imparfaitement les choses mêmes dont nous croyons avoir une entière certitude: nous les voyons dans de faibles images et dans un miroir, enveloppées souvent d'énigmes et de figures obscures; et, s'il faut parler juste, notre science tient beaucoup des songes d'un homme qui rêve et qui se croit fort riche pendant son sommeil. Après tout, nos discours touchant la Divinité n'aboutissent qu'à faire paraître notre témérité et notre imprudence; car en parlant beaucoup nous ne saurions éviter de commettre quelque péché.

V. 3 et 4. « Si vous avez fait un vœu à Dieu, ne différez pas de vous en acquitter, car la promesse infidèle et imprudente lui déplait; mais accomplissez tous les voeux que vous aurez faits. Il vaut beaucoup mieux ne faire point de voeux que d'en faire et de ne les pas accomplir.» Un endroit aussi clair et aussi facile à comprendre n'a pas besoin de commentaire: il vaut beaucoup mieux ne rien promettre à Dieu que de ne point accomplir ce qu'on lai a promis, parce que cela lui déplait infiniment, et que ceux qui ne s'acquittent pas de leurs vaux et de leurs promesses sont mis au rang des insensés. Mais si nous voulons approfondir davantage ces paroles de l'Écriture, nous pouvons dire qu'elle ordonne aux chrétiens de ne point avoir une foi stérile, mais d'accomplir par de bonnes ouvres ce qu'ils ont promis dans leur baptême. Autrement ils se rendent semblables aux Juifs, qui ne laissèrent pas de tomber dans le culte des idoles après avoir fait à Dieu des promesses solennelles et avoir dit tous d'une même voix : « Nous accomplirons tous les commandements du Seigneur. » Ces promesses ne les ont point empêchés de maltraiter les serviteurs du père de famille, de les déchirer à coups de verges, de les lapider, ni enfin de faire mourir son propre fils. Il vaut donc beaucoup mieux peser bien ce qu'on veut faire avant que de se déterminer, que de promettre facilement et de se rendre ensuite difficile à s'acquitter de ce qu'on a promis, parce que le serviteur qui tonnait la volonté de son maître et qui ne l'accomplit pas mérite d'être châtié fort sévèrement.

V. 5. « Que la légèreté de votre bouche ne soit pas à votre chair une occasion de tomber dans le péché, et ne dites pas devant l'Ange: « On ne connaît point ce qui se passe », de peur que Dieu, étant irrité par vos paroles, ne détruise tous les ouvrages de vos mains.» Voici ce que mon Hébreu pensait sur ces paroles. Ne promettez point ce que vous ne pouvez pas accomplir, car le vent n'emporte point vos paroles; mais l'ange gardien, qui est présent et que Dieu a donné à chacun de nous pour nous accompagner, porte aussitôt devant Dieu tout ce que vous dites; et vous, qui prétendez que Dieu n'a pas entendu les promesses que Nous lui avez faites, vous excitez sa colère et l'obligez par votre conduite à dissiper et détruire toutes vos entreprises et toutes vos actions. Cela est bien pensé, mais il n'a pas fait assez d'attention quand il a expliqué ces paroles « pour l'aire tomber votre chair dans le péché,» parce qu'il a cru que l'Ecclésiaste avait dit « N'abusez point de votre bouche, pour ne point pécher. »

Pour moi, je trouve un autre sens dans ce verset, et je ne doute point que l'Ecclésiaste n'y condamne ceux qui se plaignent de la fragilité et des mauvaises inclinations de leur corps, et qui disent qu'ils sont nécessités par la chair à faire ce qu'ils ne voudraient pas, selon ce que dit l'Apôtre : « Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je ne veux pas, etc. » Ne cherchez donc pas, dit Salomon, de vains prétextes et des excuses frivoles pour être une occasion de péché à votre corps, et ne dites pas Ce n'est pas moi qui pèche, mais c'est le péché qui est dans ma chair. Aquila dans sa version a traduit le mot hébreu segaga par : involontaire, et il veut que l'Écriture en cet (169) endroit nous défende de dire devant l'ange que Dieu nous a donné : « Ce que je fais est involontaire;» car en parlant de la sorte vous offensez Dieu et le faites auteur du mal et du péché, ce qui vous attire son indignation et sa colère, et l'oblige d'arracher d'entre vos mains tout le bien que vous pouviez avoir. Et peut-être que si vous avez de ces sentiments, Dieu vous abandonnera à un sens réprouvé qui vous fera faire bien des choses qui ne conviennent pas à un homme raisonnable.

V. 6. « Où il y a beaucoup de songes il y a aussi beaucoup de vanité et des discours sans fin; mais, pour vous, craignez Dieu. » Les Hébreux expliquent encore ce verset en cette manière : Ne tombez pas dans les péchés dont nous venons de parler ci-dessus, et ne soyez point facile à croire aux songes; et lorsqu'il vous arrivera d'avoir des songes et des représentations de diverses choses pendant le repos de la nuit, méprisez-les comme des illusions et des rêves, et ne craignez que Dieu seul et non les fantômes que vous avez pu voir en dormant, parce que ceux qui croient aux songes s'abandonnent à beaucoup de vanités et d'inepties.

Expliquons ceci dans un autre sens, et écoutons ce que dit l'Ecclésiaste : Comme je vous ai déjà averti de prendre garde, « que votre bouche ne soit pas à votre chair une occasion de tomber dans le péché, » et de ne point chercher des excuses frivoles à vos péchés, je continue ici à vous donner les mêmes avis, et j'ajoute sur cela que, notre vie n'étant qu'un songe, nous vivons et nous passons de même que les diverses figures que nous remarquons dans les nuées; que c'est cette légèreté qui nous fait trouver beaucoup de raisons vraisemblables pour excuser nos fautes et nos péchés. C'est pourquoi je vous exhorte de faire attention sur vous-même, de prendre garde surtout de ne point vous imaginer que Dieu n'est pas présent à tout ce que vous faites; mais que sa crainte au contraire vous persuade fortement que vous ne faites point d'action que ses yeux ne considèrent ; qu'il vous a créé avec la liberté, et qu'étant d'une nature libre, vous n'êtes point forcé de faire ce que vous faites, mais que vous le faites parce que vous voulez bien le faire : Teque liberi arbitrii conditum non cogi, sed velle quod facias.

V. 7 et 8. « Si vous voyez l'oppression des pauvres, la violence qui règne dans les jugements, et le renversement de la justice dans une province, que cela ne vous étonne pas; car celui qui est élevé en a un autre au-dessus de lui; et il y en a encore d'autres qui sont élevés au-dessus d'eux; et de plus il y a un roi qui commande à tout le pays qui lui est assujetti. » La robe de Jésus-Christ, qui était sans couture et faite d'un même tissu depuis le haut jusqu'en bas, ne put être déchirée par ceux qui le crucifièrent. Un possédé qu'il avait délivré de la servitude du démon fut couvert des habits de ses apôtres, et s'en retourna chez lui parfaitement sain et guéri. Apprenons de là, dans nos traités de l'Ecriture, à ne point déchirer les vêtements de notre Ecclésiaste, à ne point quitter l'ordre et la suite du texte, de peur d'imiter ceux qui ne font qu'entasser des opinions et des divers sentiments les uns sur les autres, comme s'ils voulaient faire à leur gré un vêtement de plusieurs vieilles pièces d'étoffe rapportées et cousues les unes avec les autres. Que nos explications soient donc suivies, et qu'elles ne changent point le sens que nous avons déjà donné aux paroles de l'Ecriture. L'Ecclésiaste a dit auparavant: « Gardez-vous de dire devant votre bon ange », que Dieu ne connaît pas ce qui se passe ici-bas, afin de ne pas irriter sa colère par un tel blasphème. II s'est aussi élevé contre ceux qui nient la Providence et qui ne veulent pas que Dieu se mêle de la conduite des choses humaines; mais comme ce qu'il commandait n'était pas sans difficulté et qu'on pouvait lui objecter: S'il est vrai qu'il y a une Providence, pourquoi les justes sont-ils dans l'oppression, et pourquoi voyons-nous dans tout le monde tant d'injustices et tant d'iniquités, sans que Dieu en prenne aucune vengeance? il répond donc à cette difficulté en disant ici : Si vous voyez le pauvre dans l'oppression et dans la misère, et si vous êtes choqué de ce que les richesses l'emportent sur la justice, n'en soyez pas surpris puisque Dieu, qui est infiniment élevé au-dessus de tout ce qu'il y a de plus grand et de plus puissant, considère toutes ces choses; et quoiqu'il pût dès à présent remédier à tout par ses anges, qu'il a établis sur les grands et sur les juges de la terre, il diffère néanmoins à faire justice ,jusqu'à la fin des siècles, quand il séparera pour jamais les bons des méchants et qu'il rendra à chacun selon ses oeuvres. Il en use à présent comme un laboureur qui souffre pour un temps dans son champ le mélange de l'ivraie avec le froment : le temps de la moisson viendra, et alors on amassera le bon grain pour le conserver, et l'on fera brûler les ivraies et les méchantes herbes.

V. 9 et 10. « L'avare n'a jamais assez d'argent; et celui qui aime les richesses n'en retire point de fruit : c'est donc là encore une vanité. Où il y a beaucoup de bien il y a aussi beaucoup de personnes pour le manger : de quoi donc sert-il à celui qui le possède, sinon qu'il voit de ses yeux beaucoup de richesses? » On nous donne en cet, endroit une idée juste d'un homme avare, qui ne peut être rassasié de biens et de richesses, parce que tant plus il en a tant plus en souhaite-t-il, selon cette belle maxime d'Horace: « L'avare est toujours dans l'indigence. » Salluste, appelé le noble historien, a dit aussi, de la cupidité des richesses, que « l'avarice ne diminue point, soit dans l'indigence, soit dans l'abondance. » L'Ecclésiaste nous assure donc que les richesses n'apportent aucune utilité à celui qui les possède, si l'on en excepte le plaisir qu'il a de les voir de ses yeux; car à proportion qu'il a de biens, il prend un plus grand nombre de domestiques et de serviteurs qui consomment ses revenus et ses richesses, de sorte qu'il n'en a que sa part comme l'un d'eux , ne prenant que la nourriture d'une seule personne selon sa capacité.

V. 11. « Le sommeil est doux à l'ouvrier qui travaille, soit qu'il ait peu ou beaucoup mangé mais le riche est si rempli de viandes qu'il ne peut dormir. » Il continue de parler des riches et des avares, et il les compare à ceux qui travaillent pour gagner leur vie, et qui dorment tranquillement, soit qu'ils aient peu ou beaucoup mangé du fruit de leur travail; au lieu que les riches ne sauraient reposer, pleins qu'ils sont de toutes sortes de viandes, dont l'intempérance leur cause une grande indigestion et des chaleurs excessives qui tourmentent l'estomac, sans parler des pensées et des inquiétudes qui leur déchirent le coeur pendant la nuit. Au reste, comme « la mort et est souvent appelée « sommeil, » nous pouvons dire qu'elle sera douce et agréable à ceux qui auront travaillé pendant cette vie, et qui se seront exercés dans de bonnes œuvres. Il n'en sera pas de même à l'égard des riches, qui ne pensent point à travailler à leur salut, et que l'Ecriture condamne par ces paroles: « Malheur à vous, riches! parce que vous avez reçu toutes les consolations que vous pouviez vous donner. »

V. 12 jusqu'au 16. « Il y a encore une autre maladie très fâcheuse que j'ai vue sous le soleil des richesses conservées avec soin pour être le tourment de celui qui les possède. Il les voit périr avec une extrême affliction. Il a mis au monde un fils qui sera réduit à la dernière pauvreté. Comme il est sorti nu du sein de sa mère, il y retournera de même, et n'emportera rien avec lui de son travail. C'est là vraiment une maladie bien digne de compassion. Il s'en retournera comme il est venu : de quoi lui sert donc d'avoir tant travaillé en vain? Tous les jours de sa vie il a mangé dans les ténèbres, dans un embarras de soins, dans la misère et dans les chagrins. » Ceci est la suite de ce que l'Ecclésiaste a déjà dit en parlant des riches, qui ne sauraient jouir de leurs propres biens, et qui encourent souvent de grands dangers à cause de leurs richesses. Il sont si malheureux que de n'avoir pas même la consolation de laisser à leurs enfants ce qu'ils ont amassé, parce que les uns et les autres sont enlevés de ce monde par la nécessité de la mort, et s'en retournent tout nus en terre comme ils étaient venus au monde, sortant du sein de leurs mères. Rien ne les accompagne en l'autre vie; ils y vont tout seuls et tout nus. Mais en vérité n'est-ce pas la plus mortelle des maladies, et la dernière des misères, que de se tourmenter si violemment par tant de peines d'esprit pour acquérir des richesses périssables, que nous ne saurions emporter avec nous en mourant, quoiqu'elles nous aient coûté beaucoup d'afflictions, de gémissements, de chagrins et de procès, et cent autres semblables travaux inutiles?

V. 17, etc. « J'ai donc cru qu'il est bon qu'un homme mange et boive, et qu'il se réjouisse dans le fruit qu'il retire de tout le travail qu'il endure sous le soleil pendant les jours que Dieu lui a donnés pour la durée de sa vie, et que c'est là son partage. Et quand Dieu a donné à un homme des richesses, du bien et le pouvoir d'en manger, de jouir de ce qu'il a eu en partage et de trouver sa joie dans son travail, cela même est un don de Dieu; car il se souviendra peu des jours de sa vie, parce que Dieu occupe son coeur de délices. » L'auteur de ce livre trouve fort heureux un homme qui sait faire usage du bien qu'il possède, en comparaison d'un avare qui mange à la dérobée et en cachette le peu qu'il prend pour se sustenter, et qui pendant toute sa vie s'accable de peine et de chagrin pour amasser des richesses périssables dont la mort le dépouillera bientôt ; car celui qui se sert de son bien en retire du moins quelque petit plaisir passager, au lieu que l'avaricieux n'en a d'autre avantage qu'un excès de peines et d'embarras. Et la raison qu'il donne lorsqu'il dit que c'est un bienfait de Dieu que de pouvoir jouir de son bien; c'est, ajoute-t-il, « parce qu'il se souviendra peu des jours de sa vie. » Cela veut dire que Dieu, par la joie qu'il lui permet d'avoir , le retire des occupations accablantes de l'avarice; et c'est ce qui fait qu'il ne vit pas dans la tristesse, qu'il n'est point déchiré de diverses pensées, et qu'il ne songe qu'aux divertissements dont il jouit actuellement. Mais il me paraît plus vraisemblable d'entendre ceci du manger et du boire spirituel dont parle l'Apôtre, de cette viande divine que Dieu donne à notre esprit et qui nous remplit le coeur de joie, en récompense des travaux qui nous occupent saintement dans ce monde; car il nous coûte toujours beaucoup d'application et de trayait de contempler les vérités éternelles de la foi et les solides biens de notre espérance. C'est donc là notre sort et notre partage, de pouvoir jouir du fruit de notre étude et de nos saintes méditations. Mais après tout, quelque avantage que nous trouvions en cela même, nous ne jouirons jamais parfaitement des biens célestes jusqu'à ce que Jésus-Christ, qui est notre vie, se manifeste à nous et nous rende participants de sa gloire.

 

 

CHAPITRE VI

Néant d'une longue vie.

 

V. 1, etc. « Il y a encore un autre mal que j'ai vu sous le soleil, et qui est ordinaire parmi les hommes: un homme à qui Dieu a donné des richesses, du bien, de l'honneur, et à qui il ne manque rien de tout ce qu'il peut désirer pour la vie ; et Dieu ne lui a point donné le pouvoir d'en manger, mais un étranger dévorera tout. C'est là une vanité et une grande misère. Quand un homme aurait eu cent enfants, et qu'il aurait vécu beaucoup d'années, et qu'il serait fort avancé en âge, si son âme n'use point du bien qu'il possède , et qu'il soit même privé de la sépulture, je ne crains point d'avancer de cet homme qu'un avorton vaut mieux que lui; car c'est en vain qu'il est venu au monde : il s'en retournera dans les ténèbres, et son nom sera enseveli dans l'oubli. Il n'a point vu le soleil, et n'a point connu la différence du bien et du mal ; mais il est plus heureux que l'autre, quand il aurait vécu deux mille ans, s'il n'a point joui de ses biens. Tous ne vont-ils lias au même lieu ? »

Salomon dans cette section nous fait; la peinture d'un riche avaricieux, en nous assurant que la sordide avarice est un mal fort commun parmi les hommes. Cet homme à qui chose du monde ne planque est assez malheureux pour s'affliger lui-même par une épargne pleine de folie, et pour se refuser ce qu'il conserve à la dissolution de ceux qui jouiront de ses biens. Et pour exagérer davantage la misère de cet avare, l'Ecclésiaste ajoute encore que, quand un riche de cette nature aurait mis au monde cent enfants, et quand même il aurait vécu, non pas près de mille ans comme Adam , mais deux mille si l'on veut, il ne craint point de lui préférer un avorton qui périt au moment de sa naissance; car enfin celui-ci n'a jamais connu ni éprouvé aucun mal ni aucun bien; au lieu qu'un avaricieux qui possède des biens immenses est bourrelé et tourmenté de beaucoup de soins, de chagrins et d'inquiétudes. D'ailleurs un avorton passe d'abord au repos du tombeau, pendant que l'avaricieux est dans des agitations continuelles et qui durent autant que sa vie; après quoi la mort les met l'un et l'autre dans un même lieu.

Ce qui est remarqué au milieu du texte : « Il n'a pas même eu de sépulture, » peut signifier que le riche avaricieux n'a pas songé à se préparer un sépulcre, de peur que cette dépense ne diminuât en quelque l'acon ses grandes richesses; ou bien l'Ecriture nous apprend ce qui arrive fort souvent dans le monde, quand des gens riches sont assassinés par des voleurs et des scélérats qui privent de la sépulture les corps de ceux qu'ils ont tués pour avoir leurs richesses, en les cachant dans des lieux inconnus afin de n'être point découverts. Mais je crois que les paroles de l'Ecclésiaste ont un sens qui parait plus naturel. Il veut donc dire que le riche avaricieux n'a jamais fait de belles actions qui eussent pu conserver sa mémoire à la postérité. Ainsi, ayant vécu comme les bêtes, dont la mémoire est entièrement abolie, on ne se souvient pas plus des avares que s'ils n'avaient jamais été, quoiqu'ils aient possédé des trésors et des richesses qui les auraient rendus recommandables s'ils avaient su s'en servir et les employer à leur propre gloire.

V. 7 et 8. « Tout le travail de l'homme est pour la bouche, mais son âme n'en est pas remplie. Qu'a le sage de plus que l'insensé? qu'a le pauvre au-dessus de lui , sinon qu'il va au lieu où est la vie ? » Tout le travail des hommes dans ce monde aboutit à la conservation de la vie : on travaille pour avoir de quoi manger, et la bouche consume tout le fruit du travail de nos mains. Les viandes, après avoir été brisées par les dents dans notre bouche, descendent dans l'estomac où se fait la digestion. Le plaisir court que donne le manger commence dans la bouche ; on ne le sent que pendant que les viandes sont dans le gosier ; dès qu'elles sont descendues dans les entrailles, il n'y a plus de différence entre les mets les plus exquis et les plus délicieux et les viandes les plus grossières. On a beau se rassasier et manger souvent, l'âme n'en est pas moins vide, soit à cause que nous avons toujours faim et besoin de prendre de la nourriture pour nous conserver la vie , soit à cause que les viandes corporelles ne contribuent point à la réfection spirituelle de l'âme; car le sage peut aussi peu se passer de nourriture pour la vie du corps que les fous et les insensés, les uns et les autres étant également assujettis à toutes ces nécessités. C'est ce qui oblige les pauvres à se trouver devant les maisons des grands, où ils savent qu'ils recevront les aumônes des riches.

Mais pour donner un sens plus noble à ces paroles, il faut les entendre des fidèles qui sont savants dans les divines Écritures, et qui portent dans leur bouche cette céleste doctrine qu'ils ont apprise avec beaucoup de peine et de travail pour en nourrir leur esprit et pour en édifier leurs frères qui les entendent parler. Leur âme ne peut assez se remplir de cette divine nourriture, parce que leur coeur a toujours plus d'ardeur et de zèle à mesure qu'ils acquièrent des lumières et des connaissances nouvelles. Et de là vient la différence du chrétien sage et du chrétien insensé, de celui qui est pauvre selon les maximes de l'Evangile et de celui qui ne l'est point. Celui qui est pauvre ou détaché de toutes les affections de la terre reconnaît sa pauvreté et son indigence : c'est pourquoi il tâche de s'élever au-dessus de lui-même pour contempler les vérités divines qui nous promettent la vie et des délices éternelles. Ces connaissances lui font ensuite embrasser un état plus saint, et le font marcher dans la voie étroite qui conduit à la vie. Quand il est assez heureux que d'être arrivé à ce haut point de perfection il se trouve pauvre, c'est-à-dire exempt de tout péché ; et alors il connaît distinctement où Jésus-Christ, qui est notre vie, a établi sa demeure, et où il se plait d'habiter.

V. 9. « Il vaut mieux se conduire avec circonspection que de s'abandonner à ses inclinations; mais cela même est une vanité et une présomption d'esprit. » La version de Symmaque est beaucoup plus claire en cet endroit, où nous lisons : « Il est plus avantageux d'avoir de la prévoyance que de se conduire comme l'on veut;» c'est-à-dire : II vaut mieux faire toutes choses avec sens et ,jugement, qui sont les yeux de l'âme, que de s'abandonner à ses inclinations et aux mouvements de sa propre volonté; car c'est ce qu'on appelle dans l'Écriture . « marcher dans l'âme; » comme il est dit dans Ezechiel : « Ces gens se conduisent au gré de la volonté de leur coeur. »

Mais on peut dire que l'Ecclésiaste invective contre l'orgueil et contre la complaisance que les orgueilleux ont pour leurs propres lumières. II vaut donc mieux faire toutes ses actions avec sagesse et prévoyance que de n'approuver que ce que l'on l'ait, parce qu'il n'est rien de plus vain ni de plus mauvais que cette complaisance orgueilleuse qu'on a pour soi-même. Quo nihil deterius, et omni vento vanius. Remarquez encore ici que Symmaque appelle «affliction d'esprit » ce que les autres interprètes ont traduit « présomption d'esprit , » ou « se repaître de vent. » Ces différences sont venues de l’ambiguïté du terme hébreu ruha, qui signifie: le vent, et : l'esprit.

V. 10. « Celui qui doit être est déjà connu par son nom ; on sait qu'il est homme, et qu'il (173) ne peut pas disputer en jugement contre un plus puissant que lui. » Ceci est une prédiction manifeste de l'avènement du Sauveur, dont le nom était marqué dans les Écritures avant son incarnation. Il était aussi connu des prophètes et des serviteurs de Dieu, qui savaient qu'il serait homme, et qu'en cette qualité il ne pouvait pas se comparer à son père ni disputer avec lui; comme il a dit lui-même dans l'Évangile: «Mon père, qui m'a envoyé, est plus grand que moi. » C'est pourquoi on nous ordonne dans la suite de ce livre de n'être pas trop curieux pour vouloir approfondir ce mystère, et pour savoir sur ce sujet beaucoup de choses que l'Écriture ne nous a point enseignées. Ne velit homo plus scire quàm Scriptura testata est. Car n'ayant presque point de connaissance de notre état et de ce que nous sommes, et d'ailleurs notre vie passant comme une ombre, dans l'incertitude des choses à venir, il ne nous convient pas de vouloir examiner des choses qui surpassent la portée de notre esprit.

Quelques-uns ont cru que le verset que nous expliquons signifie que Dieu tonnait par leurs noms tous les hommes qui viendront après nous, et qu'il n'appartient pas à l'homme de faire rendre compte à celui qui l'a fait, ni de lui demander pourquoi il l'a fait de telle ou de telle manière ; que plus on s'attache à la recherche de ces choses inconnues, plus aussi fait-on paraître la vanité et l'inutilité de ses discours; qu'au reste la prescience de Dieu n'ôte point le libre arbitre; mais qu'il y a des raisons précédentes qui justifient pourquoi chaque chose a été faite de la sorte.

 

CHAPITRE VII

Néant des curiosités et des sciences

 

V. 1. « On discourt beaucoup, on se répand en beaucoup de paroles dans la dispute , et ce n'est que vanité. Qu'est-il nécessaire à un homme de rechercher ce qui est au-dessus de lui, surtout ne connaissant point ce qui lui est avantageux en sa vie, pendant les jours qu'il est étranger sur la terre, et durant le temps qui passe comme l'ombre? Ou qui lui pourra découvrir ce qui doit être après lui sous le soleil ? » Puisque l'homme, dit l’Ecclésiaste, est si peu clairvoyant en ce qui le regarde, et que toutes ses connaissances sont si éloignées de la vérité,

embarrassées d'ombres, d'obscurités et de nuages, et que d'ailleurs la multitude de paroles le fait tomber dans le péché. qu'il apprenne à se taire et à ne point raisonner sur nos divins mystères; qu'il lui suffise de croire que Jésus-Christ est venu pour nous sauver, sans trop examiner les circonstances de son avènement, la manière en laquelle il s'est fait voir, pourquoi il n'est pas venu avec un grand éclat de puissance et de majesté, et pourquoi il a voulu au contraire se faire si faible et si pauvre devant les hommes

V. 2. « La bonne réputation vaut mieux que les parfums précieux, et le jour de la mort que celui de la naissance. » Considérez, dit-il, vous qui êtes un homme mortel, considérez la brièveté de votre vie, et souvenez-vous qu'en peu de temps votre corps va être réduit en poudre, et que vous ne serez plus ce que vous êtes aujourd'hui. Faites-vous donc, pendant que vous vivez, une bonne réputation qui dure plus que votre vie, et tâchez de mériter que la postérité, entendant prononcer votre nom, en ait autant de joie et de plaisir que ceux qui sentent l'odeur des parfums les plus précieux et les plus agréables. Quant à ce qui est dit du jour de la mort et du jour de la naissance, cela nous apprend qu'il est plus avantageux à un homme de quitter le monde, et d'être délivré d'une infinité d'afflictions et de l'incertitude de son salut, que de venir au monde pour être exposé à tous ces dangers et sujet à toutes ces misères. D'ailleurs on sait au jour de la mort ce que nous avons été, mais personne ne peut dire, le jour de notre naissance, ce que nous serons un jour. Enfin l'âme séparée du corps, quand l'homme meurt, est mise en liberté, au lieu que depuis le jour de notre naissance l'esprit se trouve lié à une chair mortelle, qui lui fait trop souvent sentir le poids de ses infirmités et de ses faiblesses.

V. 3. « Il vaut mieux aller à une maison de deuil qu'à une maison de festin; car dans celle-là on est averti de la fin de tous les hommes, et celui qui est vivant pense à ce qui lui doit arriver un jour. » On retire plus de profit d'assister aux funérailles qu'on fait aux morts que d'aller goûter les délices des festins, parce que la présence d'un corps mort nous fait rentrer en nous-mêmes, et nous avertit de toutes les misères humaines, dont la plus terrible est la nécessité de la mort ; mais lorsque nous sommes dans un festin il arrive que nous ne pensons qu'à nous réjouir, et que la dissolution nous fait perdre la crainte et le souvenir que nous pouvions avoir des jugements de Dieu.

Au reste, remarquez ici qu'on peut démontrer par les sentiments de l'Ecclésiaste, qui semble ci-dessus autoriser la volupté et les délices du corps, qu'il n'a jamais prétendu leur donner la préférence sur une vie réglée, comme plusieurs se l’imaginent mal à propos , mais qu'il a seulement comparé un homme qui sait faire usage de son bien à celui qui, par une avarice excessive, se prive des nécessités même fie la vie, en comparaison duquel un homme qui se sert de ce qu'il possède est infiniment plus heureux et plus sage, encore qu'il ne prenne que des plaisirs d'un moment; car comment l'auteur de ce livre pourrait-il préférer le deuil et la tristesse des funérailles à la joie et aux plaisirs des festins, s'il croyait que le boire et le manger sont des choses bien avantageuses? Nunquam enim tristiam luctus festivitati convivii praetulisset, si bibere et vesci alicujus putasset esse momenti.

V. 4. « La colère vaut mieux que les ris, parce que le coeur est corrigé par la tristesse qui parait sur le visage. » Le ris fait tomber dans la dissolution ceux qui aiment à rire ; la colère et la tristesse corrigent et font revenir ceux qui pèchent. Soyons donc en colère contre nous-mêmes lorsque nous sommes tombés dans quelque faute et dans quelque péché. Fâchons-nous aussi contre ceux qui pèchent , parce que la sévérité d'un visage triste est un grand remède pour nous rendre meilleurs intérieurement , comme l'explique la version de Symmaque. C'est pourquoi nous pouvons dire avec Jésus-Christ clans l'Evangile : « Malheur à vous qui riez maintenant, parce que vous pleurerez. »

V. 5. « Le cœur des sages est où se trouve la tristesse, et le coeur des insensés où la joie se trouve. « Heureux,» dit notre Sauveur, «ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. » Samuel, depuis le péché du roi Saül, le pleura tous les jours de sa vie. Saint Paul dit aussi qu'il pleurait ceux qui n'avaient point fait pénitence de plusieurs grands péchés qu'ils avaient commis. Le sage va volontiers où il sait qu'il doit trouver des maîtres et des directeurs qui corrigent ses fautes, qui lui apprennent à verser des larmes et qui l'invitent à pleurer ses péchés. N'allons donc point, si nous sommes sages, chez des docteurs qui nous flattent et qui nous trompent; évitons ces vaines joies qu'on trouve dans les maisons des faux directeurs, qui ne cherchent pas la conversion de ceux qui les écoutent, mais leurs louanges et leurs applaudissements. Non eat ad domum laetitiae, ubi doctor adulatur et decipit, ubi non conversionem audientium, sed et plausus quaerit et laudem. De tels directeurs méritent qu'on gémisse sur leur conduite. Ils se contentent d'être riches en discours et en paroles, et, pleins qu'ils sont d'eux-mêmes, ils reçoivent en ce monde toute leur consolation et leur récompense. Les versets suivants sont une confirmation de ce que nous avançons ici, et ils s'accordent parfaitement avec notre explication.

V. 6 et 7. « Il vaut mieux être repris par un homme sage que d'être séduit par les flatteries et les chansons des hommes insensés; car le ris de l'insensé est comme le bruit que font les épines lorsqu'elles brûlent sous un pot; mais cela même est une vanité. » En effet il est plus avantageux, sans comparaison, d'être repris par un homme sage et judicieux que d'être séduit par des discours qui plaisent et qui nous flattent. C'est ce que Salomon nous enseigne aussi dans cette belle sentence du livre des Proverbes : « Les plaies que nous fait la main d'un ami sont plus avantageuses que les baisers que nous donne volontairement un ennemi. » Car les paroles d'un directeur sujet à flatter ses auditeurs doivent être comparées au bruit désagréable que font les épines qui brûlent sous un pot, puisque les discours d'un flatteur demeurent sans aucun profit , et qu'ils nous engagent plutôt à brûler dans le feu qui est préparé aux méchants qu'ils ne nous en retirent. Ils nous inspirent même l'amour et le soin des choses du monde, que l'Evangile nomme, par une expression figurée, des ronces et des épines. Symmaque ne suit point la traduction des Septante: « Parce que le ris de l'insensé est comme le bruit que font les épines. » Il a cru mieux traduire en disant : « C'est par ces discours que certains se trouvent embarrassés dans les liens des insensés ; » ce qui veut dire que les enseignements de tels maîtres embarrassent de plus en plus leurs disciples, parce que chacun d'eux demeure lié et enchaîné par ses propres péchés. Ad vocent talium (175) praeceptorum magis auditor innectitur, dùm vinculis peccatoriem suorum unusquisque constringitur.

V. 8. « La calomnie trouble le sage, et elle abat la fermeté de son coeur. » Le sage dont il est parlé dans ce verset n'est pas un homme consommé dans la piété et dans la sagesse, mais qui tâche d'y faire du progrès, et duquel il est écrit: « Reprenez le sage et il vous en aimera: » car pour les parfaits, ils n'ont point besoin d'être corrigés , et ils ne savent ce que c'est que de se laisser troubler par les calomnies des méchants. Si nous voyons quelquefois des hommes sages et vertueux dans l'oppression et chargés de calomnies, servons-nous de cet endroit de l'Écriture pour ne pas nous troubler des injustices qu'on commet contre eux sans que Dieu, qui est présent à tout, les secoure sur le moment. Au lieu de traduire avec les Septante et les autres interprètes grecs : « Et elle abat la force de son cœur, » Symmaque a traduit : « Et Mattana perd le coeur, » c'est-à-dire : et les présents corrompent le coeur ; ce qui fait le même sens que ce que nous lisons ailleurs « Les présents rendent aveugles les yeux même des sages. »

V. 9. « La fin du discours vaut mieux que le commencement. » Les épilogues, dans les discours, valent mieux que leurs exordes, parce que l'application de celui qui parle finit avec son discours, au lieu qu'il se trouve, en commençant, dans l'empressement et dans l'embarras. Mon Hébreu m'expliquait ce verset et le suivant de cette manière : Il vaut mieux faire attention aux suites et à la fin d'une affaire que d'en considérer le commencement, et il vaut mieux être patient que de se laisser emporter aux mouvements furieux de l'impatience. Nous apprenons encore de ce peu de mots combien peu de sagesse il y a parmi les hommes , puisqu'il leur est plus avantageux de se taire que de parler.

V. 10. « Un homme patient vaut beaucoup mieux qu'un homme colère, fier et présomptueux. » Pour corriger ce qu’il semblait ci-dessus accorder à la colère en disant : « La «colère » vaut mieux que les ris, » il interdit ici tous les mouvements de la colère, afin qu'on ne se persuadât point qu'il avait loué auparavant cette passion violente. Il appelle donc « colère, » dans les versets précédents, l'action d'un maître qui reprend et qui corrige les fautes de ceux qui ont manqué à leur devoir, ou même l'action d'un supérieur lorsqu'il instruit ceux qui lui sont soumis; mais en cet endroit il veut modérer et arrêter les emportements de l'impatience et de la colère. Or la patience, qui lui est opposée, n'est pas seulement nécessaire dans l'affliction et dans le temps qu'on souffre des persécutions, elle l'est encore dans la prospérité et, quand nous sommes dans la joie, afin de ne point nous élever dans ces temps agréables, et faire beaucoup de choses peu convenables à notre condition. Au reste je crois que celui qui est appelé en cet endroit excelsus spiritu, « haut d'esprit, » est l'opposé du « pauvre d'esprit» dont l'Évangile parle dans le chapitre des Béatitudes.

V. 11. « Ne soyez point prompt à vous mettre en colère, parce que la colère repose dans le sein de l'insensé. » L'Ecclésiaste ne nous permet point une colère lente parce qu'il dit ici : « Ne soyez pas emporté, ne soyez point prompt ; » mais il nous avertit par cette expression que, quand on peut arrêter et apaiser les premiers mouvements de la colère, qui sont les plus furieux, il ne sera pas difficile après ces saillies d'éteindre tout-à-fait le feu de cette passion. Mais comme la colère est toujours accompagnée d'orgueil et d'un désir de se venger, l'Écriture a préféré d'abord l'homme patient à celui qui est fier, qui a de hauts sentiments de lui-même, et qui donne ici par son impatience des marques de son peu de vertu et de sa folie; car, encore qu'un homme passe dans le monde pour sage et pour puissant, on doit toutefois le regarder comme un insensé s'il est sujet aux emportements et aux fougues de la colère, parce que, dit l'Ecclésiaste- « La colère repose dans le sein des insensés. »

V. 12. « Ne dites point : D'où vient que les premiers temps ont été meilleurs que ceux d'aujourd'hui ? car cette demande n'est pas sage. » Ne préférez point les siècles anciens à celui d'à présent, parce que Dieu seul est le créateur des uns et des autres. Le mérite et la vertu rendent les jours heureux et agréables à tous les hommes qui vivent bien; le vice et le péché rendent les temps et la vie très mauvais et très malheureux. Ne dites-donc point que du temps de Moïse et du temps de Jésus-Christ, les jours de la vie des hommes étaient plus heureux qu'ils ne sont aujourd'hui , puisque dans ces temps, que vous estimez si heureux , il y a eu des incrédules qui ont rendu leurs jours malheureux, comme il y a maintenant plusieurs fidèles de qui Jésus-Christ a dit : « Bienheureux ceux qui n'ont point vu, et qui néanmoins ont cru! »

Faisons une autre application de ces paroles qui nous regardent, de plus près. Vous devez faire un tel progrès dans la piété et dans la vertu que le jour présent où vous vivez vaille toujours mieux que vos ,jours passés, de peur que, tombant dans la tiédeur et dans le relâchement, on ne vous dise enfin : « Vous couriez autrefois si bien dans la voie de la vertu ; qui vous empêche aujourd'hui d'obéir à la vérité? », et cet autre passage encore: « Vous avez commencé par l'esprit, et vous achevez par la chair. »

Pour une troisième explication nous pouvons dire, nous qui sommes chrétiens: Ne dites pas que les temps de Moïse et de l'ancienne loi étaient meilleurs que les temps de la grâce, et de la nouvelle loi de Jésus-Christ sous laquelle nous vivons; car si vous voulez en venir à un examen vous agissez avec imprudence, parce que vous ne vous apercevez pas de la différence essentielle qu'il y a entre l'Evangile et l'Ancien-Testament.

V. 13. « La sagesse est plus utile avec les possessions et les héritages ; et elle sert davantage à ceux qui voient le soleil; car, comme la sagesse protège, l'argent protège aussi; mais la science et la sagesse ont cela de plus qu'elles donnent la vie à celui qui les possède. Un homme sage, quand il est riche, paraît avec plus d'éclat et d'honneur dans le monde que quand il n'a que la sagesse pour partage. Nous voyons, parmi les hommes, que les uns manquent de sagesse et que les autres manquent de biens et de richesses. Celui qui est sage et vertueux, et qui n'a point de biens, peut véritablement nous enseigner à bien vivre; mais il ne saurait souvent nous donner ce que nous lui demandons. C'est pourquoi l'Ecclésiaste dit: « Comme la ;sagesse a son ombre, de même l'argent a son ombre; » ce qui veut dire que, comme l'on trouve du secours et de la protection dans la sagesse, on trouve aussi quelquefois du secours et de la protection dans les richesses. Mais afin qu'on ne crût pas qu'il prétendait diminuer le prix de la sagesse en la comparant ou en la plaçant après les richesses et les biens de fortune (je dis : de fortune, car il ne dépend point de nous d'avoir des richesses, et l'on voit que les méchants en sont ordinairement en possession), il ajoute d'abord, pour faire voir l'excellence de la sagesse : « Mais la science et la sagesse ont cela de plus, qu'elles donnent la vie à celui qui les possède. » C'est en cela, dit-il, que paraît le mérite et le prix de la sagesse au-dessus des richesses, qu'indépendamment d'elles la sagesse donne la vie à celui qui la possède.

V. 14. « Considérez les oeuvres de Dieu, et vous verrez que personne ne peut corriger ou rétablir celui que Dieu aura frappé. » Symmaque a traduit de cette manière : « Apprenez à connaître les oeuvres de Dieu, parce que personne ne pourra corriger ce qu'il a laissé dans l'imperfection ; » c'est-à-dire : Qu'il vous suffise de connaître, parles Ecritures saintes ou parla considération de la nature et des éléments, les choses que Dieu a faites lorsqu'il a créé le monde, et ne veuillez pas rechercher avec curiosité la cause et les raisons de chaque chose : pourquoi ceci a été fait de cette manière et pourquoi cela n'a pas été fait d'une autre manière plus convenable,comme,par exemple, quand on: veut savoir la raison pourquoi Dieu parlait ainsi à Moïse : « Qui a fait les sourds et les muets, les clairvoyants et les aveugles? N'est-ce pas moi, qui suis le Seigneur Dieu ? » et qu'on demande D'où vient qu'il y a parmi les hommes des aveugles, des sourds et des muets, et pourquoi ont-ils été créés avec ces défauts de nature? et cent choses semblables.

Appliquons ici le passage du psaume dix-septième, où le prophète parle en ces termes au Seigneur : «Vous êtes saint avec celui qui est saint, et vous vous pervertissez avec celui qui est perverti; » et disons que Dieu est vraiment saint à l'égard de ceux qui sont saints, et qu'il se pervertit à l'égard de ceux qui se sont pervertis les premiers de leur propre volonté; comme il est dit encore dans le Lévitique : « S'ils viennent à moi avec un coeur perverti, j'irai aussi vers eux perverti et plein de fureur; » ce qui certainement peut nous servir pour expliquer ce qui est écrit dans l'Exode, et pourquoi il est dit que Dieu avait endurci le coeur de Pharaon. Car, de même que la chaleur du soleil fait fondre la cire et fait durcir la terre et la boue, par une même action qui produit des effets (176) contraires selon la nature des sujets, de même aussi cette vertu divine, qui opérait tant de merveilles en Egypte, rendait souples et obéissants les coeurs des fidèles, pendant qu'elle endurcissait les coeurs des incrédules, qui par leur dureté et leur impénitence s'amassaient un trésor de colère pour le jour de la vengeance, ne voulant point croire aux miracles que Dieu faisait devant eux. Sic una Dei in Aegypto signorum operatio emolliebat corda credentium, et incredulos indurabat.

V. 15. « Jouissez du bien que Dieu vous fait aux jours heureux, et prévoyez ce que vous devez faire dans un temps malheureux ; car Dieu a fait 1'un comme l'autre, sans que l'homme ait aucun sujet de se plaindre de lui. » Je me souviens d'avoir un jour entendu dans l'église l'explication de ce passage, faite par un homme qui passait pour fort habile dans la connaissance des Écritures. Voici donc le sens qu'il donnait à ce verset. Pendant que vous êtes dans ce monde, disait-il, travaillez et appliquez-vous à faire autant de bonnes oeuvres que vous pouvez, parce que c'est à présent le temps de bien faire, afin qu'après avoir travaillé sans vous épargner, votre salut soit en sûreté au mauvais jour, c'est-à-dire au jour du jugement, quand vous verrez tourmenter les méchants qui n'auront pas eu soin de travailler alors qu'ils en avaient le temps. Car de même que Dieu a fait le siècle présent, où nous pouvons nous préparer le fruit et les récompenses de beaucoup de bonnes oeuvres, de même a-t-il fait aussi le siècle à venir, où personne ne peut rien faire pour être sauvé. Il me parut que ceux qui écoutaient cet expositeur étaient contents de son explication, et qu'ils furent persuadés qu'il avait trouvé le sens de l'Écriture. Cependant je crois qu'on en peut trouver un meilleur et plus propre en suivant la traduction de Symmaque, où nous lisons : « Jouissez des biens qui se présentent dans des temps favorables, et souvenez-vous qu'il y a des jours fâcheux ; car il est indubitable que Dieu est auteur de toutes ces choses; en sorte que personne n'a sujet de se plaindre de lui et de murmurer contre sa conduite. » Recevez également, dit-il, les biens et les maux qui vous arrivent, et ne pensez point que dans ce monde il n'y ait que des choses bonnes et agréables , ou que tout y soit mauvais et fâcheux , puisque vous voyez dans la nature un mélange universel de choses contraires, du froid et du chaud, da sec et de l'humide, des choses molles et de celles qui sont dures, de la lumière et des ténèbres, du mal et du bien. Or, Dieu a fait cela afin de donner occasion à la sagesse des hommes de choisir le bien et d'éviter le mal, et afin de laisser à chacun de nous sa propre liberté , de peur que les hommes ne se plaignissent d'avoir été créés insensibles et stupides, ou qu'ils ne s'abandonnassent à des murmures s'ils n'avaient vu cette grande diversité de choses dont le monde est composé. Ceci a du rapport et de la liaison avec ce qui a été dit plus haut : « Qui pourra ranger et mettre dans l'ordre ce que Dieu a lui-même dérangé ? »

V. 16. « J'ai vu encore ceci dans les jours de ma vanité : le juste périt dans sa justice, et le méchant vit longtemps dans sa malice. » Le Sauveur du monde nous a dit dans l'Evangile quelque chose d'approchant : « Celui qui trouve son âme la perd; celui qui l'aura perdue pour l'amour de moi la trouvera. » Les Machabées , qui ont perdu la vie pour ne pas violer la loi de Dieu et trahir la justice, ont paru aux yeux des hommes périr dans leur justice; on l'a cru de même de tous les martyrs qui ont versé leur sang pour Jésus-Christ : au contraire les Juifs qui mangèrent, du temps d'Antiochus, de la chair de pourceau , et ceux qui ont sacrifié aux idoles depuis la venue de notre seigneur Jésus-Christ, ont vécu longtemps dans ce monde et ont vieilli dans leur malice; mais on sait que cela vient de la patience de Dieu, dont les jugements sont impénétrables: il permet pendant cette vie que les saints souffrent bien des maux et qu'ils gémissent sous l'oppression ; il ne punit point les pécheurs comme leurs crimes le méritent, les réservant comme des victimes qu'il doit immoler à sa colère; et tout cela n'arrive que parce qu'il a en vue de donner aux justes des récompenses et des biens éternels, au lieu qu'il réserve aux impies des peines et des supplices qui n'auront point de fin. Les Hébreux pensent que les justes qui ont péri dans leur justice sont les enfants d'Aaron , parce qu'en croyant bien faire ils offrirent à Dieu un feu étranger qui les dévora; ils prétendent aussi que le roi Manassé est l'impie qui a vécu longtemps dans sa malice, parce qu'il remonta sur le trône après avoir été captif, et (178) qu'il régna depuis dans Jérusalem pendant une longue suite d'années.

V. 17. «Ne soyez pas trop juste, et ne veuillez pas savoir plus qu'il n'est nécessaire, de peur que vous n'en deveniez stupide. » Quand vous verrez quelqu'un d'une humeur sévère et farouche , qui ne pardonne pas la plus petite faute à ses frères, ni une parole mal dite ni une action faite avec lenteur et paresse, dites alors que cet homme est plus juste qu'il ne convient de l'être; car puisque notre Sauveur nous dit : « Ne jugez point, et vous ne serez pas jugés, » et que d'ailleurs il n'est point d'homme sans péché, quand même il ne serait au monde que depuis hier seulement, il parait qu'une trop grande rigueur est une justice inhumaine, inhumana justitia est, et qui n'a aucune compassion de la condition fragile de tous les hommes. Ne soyez donc pas trop, juste, parce que celui qui use d'un petit et d'un grand poids devient un objet d'horreur aux yeux de Dieu. C'est pour cela même que les philosophes ont toujours placé les vertus dans un juste milieu, et dit 'ils ont enseigné que toutes les extrémités étaient vicieuses, soit qu'on aille trop haut, soit qu'on descende trop bas.

Quand l'Ecclésiaste ajoute: «Ne faites pas plus de questions qu'il ne faut, de peur que vous n'en soyez troublé ou n'en deveniez stupide, » il veut nous apprendre que notre esprit est trop borné pour s'élever à une sublime connaissance des mystères et de la sagesse de Dieu , et que nous devons reconnaître en nous-mêmes une extrême fragilité. Aussi saint Paul répond à ceux qui veulent savoir ce qui surpasse les connaissances de l'esprit humain, et qui sont accoutumés à l'aire de ces questions « Pourquoi donc, Dieu se plaint-il ? qui peut résister à sa volonté»? saint Paul. dis-je, leur répond : « O hommes, qui êtes-vous pour contester avec Dieu? » et le reste; car il est à présumer que si l'Apôtre eût répondu à celui qu'on l'ait parler en cet endroit, cet homme se tôt senti si peu capable de comprendre la raison de ce qu'il demandait, que son esprit en serait devenu tout stupide par l'étonnement dont il aurait été saisi , et alors il eût connu par sa propre expérience qu'il y a des grâces inutiles, et gratiam sensisset inutilem. Aussi est-il des dons, selon le même apôtre, qui ne sont d'aucun profit pour celui qui les reçoit. Quia est donum, juxta eumdem apostolum, quod non prosit et cui datum est.

Les Hébreux entendent ce commandement que nous fait l'Écriture : « Ne soyez pas trop juste, » de leur roi Saül, parce qu'il eut compassion d'Agag, et qu'il pardonna et donna la vie à celui que le Seigneur avait commandé de tuer. On peut dire encore, sur l'idée du méchant serviteur de l'Évangile à qui son maître avait fait grâce et remis une grosse somme d'argent, que ce verset doit lui être appliqué, puisqu'il fit voir, par sa dureté à l'égard de son semblable, qu'il était trop juste où il fallait être indulgent et se relâcher de son droit.

V. 18. « N'ajoutez pas péchés sur péchés, et ne devenez pas insensé. Pourquoi mourez-vous avant votre temps? » Le Seigneur nous assure qu'il ne veut point la mort de celui qui meurt; il veut seulement qu'il retourne à lui et qu'il vive. Nous devons donc nous contenter d'avoir commis un seul péché, et tâcher de nous relever promptement de cette chute ; car s'il est vrai, comme nous l'apprennent les naturalistes , que les hirondelles savent rendre la vue à leurs petits en se servant d'une herbe appelée chélidoine, dont elles nous ont découvert la vertu et la propriété ; s'il est vrai encore que les chevreuils blessés courent pour trouver l’herbe nommée dictame , pourquoi sommes-nous assez peu instruits pour ignorer que la pénitence nous est proposée comme le remède de tous nos péchés

Ce qui est dit ensuite : Ne moriaris in tempore non tuo , « de peur que vous ne mouriez avant votre temps, » nous fait souvenir de l'histoire de Corée, Dathan et Abiron, qui furent engloutis tout vivants dans la terre qui s'ouvrit sous leurs pieds , en punition de leur révolte contre Moïse et Aaron son frère. Nous savons aussi que, pour servir d'exemple aux autres et pour les obliger à se convertir, il y a eu bien des personnes qui ont péri malheureusement, et qui ont été jugées dès cette vie avant le jour du dernier jugement. Ce que l'Ecclésiaste veut donc dire doit se prendre de la sorte : N'ajoutez pas péchés sur péchés , de peur que vos crimes n'obligent la justice de Dieu à vous châtier et accabler de supplices.

V. 19. «Il est bon que vous souteniez le juste; mais ne laissez pas de faire aussi du bien à celui qui est méchant ; car celui qui craint Dieu fait l'un et l'autre. » Il est bon et avantageux de faire du bien aux justes, mais il n'est pas défendu ni contraire à la justice de faire du bien aux méchants et aux pécheurs. Il est bon d'avoir un soin particulier de bien entretenir ses domestiques ; mais l'Evangile nous ordonne aussi de donner indifféremment à tous ceux qui nous demandent. Un homme qui craint Dieu, et qui veut se rendre imitateur des vertus de son Créateur, se hâte de faire du bien à tout le monde, sans avoir égard aux personnes, parce qu'il sait que Dieu répand les pluies sur la terre et pour les justes et pour les injustes. Prenons encore la chose dans un autre sens, et disons que cette vie misérable étant sujette à tant d'événements différents, et souvent très contraires , il est nécessaire qu'un homme juste se tienne toujours prêt à recevoir avec une grande égalité d'esprit tout ce qui pourra lui arriver, et qu'il implore la miséricorde du Seigneur, , afin d'être soutenu de sa main puissante dans toutes les vicissitudes de cette vie mortelle; car celui qui craint Dieu comme il faut ne s'enorgueillit point de la prospérité ni ne se laisse abattre par l'adversité.

V. 20 et 21. « La sagesse rend le sage plus fort que dix princes d'une ville ; car il n'y a point d'homme juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche point. » Quelque fort qu'un homme se sente étant soutenu par sa vertu et par ses lumières , il l'est beaucoup plus quand il se trouve sous la protection de tous les princes d'une ville; car encore qu'un homme ait de la probité et de la sagesse, il ne laisse pas d'être sujet à des défauts et à plusieurs péchés pendant qu'il vit dans un corps terrestre : ainsi il a besoin, dans les occasions et dans des temps fâcheux, d'avoir de puissants protecteurs qui se déclarent pour lui contre ceux qui l'attaquent.

Niais si l'on veut expliquer cet endroit d'une autre manière, on peut le faire en disant qu'il a quelque liaison avec ce qui précède. Il avait déjà dit qu'on doit faire du bien aux domestiques et aux étrangers; sur quoi on pouvait lui répondre: Si je veux faire du bien à tout le monde, je n'en ai pas assez pour eu donner à tous indifféremment ; et les justes n'ont pas d'ordinaire de si grandes richesses. L'on voit au contraire que lus pécheurs en sont les maîtres, et qu'ils vivent dans l'opulence et dans le luxe. Pour satisfaire à cette objection, l'Ecclésiaste dit ici : « Si vous n'avez pas des richesses pour secourir ceux qui sont dans l'indigence, assistez-les du moins par vos bons avis ; consolez ceux que vous voyez dans l'affliction, et adoucissez par des paroles sages l'amertume de leur coeur ; car la sagesse a plus de force pour consoler les affligés que n'en ont les plus grandes puissances du siècle. Mais faites cela avec beaucoup de prudence , parce qu'il est très difficile de tenir dans l'équilibre la balance de la justice, et de savoir donner avec choix et discernement, soit en donnant de son bien, soit qu'on ne donne que des conseils; je veux dire de savoir donner à qui il faut donner, de ne donner ni plus ni moins, de donner quand on le doit, et autant de temps qu'il est bon de le faire; de donner enfin les choses mêmes les plus convenables: Grandis quippe libra jusitiae est, et cui, et quantum, et quamdiu, et quale vel in re, vel in consilio tribuere.

V. 22 et 23. « Que votre coeur ne se rende point attentif à toutes les paroles qui se disent, de peur que vous n'entendiez votre serviteur parler mal de vous; car votre propre conscience vous reproche à vous-même que vous avez souvent mal parlé des autres. » Faites ce qui vous est commandé, et fortifiez-vous dans les voies de la sagesse, afin qu'elle prépare votre coeur à recevoir également les biens et les maux de cette vie. Ne vous mettez point en peine de l'opinion qu'on peut avoir de vous ni de ce qu'en disent vos ennemis; car, comme l'homme sage ne doit point écouter son serviteur quand il gronde et murmure contre lui , ni s'informer de ce qu'il dit en son absence, de peur d'être toujours inquiet et de s'emporter souvent à cause des plaintes de son valet , il est aussi du devoir d'un homme sage d'avoir toujours devant ses yeux les règles de la sagesse pour s'y conformer, et de mépriser les bruits et les vains discours du peuple.

L'Ecclésiaste se sert encore d'une autre maxime pour nous montrer qu'un homme juste ne doit point se mettre en peine de ce qu'on dit dans le monde. Vous savez, dit-il, par le témoignage de votre propre conscience, que vous avez souvent parlé mal des autres et que vous en avez attaqué plusieurs par vos médisances : n'est-il donc pas juste que vous pardonniez vous-même ce que vous voulez bien (180) qu'on vous pardonne? Par là il nous apprend encore qu'il ne faut pas juger légèrement, et que celui qui a une poutre dans les veux ne doit pas censurer de petites pailles qui sont dans les veux de ses frères.

V. 24 et 25. « J'ai tenté tout pour acquérir la sagesse. J'ai dit en moi-même : Je deviendrai sage ; et la sagesse s'est retirée loin de moi encore beaucoup plus qu'elle n'était. Oh! combien sa profondeur est-elle grande ! et qui la pourra sonder? »

L'auteur de ce livre nous assure en cet endroit ce qui est confirmé dans les livres des Rois, c'est-à-dire qu'il s'était appliqué plus que personne à acquérir la sagesse, et qu'il n'avait rien oublié pour s'en rendre enfin le possesseur ; mais quelque recherche qu'il en eût faite, il n'avait jamais pu la découvrir ni la posséder parfaitement. Il se considérait, après tant de vains efforts, comme un homme qui est environné des ténèbres de l'ignorance, et qui est enseveli dans des nuages épais et dans le centre de l’obscurité même.

C'est aussi ce qui arrive ordinairement à ceux qui sont habiles dans la connaissance des livres sacrés : plus ils acquièrent de lumières par le progrès qu'ils font chaque jour dans cette étude sainte, plus ils découvrent de profondeurs et de difficultés insurmontables. Ils reconnaissent alors que la connaissance parfaite de la sagesse n'est point de cette vie ; que nous ne la contemplerons à découvert et sans aucun voile que quand nous verrons Dieu face à face. Ainsi il faut qu'ils avouent avec l'Apôtre que dans ce monde on ne peut voir les choses divines que comme dans un miroir et dans des figures énigmatiques.

V. 26 et 27. « Mon esprit a porté sa lumière sur toutes choses pour savoir, pour considérer, pour chercher la sagesse, et les raisons de tout, et pour connaître la malice des insensés et les erreurs des imprudents; et j'ai reconnu que la femme est plus amère que la mort, qu'elle est le filet des chasseurs, que son coeur est un rets et que ses mains sont des chaînes. Celui qui est agréable à Dieu se sauvera d'elle , mais le pécheur s'y trouvera pris. » L'Ecclésiaste a dit ci-dessus qu'il avait tout tenté pour acquérir la sagesse, mais que la sagesse s'était retirée loin de lui encore beaucoup plus qu'elle ne l'était auparavant. Il ajoute ici qu'il avait fait un effort particulier pour découvrir par les lumières de sa sagesse quel mal était, dans les choses humaines, le plus grand de tous les maux, et ce qui tenait le premier rang dans l'impiété, dans la folie, dans l'erreur et dans la sottise. Il confesse donc après cette recherche qu'il a trouvé que la femme est la cause et la source de tous les maux, parce que c'est par elle que la mort est entrée dans le monde, et que c'est aussi le sexe qui ravit et qui fait périr tous les jours les âmes des hommes, qui sont si précieuses. Car, comme dit un prophète : « Les hommes sont tous des adultères, et leur coeur est semblable à un four allumé. » Ce sont aussi les femmes qui sont cause que le coeur des jeunes gens s'éloigne avec précipitation des sentiers de la vertu, pour prendre les grandes routes du vice et du libertinage. En effet, l'amour des femmes ne s'est pas plus tôt rendu le maître du coeur d'un homme qu'il l'entraîne dans le précipice, sans lui laisser la liberté de regarder où il met ses pieds. Cet amour est un piège et un filet où le coeur des jeunes gens se trouve pris et enveloppé. Cependant cet amour meurtrier est tout volontaire; il n'embarrasse et ne surprend que ceux qui veulent bien s'y laisser engager. C'est pourquoi les hommes justes, que Dieu regarde d'un bon oeil, ne sauraient être pris ni assujettis par l'amour des femmes; il n'y a que les pécheurs et les insensés qui se laissent conduire à la mort par cet amour brutal. Au reste ne pensons pas que Salomon ait parlé légèrement des personnes du sexe, ni qu'il ait exagéré les maux dont elles sont la cause ordinaire : il n'a rien dit d'elles que ce qu'il avait éprouvé lui-même, car c'est l'amour des femmes qui l'a fait tomber dans le péché et qui l'a fait périr devant Dieu.

V. 28, 29 et 30. « Voici ce que j'ai trouvé, » dit l'Ecclésiaste, «après avoir comparé une chose avec une autre pour trouver une raison que mon âme cherche encore sans avoir pu la découvrir: entre mille hommes, j'en ai trouvé un, mais de toutes les femmes je n'en ai pas trouvé une seule. Ce que j'ai trouvé seulement est que Dieu a créé l'homme droit et juste, et qu'il s'est lui-même embarrassé dans une infinité de questions. » Voici, dit-il, ce que j'ai découvert, après avoir examiné avec une grande exactitude tout ce qui se passe parmi les hommes: j'ai reconnu, dis-je, que lorsque nous ajoutons (181) peu à peu un péché sur un autre péché, et que nous continuons ainsi à commettre des offenses contre Dieu, nous accumulons une fort grosse somme et un grand trésor de péchés et de crimes. J'ai encore recherché curieusement s'il était possible de trouver une femme qui eût de la droiture , une bonne femme, et j'avoue ingénument qu'encore que j'aie remarqué quelques hommes bons et justes parmi un nombre infini de méchants, comme peut être un entre mille, je n'ai pu néanmoins découvrir une seule bonne femme, parce que je n'en ai vu aucune qui me portât à la vertu, mais toutes m'ont entraîné au vice et à la lasciveté. D'ailleurs les hommes ayant naturellement une forte inclination pour le mal, et s'étant rendus pour la plupart coupables de plusieurs péchés, j'ai remarqué, dans cette décadence générale du genre humain, que la femme a toujours été la plus faible et la plus sujette à tomber. Un poète païen en a parlé ainsi : « La femme est une espèce d'animal toujours bizarre et fort inconstant. » L'Apôtre n'en dit pas moins lorsqu'il assure que « les femmes sont insatiables d'apprendre toujours quelque chose de nouveau, mais n'acquièrent jamais la connaissance de la vérité.» Mais de peur qu'on n'accusât l'Ecclésiaste de condamner en général la nature humaine, et de faire Dieu auteur du péché et du mal parce qu'il est le créateur de ces hommes qui sont si sujets à le commettre, il prévient adroitement un tel reproche en disant que nous avons été créés bons et justes lorsque nous avons été formés des mains du Créateur , mais qu'ensuite, étant abandonnés à notre libre arbitre, nous en avons fait un mauvais usage, et que nous sommes tombés par notre propre malice dans ce malheureux état où nous vivons à présent. La curiosité qui nous a poussés à rechercher des choses qui sont au-dessus de nous n'a pas eu peu de part à notre propre ruine, puisque c'est elle qui nous a inspiré la présomption de penser à des objets qui surpassent toutes les forces de notre esprit.

 

 

CHAPITRE VIII

Néant et misère de l'homme dans la confusion et le mélange des justes et des impies

 

V. 1 et 2. « Qui pourra se comparer au sage, et qui connaît comme lui le dénouement des paroles problématiques? La sagesse de l'homme parait sur son visage, et l'homme fort change souvent de couleur et de visage. » On a pu voir dans les versets précédents combien le nombre des gens de bien est petit; et la réponse que l'Ecclésiaste y fait aux conséquences qu'on pouvait tirer de ce principe montre évidemment que Dieu n'est point auteur du mal ni du péché; que si les hommes sont méchants, ils le sont par leur propre volonté, Dieu les ayant faits bons et justes quand il les créa. Il va plus loin en ce passage où il fait une énumération des grâces que Dieu a faites à l'homme il parle avec complaisance de la sagesse, de la lumière de la raison , et de la prudence dont Dieu a fait part à l'homme pour se conduire et pour prévoir ce qui peut lui arriver; il relève aussi la connaissance qu'il a des mystères divins et des secrets cachés en Dieu, que l'homme est capable de pénétrer par un sentiment intérieur de son esprit et de son coeur. In arcana ejus sensu cordis intrare. Il semble même qu'il parle indirectement de sa sagesse extraordinaire, et qu'il dit que personne n'a su comme lui trouver l'explication des problèmes les plus obscurs et les plus difficiles ; que sa grande sagesse n'était point cachée dans son âme, mais qu'elle paraissait sur tout son extérieur; ce qui le faisait admirer de son peuple et de tous ceux qui le voyaient.

Au reste, quoique l'Ecclésiaste nous assure que la sagesse est peinte sur le visage des sages, il n'est pas toutefois si facile de faire le discernement des vrais et des faux sages , de plusieurs qui affectent un extérieur bien composé et d'un petit nombre qui sont tels qu'ils paraissent au dehors. Il n'est pas facile non plus de l'aire le discernement des faux et des vrais savants parmi les expositeurs des livres sacrés; car bien qu'il y en ait plusieurs qui font profession de bien expliquer les Ecritures, on en trouve cependant très peu qui soient capables de nous découvrir le sens propre et naturel de ces divins livres. Et cum sint plurimi qui scripturarum occulta dicantur posse se solvere, rarus est qui verain inveniat solutionem.

V. 3, 4 et 5. « Pour moi , j'observe la bouche du roi et les préceptes que Dieu a confirmés avec serment. Ne vous hâtez point de vous retirer de devant lui; et ne persévérez pas dans (182) l'oeuvre mauvaise, parce qu'il fera tout ce qu'il voudra. Sa parole est pleine de puissance, et nul ne lui peut dire . Pourquoi faites-vous ainsi? » L'auteur semble parler de l'obéissance que nous devons aux rois et aux puissances de la terre, si recommandée par l'apôtre saint Paul. Ce sens est encore plus marqué dans les Septante, qui ont lu à l'impératif: « Observez la bouche du roi; »mais pour moi, j'aime mieux l’entendre de ce roi dont David disait : « Seigneur, le roi se réjouira par votre puissance. » L'Ecriture dit aussi dans un autre endroit, pour nous faire connaître que le Père et le Fils possèdent un même royaume : « O Dieu! donnez au roi votre jugement, et votre justice au fils du roi. »L'Evangile nous apprend de même que le Père ne juge personne , niais qu'il a donné au Fils tout le jugement. Ce roi, qui est fils de Dieu, est fils du Père, qui est roi comme son fils : c'est donc de ce roi qu'il faut observer les préceptes et qu'il faut faire la volonté. Nous lisons enfin dans le livre de Tobie : « Il est important de cacher le secret du roi. » Ce que l'Ecclésiaste nous recommande particulièrement est de ne point examiner les raisons que Dieu a eues d'ordonner chaque chose; mais ce que nous devons faire, c'est de nous hâter d'accomplir avec un coeur plein de piété tout ce que nous verrons que Dieu nous commande dans sa sainte loi et dans les livres des prophètes. Ces paroles mystérieuses et secrètes ne doivent pas être annoncées légèrement devant toutes sortes de personnes , et nous devons nous-mêmes être fort réservés à dire nos sentiments. Ce qui suit « Ne persévérez pas dans l'oeuvre mauvaise, etc.,» signifie : Ne persévérez pas dans les médisances et dans les détractions, dans les paroles malhonnêtes, dans le luxe , dans l'avarice et dans l'impudicité ; car si vous persévérez à commettre tous ces crimes, le démon, qui tient l'empire du vice et du péché, fera de vous un enfant de perdition et de colère et vous traitera comme son esclave.

V. 6. « Celui qui garde le précepte ne souffrira aucun mal. Le coeur du sage sait ce qui lui est ordonné et en quel temps il doit, s'en acquitter.» Remarquez que ces paroles du texte sacré : « il ne connaîtra point la parole mauvaise, » sont mises pour : « Il ne souffrira point, il n'y aura point de mal pour lui. » Il est aussi écrit de notre Sauveur : « Dieu a fait, pour l'amour de nous, une hostie qui abolit le péché de celui qui ne connaissait pas le péché. » Symmaque dans sa version a changé le mot « parole » en celui de « chose, » de sorte qu'il faut lire tout le verset en cette manière : « Celui qui garde le précepte ne souffrira aucune mauvaise chose. » L'Ecclésiaste recommande donc de garder exactement les commandements du roi, et de ne pas ignorer ce qui nous est commandé, pourquoi il nous est commandé, ni en quel temps nous devons obéir.

V. 7 et 8. « Toutes choses ont leur temps et leurs raisons, et c'est en vérité une grande misère à l'homme de ce qu'il ignore l'avenir. Car qui peut lui dire ce qui doit arriver? » Quoique plusieurs choses puissent arriver dans le monde, et que les justes ignorent comment les affaires qui les regardent doivent tourner pour eux , parce que personne ne connaît l'avenir, ils savent néanmoins que Dieu fait tout pour le bien et l'avantage des hommes. et que rien n'arrive sans une disposition particulière de sa volonté. Il est vrai, comme dit un poète, que c'est une grande misère et un sujet d'une grande affliction pour le genre humain que l'esprit de l'homme n'ait aucune connaissance de son sort, ni de ce qui lui doit arriver un jour. Il s'attend à une chose, et il lui en arrive une contraire; il est attentif à parer les coups d'un ennemi qu'il a devant lui, pendant qu'un autre qu'il ne voit point tire contre lui des flèches et le blesse mortellement.

V. 9. « L'homme n'a point de puissance sur son esprit; il n'est pas en son pouvoir d'empêcher que l'âme ne quitte le corps au jour de la mort. Il ne peut avoir de quartier dans cette guerre , et l'impiété ne saurait sauver l'impie. » Il n'est pas en notre pouvoir d'empêcher que Dieu ne nous ravisse notre âme quand il lui commande de sortir du corps. On a beau fermer la bouche pour retenir l'esprit et se conserver la vie : dès que la mort, l'ennemi impitoyable de notre vie, se présente de la part de notre Créateur, nous ne pouvons espérer aucune trêve ni demander quartier. Les rois même les plus puissants et les impies qui ont tout ravagé sur la terre ne pourront aller au-devant de la mort pour l'arrêter et lui résister. Ils seront réduits en poudre et en terre comme tous les autres. Il ne faut donc pas pleurer ni s'affliger si fort de ce que nous ignorons l'avenir, (183) ni de nous voir dans l'oppression par l'injustice des hommes plus puissants que nous, puisque la mort mettra bientôt fin à toutes nos misères, et que d'ailleurs nous sommes certains que les orgueilleux et les puissants ne sauraient délivrer leurs âmes de la main de la justice de Dieu, qui leur fera rendre compte de tout le mal qu'ils auront fait.

V. 10, 11, etc. « J'ai considéré toutes ces choses, et j'ai appliqué mon cœur à faire le discernement de tout ce qui se fait sous le soleil. J'ai vu des hommes qui étaient au-dessus des autres, et qui ne leur commandaient que pour les affliger; j'ai vu encore des impies ensevelis qui se présentaient à mon esprit comme s'ils sortaient du lieu saint, qui étaient loués dans la cité comme si leurs oeuvres eussent été justes ; mais cela même est une vanité; car comme la sentence ne se prononce pas sitôt contre les méchants, cela est cause que le coeur des enfants des hommes se remplit de malignité, et qu'ils font le mal sans aucune crainte. » Je me suis appliqué, dit-il, à considérer tout ce qui se fait sous le soleil, et particulièrement la domination que les hommes exercent les uns sur les autres; en sorte que celui qui est le maître afflige ceux que bon lui semble et les condamne comme il lui plait. Pendant que j'étais attentif à ces choses, j'ai vu les impies, morts et ensevelis, dans une si bonne réputation qu'ils passaient pour des saints sur la terre, et qui, pendant leur vie, avaient été jugés dignes d'être des premiers dans l'Église et dans le temple de Dieu. Ces hommes si vains et si pleins de faste étaient applaudis dans les crimes qu'ils commettaient impunément. Aussi lisons-nous ailleurs dans l'Écriture : « Le pécheur est loué dans les désirs de son âme, et celui qui fait mal reçoit des bénédictions. » Mais tout cela n'arrive que parce que personne n'ose contredire ceux qui pèchent, et que Dieu ne punit pas sur le moment les crimes des hommes ; car il est de sa miséricorde de différer la peine et le châtiment pour les attendre à faire pénitence. Sed differt poenant dùm expectat pœnitentiam. Les pécheurs, au contraire, abusent de cette patience toute divine, et se flattant, sur le terme que Dieu leur donne, qu'il n'y aura point de jugement pour eux, ils en prennent occasion de persévérer dans leurs crimes.

Nous pouvons nous servir de ce passage contre les évêques qui, ayant été revêtus de dignités et de puissance dans l'Église, deviennent un sujet de scandale à leurs peuples, qu'ils devraient plutôt instruire et porter à la vertu et à la perfection. Ces prélats, tels qu'ils sont, ne laissent pas d'être souvent loués dans l' Église après leur mort, jusque-là même qu'ils sont béatifiés publiquement, ou par leurs successeurs ou par les peuples, pour des choses qui ne leur ont acquis aucun mérite. Cela même est donc une vanité, parce qu'ils ne passent pas pour ce qu'ils ont été en effet, et qu'ils n'ont pas été corrigés d'abord selon leurs péchés (car personne ne prend la liberté d accuser ceux qui sont plus grands que lui). C'est ce qui fait qu'on les regarde comme des saints et des bienheureux et comme des observateurs fort religieux de la loi du Seigneur, pendant qu’eux-mêmes accumulent péchés sur péchés. Il est difficile et dangereux d'accuser un évêque, car s'il vient à tomber dans le péché on ne veut pas le croire , et s'il est convaincu de quelque crime il n'en est point puni. Difficilis est accusatio in episcopum; si enim peccaverit non creditur, et si convictus fuerit non punitur.

V. 13. «Mais néanmoins cette patience même avec laquelle Dieu souffre le pécheur, après avoir cent fois commis des crimes, me fait connaître que ceux qui le craignent et qui témoignent un grand respect en sa présence seront un jour fort heureux. » Pécher «cent fois,» dans le langage de l'Écriture, signifie : pécher « beaucoup. » Ce terme donc que Dieu donne aux grands pécheurs pour se convertir et faire pénitence, au lieu de les punir aussitôt qu'ils l'ont offensé, me persuade fortement que Dieu est infiniment bon et miséricordieux envers ceux qui le craignent et qui tremblent quand ils entendent sa parole.

V. 14. « Que les impies ne jouissent d'aucun bien ! que les jours de leur vie ne croissent pas comme l'ombre ! que cela arrive à ceux qui ne craignent point la présence du Seigneur! » Ce sont des imprécations que l'auteur de ce livre fait contre ceux qui n'ont pas la crainte du Seigneur. Il souhaite qu'ils soient bientôt punis, qu'ils soient enlevés par une mort précipitée, et qu'ils tombent dans les tourments qu'ils ont mérités. L'apôtre saint Paul parle de la même manière lorsqu'il dit : « Plût à Dieu que ceux (184) qui vous troublent fussent retranchés de votre corps! », et ailleurs : « Alexandre, l'ouvrier en cuivre, m'a fait beaucoup de maux : que le Seigneur lui rende selon ses rouvres! »Il faut tâcher de trouver un tour favorable pour expliquer ces imprécations, qui paraissent d'abord contraires à la douceur de l'Évangile. C'est ce que nous avions à dire du vrai sens du texte hébreu.

Mais si quelqu'un aime mieux suivre la version des Septante, qui commence ainsi par un autre sens : « Pour moi, je sais avec certitude que ceux qui craignent Dieu et qui respectent sa présence seront enfin heureux; les impies , au contraire , ne peuvent s'attendre à ;jouir d'aucun bien , ni de prolonger les jours de leur vie à l'ombre de la paix, parce qu'ils n'ont point eu de crainte ni de respect pour la présence de Dieu, » il pourra parler de la sorte

Ce que j'ai déjà dit ci-dessus ne peut manquer d'arriver ; mais je connais manifestement que ceux qui craignent devant le Seigneur posséderont toutes sortes de biens ; « car le visage du Seigneur est appliqué sur ceux qui font le mal; » et l'impie ne doit espérer aucun bien, lui qui ne craint point le Seigneur. Ses jours ne seront pas de longue durée : ils passeront comme l'ombre , bien qu'il semble , à compter ses jours, qu'il a vécu très longtemps sur la terre ; car la longueur des jours ne se prend pas de leur étendue , mais de la grandeur des bonnes couvres qu'on y fait. Sed qui grandes eos faciunt bonorum operunt magnitudine.

V.15. « On voit encore une autre vanité sur la terre : il y a des justes à qui les malheurs arrivent comme s'ils avaient l'ait les actions des méchants, et il y a des impies qui vivent heureux comme s'ils avaient l'ait les couvres des justes; mais cela est une grande vanité. » Entre plusieurs misères et plusieurs vanités que divers événements font naître dans le monde, j'ai encore remarqué celle-ci : on voit souvent qu'il arrive des malheurs aux justes, qui ne devraient arriver qu'aux méchants, et on voit au contraire des impies à qui toutes choses succèdent à souhait, comme s'ils étaient les plus justes de tous les hommes. L'Évangile nous en propose un exemple dans la personne du riche vêtu de pourpre et dans celle du pauvre Lazare. Il est aussi traité de cette matière dans le psaume soixante-douzième, où le prophète raisonne sur les maux que souffrent quelquefois les justes et sur les prospérités passagères des impies.

Au lieu de dire comme nous avons fait: « On voit encore une autre vanité sur la terre, » Symmaque a traduit en général : «Il est fort difficile de pénétrer ce qui se passe sur la terre. » Les Hébreux, comme nous avons dit auparavant, entendent ceci des enfants d'Aaron et du roi Manassé, parce que les premiers moururent en offrant de l'encens, et que Manassé remonta sur son trône après avoir commis beaucoup d'impiétés.

V. 16. « C'est ce qui m'a porté à louer la joie et le repos. J'ai cru que le bien que l'on pouvait avoir sous le soleil était de manger, de boire et de se réjouir, et que l'homme n'emportait que cela avec lui de tout le travail qu'il avait enduré en sa vie, pendant les jours que Dieu lui a donnés sous le soleil.. Quoique nous ayons déjà expliqué ceci fort au long dans les chapitres précédents, nous ne laisserons pas d'en dire encore quelque chose. L'Ecclésiaste donc préfère ici le plaisir court de manger et de boire aux chagrins et aux peines de cette vie et à toutes les injustices qui se commettent dans le monde, parce que l'homme ne retire ici-bas d'autre fruit de son travail que la jouissance de ces petites consolations et de ces légers soulagements. Mais en suivant cette explication à la lettre, nous serons obligés de regarder comme misérables tous ceux qui jeûnent, qui souffrent la faim et la soif, et ceux qui pleurent, encore que Jésus-Christ les ait déclarés bienheureux dans l'Évangile. Prenons donc dans un sens spirituel le manger et le boire dont il est parlé dans cet endroit, et surtout la joie, qu'à peine nous pourrions trouver au milieu des travaux de cette vie. Le verset suivant prouve évidemment que nous prenons ces paroles dans leur vrai sens, puisque le même auteur dit: « J'ai appliqué mon esprit à considérer la sagesse et les occupations; » ce qu'il dit de ceux qui s'occupent jour et nuit à la méditation des Écritures, et qui le font avec tant d'application qu'ils en perdent le sommeil et l'envie de dormir.

V. 17, etc. « J'ai appliqué mon coeur pour connaître la sagesse; et pour remarquer les diverses occupations des hommes sur la terre. Tel se trouve parmi eux qui ne dort et ne repose (185) ni jour ni nuit. Et j'ai reconnu que l'homme ne peut trouver aucune raison de toutes les couvres de Dieu qui se font sous le soleil, et que plus il s'efforcera de la découvrir, moins il la trouvera. Quand le sage même dirait qu'il a cette connaissance, il ne la pourra trouver. » Celui qui s'applique à la recherche de ce qui se passe dans le monde, qui veut savoir la cause et la raison de chaque chose, et qui demande pourquoi cela ou pourquoi ceci est arrivé; pourquoi l'on voit tant de différents événements dans le gouvernement du monde; pourquoi l'un est venu au monde aveugle et infirme, et qu'un autre y est venu avec de bons yeux et plein de santé; pourquoi celui-ci est pauvre et son voisin riche , pourquoi l'un noble et l'autre roturier; celui, dis-je, qui entre dans cet examen ne retire d'autre profit de toutes ces questions et de toutes ces recherches qu'un vrai rompement de tête et un tourment fort inutile, puisque après s'être accablé de questions et après avoir donné la torture à son esprit, il ne pourra découvrir ce qu'il cherchait. Et quand même il se flatterait d'avoir acquis ces connaissances et qu'il se les attribuerait, il nous prouverait par là qu'il est dans l'ignorance des commençants, enseveli dans les plus profondes ténèbres de l'erreur. Remarquez néanmoins que cette ignorance des hommes n'empêche pas que l'Ecclésiaste ne nous fasse entrevoir qu'il y a une justice qui gouverne tout, et que rien ne se fait dans le monde que pour de bonnes raisons et des causes légitimes; mais il n'est point d'homme sur la terre qui soit capable de comprendre les desseins et les raisons de la providence du Créateur, parce que ses voies sont très secrètes et très cachées.

 

 

CHAPITRE IX

Néant et vide de la vertu parmi les hommes

 

V. 1. « J'ai roulé toutes ces choses dans mon esprit et je me suis efforcé d'en avoir l'intelligence. Il y a des justes et des sages dont les couvres sont dans la main de Dieu, et néanmoins l'homme ne tonnait point manifestement s'il est digne d'amour ou de haine.» Symmaque a traduit ce passage d'une manière encore plus claire lorsqu'il a dit : « Je me suis représenté toutes ces choses dans mon esprit, et dans le dessein de les examiner. J'ai donc vu qu'il y a des justes et des sages dont les actions sont dans la main de Dieu. Cependant l'homme ne sait point qui est ami ou qui est ennemi de Dieu, ces choses demeurant inconnues et incertaines parce que tout arrive également aux justes et aux injustes. » Le sens de ces paroles est celui-ci : Je me suis aussi appliqué à connaître qui sont ceux que Dieu aime et qui sont ceux qu'il hait; mais quoique je susse que les oeuvres des justes sont dans la main de Dieu, je n'ai pourtant pu découvrir ni distinguer ces justes des autres hommes, parce qu'on flotte dans le doute et dans l'incertitude, et qu'on ne sait point certainement si ce que les justes souffrent dans ce monde n'est point destiné à éprouver leur patience, ou si ce n'est point par hasard le châtiment et la peine de leurs péchés. Cette connaissance donc est réservée pour l'autre vie, et elle marchera comme un flambeau devant les justes lorsqu'ils sortiront de ce monde pour aller paraître devant Dieu, parce qu'alors sera le temps du jugement, au lieu que cette vie est le lieu de leurs combats. Ainsi, tous ceux qui souffrent à présent sont incertains si c'est l'amour de Dieu qui les éprouve, comme il éprouvait Job, ou si ce n'est point un effet de la colère de Dieu, qui hait tous les pécheurs et qui ne peut laisser leurs crimes impunis.

V. 2. « Tout arrive également au juste et à l'injuste, au bon et au méchant, au pur et à l'impur, à celui qui immole des victimes et à celui qui méprise les sacrifices. L'innocent est traité comme le pécheur, et le parjure comme celui qui jure dans la vérité et avec respect. » Il faut entendre ceci de plusieurs choses indifférentes qui tiennent le milieu entre le bien et le mal, et que les sages du monde appellent moyennes parce qu'elles ne sont ni bonnes ni mauvaises par elles-mêmes. Elles arrivent donc également aux justes et aux méchants, et ces événements ont coutume de troubler l'esprit des personnes simples, qui croient qu'il ne doit point y avoir de jugement, parce que tout est confondu dans ce monde, ne faisant point attention à la séparation et au discernement des uns et des autres, qui sont réservés pour l'avenir. Quand l'Ecclésiaste dit donc que « tout arrive également au juste et à l'injuste,» on doit entendre cela des afflictions de cette vie, des maladies et de la mort, qui sont communes à tous les (186) hommes, aux bons comme aux méchants. Cette égalité d'événements empêche que les hommes puissent discerner les effets de l'amour ou de la haine de Dieu en eux-mêmes. Au reste, ce qui est dit de ceux qui immolent des victimes et de ceux qui méprisent les sacrifices se doit prendre dans un sens spirituel et par rapport à cet endroit d'un psaume : « Un cœur brisé de contrition est un sacrifice digne de Dieu.»

V. 3. « C'est là ce qu'il y a de plus fâcheux dans tout ce qui se passe sous le soleil, de ce que tout arrive de même à tous. De là vient aussi que les cours des enfants des hommes sont remplis de malice et d'erreurs pendant leur vie; et après cela ils sont mis au nombre des morts; car il n'y a personne qui puisse vivre toujours et qui voie les siècles suivants.» Symmaque, à son ordinaire, nous a traduit ce verset d'une manière beaucoup plus claire en disant «Aussi le coeur des enfants des hommes se remplit de malice et d'arrogance. Chacun d'eux pendant sa vie suit les inclinations de son coeur; mais, après tout cela, ils sont mis enfin entre les morts; car qui est celui qui puisse toujours vivre et demeurer dans ce monde?» L'Ecriture dit une seconde fois ce que nous venons d'expliquer, c'est-à-dire que tout arrive également à tous; que les biens et les maux de cette vie sont indifféremment pour les justes et pour les injustes, et que la mort n'épargne pas plus les uns que les autres. Cette égalité est cause que les coeurs des enfants des hommes sont remplis d'erreurs, d'insolence et de malice; et après avoir vécu dans ces égarements, ils sont enlevés par une mort imprévue et précipitée, qui leur fait connaître qu'ils ne doivent pas vivre éternellement sur la terre, quoiqu'ils aient paru se flatter de ces vaines espérances.

V. 4, 5 et 6. « Je parle avec liberté : un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort; car ceux qui sont envie savent qu'ils doivent mourir; mais les morts ne connaissent plus rien; il ne leur reste plus de récompense, parce que leur mémoire est ensevelie dans l'oubli. L'amour, la haine, le zèle ont péri avec eux, et ils n'ont plus de part à ce siècle ni à tout ce qui se passe sous le soleil. » Il a dit auparavant que les cours des enfants des hommes, pendant qu'ils vivent sur la terre, sont pleins de malice, de témérité et d'insolence: c'est pourquoi il reprend ici la même matière pour achever d'en dire ce qu'il en pensait. Les hommes, dit-il, sont sujets à être surpris par des morts précipitées; mais, quelque remplis qu'ils soient de malice et de méchanceté, ils peuvent, pendant qu'ils vivent, devenir bons et justes; ce qu'ils ne peuvent pas après que la mort les a enlevés de ce monde, parce que les morts ne sont plus capables de faire de bonnes oeuvres.

Un pécheur donc qui jouit encore de la vie peut devenir plus parfait qu'un juste qui n'est plus de ce monde, pourvu néanmoins qu'il se convertisse et qu'il veuille pratiquer et imiter les vertus de l'homme juste qui repose dans le tombeau. Nous pouvons en dire autant d'un homme vivant, quand il serait pauvre et le dernier des hommes, en le comparant à un grand du siècle qui se glorifiait pendant sa vie de sa puissance, de sa malice et de son insolence; car le pauvre vivant est préférable en bien des manières au riche mort et enseveli dans la terre. Mais pourquoi cela? Parce que ceux qui vivent encore peuvent craindre la mort et faire beaucoup de bonnes oeuvres pour se préparer à bien mourir, au lieu que ceux qui sont morts ne peuvent rien ajouter à ce qu'ils ont emporté avec eux en quittant ce monde, tout étant enseveli pour les morts dans un éternel oubli, selon ce que nous lisons dans un psaume: « J'ai été mis en oubli, comme un homme mort, dans le cœur des vivants.» L'amour aussi, la haine, l'envie ou le zèle sont des passions qui prennent fin avec la vie et qui ne suivent point le mort dans le tombeau. Nous ne pouvons alors ni faire de saintes actions, ni commettre des crimes, ni rien ajouter aux actes de vertu que nous avons faits durant le cours de notre vie, ni combler la mesure de nos iniquités.

Il se trouve pourtant quelques personnes qui contredisent cette explication, et qui prétendent qu'après la mort même nous pouvons augmenter nos bonnes oeuvres et croître en mérite, aussi bien que déchoir de notre justice. Ils appuient leur sentiment sur ce passage où il est dit: « Un homme mort n'a plus de part à ce siècle ni à tout ce qui se passe sous le soleil, » et ils avouent que les morts n'ont rien de commun avec ce siècle présent ni avec ceux qui vivent sous le soleil que nous voyons, mais qu'ils ont part à un autre monde, que notre Sauveur a marqué distinctement lorsqu'il a dit: « Mon royaume n'est pas de ce monde, » et qu'ils(187) savent ce qui se passe sous le soleil de justice. Ainsi, disent-ils, on ne peut point rejeter l'opinion de ceux qui pensent que les créatures raisonnables, après la mort du corps, peuvent encore mériter, ou commettre des péchés et des offenses.

Mon Hébreu me disait sur ce verset : « Un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort,» que ceux de sa nation y donnaient cette explication. Un homme vivant qui enseigne et qui agit, quoiqu'il ait une capacité médiocre, est plus utile au monde que le plus habile maître qui n'est plus du nombre des vivants. Par exemple, prenant le premier venu des maîtres vivants et des précepteurs, ils disent qu'il vaut mieux sous l'image d'un chien vivant que Moïse et les autres prophètes représentés sous la figure d'un lion mort. Mais comme nous n'approuvons point cette comparaison ni cette exposition, passons à quelque chose de meilleur et de plus élevé.

Disons donc que la Chananéenne à qui Jésus-Christ dit dans l'Evangile : «Votre foi vous a sauvée » est le chien vivant dont nous parlons, et que le peuple juif est le lion mort, selon qu'il est nommé par le prophète Balaam dans le livre des Nombres : «Voilà ce peuple qui se lèvera comme un petit lion, et qui sautera et tressaillira comme un lion.» Nous sommes donc nous-mêmes ce chien vivant, nous qui descendons du peuple gentil, et les Juifs, abandonnés du Seigneur, sont le lion mort. Or il est certain que devant Dieu les chrétiens valent infiniment plus que les Juifs; car, nous qui vivons, nous connaissons le Père, le Fils et le Saint-Esprit; mais pour eux, qui sont morts, ils ne savent rien de ce que la foi nous enseigne. Ils ne peuvent non plus espérer aucune récompense ni l’effet d'aucune promesse, parce que tout est enseveli à leur égard. De leur côté, ils ont oublié tout ce qu'ils devaient avoir toujours présent. dans leur mémoire, et Dieu du sien les a oubliés entièrement. L'amour et l'attachement qu'ils avaient autrefois pour le Seigneur est perdu depuis longtemps, et la haine qu'ils avaient pour ses ennemis ne subsiste plus parmi ce peuple. Ils ne peuvent point aujourd'hui assurer avec le prophète : « Seigneur, n'ai-je point. eu de haine pour tous ceux qui vous haïssaient, et n'ai je point séché de douleur quand j'ai vu l'insolence de vos ennemis? » Enfin le zèle pour la loi de Dieu, dont les Phinées et les Mattathias ont été si animés, ne vit plus parmi ce peuple incrédule, et il est manifeste qu'il ne leur convient pas de dire : «Le Seigneur est mon partage, » puisque ce sont des morts qui n'ont plus de part à ce siècle.

V. 7 et 8. « Allez donc et mangez votre pain avec joie; buvez votre vin avec l'allégresse de votre coeur, parce que vos oeuvres sont agréables à Dieu. Que vos vêtements soient blancs en tout temps, et que la composition dont vous parfumez votre tête ne défaille point.» Avant que d'en venir à une explication particulière de chaque verset, ,jusqu'à l'endroit où il est dit que les hommes tombent dans les piéges de la mort comme les poissons et les oiseaux dans les filets, il faut que nous touchions en passant le sens qu'ils renferment tous en gênerai et en commun, afin que le détail en soit dans la suite plus facile et plus agréable. Il a dit dans la section précédente que les hommes, après leur mort, sont en oubli dans la mémoire des vivants, qu'on n'en fait pas plus mention que s'ils n'avaient jamais été, que personne n'a pour eux ni haine ni amitié, que ceux qui ont perdu la vie ont en même temps perdu tout leur crédit et toute leur autorité sous le soleil. Pour prévenir donc ces fâcheux inconvénients de la mort, il fait parler ici des hommes qui vivent dans l'égarement et qui, selon leur coutume, s'entr'exhortent à se divertir et à jouir des plaisirs de la vie. O homme, disent-ils, puisque vous ne serez rien après votre mort et que la mort est elle-même un néant, écoutez le conseil que je vais vous donner. Pendant que vous êtes en vie jouissez de toutes sortes de délices: faites de grands festins; ayez pour votre boisson ordinaire les vins les plus exquis, et noyez vos chagrins et vos inquiétudes en vous remplissant vous-mêmes de vins et de liqueurs. Sachez après cela que Dieu vous adonné toutes ces choses pour en user librement et pour les faire servir à vos plaisirs et à vos joies. Soyez toujours vêtus d'habits propres et de robes blanches; que votre tête ait la senteur des aromates et des parfums précieux; ne vous refusez rien de ce que la volupté pourra vous inspirer, et faites en sorte que vos plaisirs accompagnent tous les moments de votre vie, qui est si courte et si fragile; car si vous êtes assez mal avisés que de laisser échapper les occasions (188) de vous réjouir et de prendre vos plaisirs, il ne sera plus temps de le faire quand vous serez morts. Hâtez-vous donc de jouir de tous les plaisirs de la vie, de peur qu'ils ne vous échappent et qu'ils ne périssent pour vous et avec vous. Au reste, ne soyez pas si crédules que de vous laisser épouvanter par de petits contes qu'on vous fait du jugement qui vous attend après la mort et du compte exact que vous y rendrez de toutes vos actions, soit bonnes ou mauvaises; car parmi les morts il n'y a ni sagesse ni raison, et tous les sentiments sont entièrement éteints et anéantis par la mort.

C'est là le langage que tiennent aujourd'hui les Epicure, les Aristippe, les Cyrénaïque et les autres fous appelés philosophes et sages du monde. Mais pour moi, dit l'Ecclésiaste, bien loin d'avoir de ces sentiments, je trouve, après y avoir bien pensé, que les choses de ce monde n'arrivent point au hasard comme quelques-uns se l'imaginent sans fondement, et qui prétendent qu'on doit attribuer les divers événements de la vie au caprice de la fortune, qui fait son jeu et son divertissement du bonheur ou du malheur des hommes. Je suis au contraire très persuadé que rien n'arrive dans le monde que par un jurement particulier de Dieu. Ainsi, que celui qui court avec vitesse ne se flatte pas qu'il court de lui-même, et qu'il ne s'attribue pas cette bonne qualité ; que celui, de même, qui se sent fort et robuste ne se confie pas dans sa force; que le sage ne pense pas que les richesses s'acquièrent par la prudence, et que les personnes éloquentes et distinguées par leur érudition ne disent pas qu'elles doivent à leur mérite le crédit et la réputation qu'elles ont dans le monde : c'est à Dieu que vous devez rapporter toutes ces choses, parce qu'elles n'arrivent que par l'ordre et la disposition de sa divine Providence; car s'il ne prenait lui-même le soin de gouverner tout l'univers, ceux qui bâtissent des maisons les bâtiraient en vain et ceux qui gardent les villes les garderaient inutilement. Tout n'arrive donc point au hasard et sans discernement, comme l'imaginent les esprits libertins, qui sont eux-mêmes la preuve incontestable des vérités qu'ils combattent, parce que, lorsqu'ils y pensent le moins, ils sont enlevés de ce monde par une mort précipitée pour aller paraître devant le tribunal de leur juge redoutable, dont ils ont toujours

méprisé les menaces jusqu'au moment qu'il n'est plus temps ni de les mépriser ni de les éviter. Il leur arrive alors la même chose qu'aux poissons qui sont pris tout d'un coup par les hameçons ou dans les filets, et la même chose qu'aux oiseaux qui volent librement çà et là dans l'air, et qui tombent sans s'en apercevoir dans les piéges des chasseurs. C'est ainsi que les hommes tombent tout d'un coup dans les supplices éternels que leurs crimes leur ont mérités; et ils reconnaissent à l'heure de la mort, qui est . venue les surprendre, que les choses humaines n'étaient pas abandonnées à la bizarrerie du hasard comme ils le pensaient, mais que tout était dispensé avec une souveraine sagesse. C'est là le sens des passages que nous voulions expliquer tout ensemble. Venons maintenant à un détail, et à l'explication des versets l'un après l'autre, et ne faisons plus parler l'Ecclésiaste que dans sa propre personne.

« Allez, mangez votre pain avec joie et buvez votre vin avec le plaisir de votre coeur, parce que vos oeuvres sont agréables à Dieu. » Je vous ai déjà averti que tout se termine au tombeau, et qu'après la mort on ne peut ni faire pénitence ni revenir à la pratique des vertus: faites donc à présent, pendant que vous jouissez de la vie, tout le bien que vous pourrez; hâtez-vous de faire pénitence et travaillez pendant que vous en avez le temps et que vous vivez dans ce monde. En prenant le texte dans un autre sens plus naturel et plus simple, nous pourrons encore en retirer plus de fruit et plus d'édification. Souvenons-nous donc de cette belle maxime de l'Apôtre : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit quelque chose que vous fassiez, faites tout au nom du Seigneur;» et dans un autre endroit des Proverbes de Salomon: « Buvez votre vin avec conseil;» car celui qui abuse des créatures et qui se jette dans des excès ne peut pas se flatter de goûter de vrais plaisirs ni d'avoir un bon coeur. Non enim habet veram laetitiam et cor bonum qui créatures supra modum abutitur. Ce sens me parait préférable au premier, parce que celui dont les oeuvres sont saintes et agréables à Dieu ne peut jamais manquer de pain spirituel, qui est le véritable, ni de cet excellent vin qui nous est venu de la vigne de Sorec. Mettons donc en pratique les commandements qu'on nous donne dans ces paroles de (189) l'Ecclésiaste : « Désirez-vous de posséder la sagesse gardez les commandements, et Dieu vous la donnera ; » et alors nous ne manquerons point de trouver le pain et le vin spirituels que nous devons souhaiter pour la nourriture de nos âmes ; mais si quelqu'un de ceux qui ne gardent pas les commandements du Seigneur se glorifiait de vivre dans l'abondance de pain et de vin, Isaïe lui dirait : « Ne dites pas: Je connais aussi la sagesse; car certainement vous ne la connaissez pas, puisqu'elle ne vous a point rendu docile dès le commencement. Je sais que vous méprisez ma loi, etc. » Au reste nous devons faire attention, en lisant la version des Septante qui porte : « Venez, mangez votre pain avec joie,» que ces paroles sont de cet Ecclésiaste qui nous dit dans l'Évangile : « Que celui qui a soif vienne à moi et qu'il boive;» et dans les Proverbes : «Venez, mangez mon pain et buvez mon vin. »

« Que vos vêtements soient blancs en tout temps, et que les huiles de parfums que vous mettez sur votre tête ne défaillent point. » Que votre corps, dit-il, soit pur et chaste, et que votre coeur soit plein de douceur et de miséricorde envers le prochain, pour répandre sur lui vos libéralités et vos bienfaits; qu'en tout temps on vous voie revêtu d'habits blancs, et donnez-vous de garde de porter jamais des vêtements souillés, vous souvenant que le peuple d'Israël ne se couvrit d'habits noirâtres que pour pleurer son malheur et son idolâtrie. Mais, pour vous, soyez revêtus des oeuvres de lumière, et non de malédiction comme le traître Judas, dont il est écrit : « Qu'il soit couvert de malédiction comme d'un manteau! » Revêtez-vous d'entrailles de miséricorde, de douceur, d'humilité, de mansuétude et de patience. Et lorsque vous aurez dépouillé le vieil homme avec toutes ses oeuvres, tâchez de vous vêtir du nouveau, qui devient plus innocent et plus saint de jour en jour.

Ce que l'Écriture ajoute: « Et que l'huile de parfum soit toujours sur votre tête, , nous oblige de remarquer les qualités et la nature de l'huile : elle sert pour nourrir et entretenir la lumière des lampes, et elle est d'un grand usage pour soulager et délasser ceux qui sont fatigués de travail. Il y a une huile spirituelle, une huile de joie et d'allégresse dont le Psalmiste a parlé en ces ternies: « C'est pour cela que Dieu, qui est aussi votre Dieu, vous a oint d'une huile d'allégresse et de joie par-dessus tous ceux qui participent avec vous à cette onction.» Il faut imprimer sur notre visage des traits de joie et de contentement en passant de cette huile par-dessus, et au temps de jeûne il faut que notre tête en soit toute parfumée. Les pécheurs n'ont point de connaissance d'une huile si divine ; ils en ont une tout-à-fait contraire que le juste déteste en disant. « Que ma tête ne soit point parfumée de l'huile du pécheur. » On trouve chez les hérétiques de ces méchantes huiles, et ils souhaitent avec ardeur d'en oindre les têtes de ceux qui se laissent séduire par leurs artifices.

V. 9. « Jouissez de la vie avec la femme que vous aimez tous les jours de votre vie passagère, et tout le temps qui vous est donné sous le soleil; car c'est là votre partage pendant votre vie et dans le travail qui vous exerce sous le soleil. » Recherchez la sagesse et la science des Écritures, et tâchez de la posséder comme une chaste épouse. Attachez-vous à cette étude, selon le conseil du sage dans les Proverbes : « Aimez-la et elle vous gardera; embrassez-la et elle vous environnera. » Les jours qui sont appelés dans le texte original « jours de vanité » signifient : le temps de la vie présente que nous passons dans ce monde enseveli dans la malignité. L'Apôtre les nomme des « jours mauvais. » Cette expression, dès le commencement du verset: «Voyez la vie avec la femme que vous aimez, » me parait ambiguë et un peu obscure ; car elle peut signifier deux choses premièrement on peut l'expliquer en cette manière : Voyez et considérez la vie, vous et votre femme avec vous, parce que vous ne sauriez volts seul, sans le secours d'unetelle femme, voir et connaître la vie; secondement, on peut prendre le verset en ce sens : Considérez la vie et considérez la femme pendant les jours de votre vanité; ce qui marque deux considérations et deux objets. Si nous nous arrêtons à la première explication, nous y trouverons un sens d'une beauté charmante ; car on nous y ordonne de chercher avec la sagesse, notre épouse, la véritable vie, pendant les jours de notre vanité : en effet c'est là notre bonheur et notre partage sur la terre, aussi bien que le fruit de tous nos travaux, si dans cette vie fragile, qui passe comme l'ombre, nous sommes (190) assez heureux que de trouver la véritable vie : Haec enim pars nostra est et hic laboris fructus, si in hac vita unibratili vitam veram invenire valeamus.

V. 10. « Faites promptement et avec ardeur tout ce que votre main pourra faire, parce qu'il n'y aura plus ni oeuvre, ni raison, ni sagesse, ni science dans le tombeau où vous courez. » Faites dès à présent tout ce que vous pouvez faire et travaillez infatigablement, parce qu'il ne sera plus temps de faire pénitence quand vous serez mis dans le tombeau. Notre Sauveur a dit quelque chose qui approche beaucoup de cette maxime du livre de l'Ecclésiaste «Travaillez,» dit Jésus-Christ, «pendant qu'il est jour, parce que la nuit viendra bientôt où personne ne pourra rien faire.

Remarquez en passant que Samuël et tous les saints de l'Ancien-Testament, avant la venue de Jésus-Christ, étaient retenus dans des lieux souterrains appelés« enfers; »mais qu'après la résurrection de notre Seigneur les saints ne sont plus renfermés dans les enfers; ce que nous pouvons assurer sur le témoignage de l'Apôtre, qui dit: « Il est plus avantageux de mourir et d'être avec Jésus-Christ. » Or, celui qui est avec Jésus-Christ ne peut pas certainement être retenu dans l'enfer.

V. 11. « J'ai tourné mes pensées ailleurs, et j'ai vu que sous le soleil le prix n'est point pour ceux qui sont les plus légers à la course, ni les expéditions militaires pour les plus braves, ni l’abondance pour les plus sages, ni les richesses pour les plus habiles, ni la faveur pour ceux qui ont le plus de connaissances ; mais que tout se fait par rencontre et à l'aventure.» Celui qui est enchaîné et qui a les fers aux pieds n'est pas disposé à courir, et il ne peut point dire avec l'Apôtre: «J'ai achevé ma course, j'ai été fidèle; » mais celui qui est léger à la course spirituelle, et dont l'âme n'est point appesantie par le péché, ne pourra non plus arriver à la fin de la carrière si Dieu ne le favorise de son secours et de sa grâce. De même, quand il faudra combattre contre les puissances ennemies, les démons, nos adversaires, quelque fort qu'on soit, l'on ne pourra les vaincre par ses propres forces. Il faut en dire autant des hommes parfaits et des plus sages, qui ne seront point nourris du pain de vie, du pain céleste, si la sagesse ne les invite et ne leur dit: «Venez, mangez des pains que j'ai préparés. » Il faut encore être bien persuadé que les richesses dont parle saint Paul en disant : « Tâchez d'être riches en bonnes oeuvres, » et ailleurs : « Vous êtes devenus riches en paroles et en connaissances;» il faut, dis-je, être bien persuadé que nous ne saurions les acquérir et les amasser si nous ne les recevons du Seigneur, à qui ces richesses appartiennent. On a beau aussi être habile, si la grâce n'accompagne la science et si le Seigneur ne l'accorde par sa libéralité, les plus savants ne pourront jamais la mériter par leurs propres lumières. Saint Paul en était bien persuadé lorsqu'il disait : «J'ai plus travaillé que tous les autres; non pas moi proprement, mais la grâce de Dieu qui est avec moi ; » et derechef : « Sa grâce n'a pas été en moi vaine et sans fruit. » Enfin l'homme ne sait point en quel temps toutes choses doivent finir, ni quand on verra ces divers événements qu'on attend à la fin des siècles. Tout ce que nous venons de dire regarde le sens anagogique, et le plus élevé.

Au reste, pour venir à une explication plus simple et plus littérale, souvenons-nous d'abord de ce que l'Apôtre dit dans l'épître aux Romains: «Cela ne dépend donc point ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » Pour ce qui est de ces paroles : « Le pain n'est pas pour les sages,» elles se vérifient chaque jour par l'exemple de plusieurs personnes très sages qui manquent des choses nécessaires à la vie; ce qui est confirmé par ce qui suit : « La faveur n'est pas pour les savants; » ce qui n'est que trop vrai, puisque nous vouons, dans l'Eglise même, les plus incapables des hommes au-dessus des autres, y paraître avec éclat et y être en réputation. Et s'il arrive qu'ils se soient accoutumés à parler avec facilité et avec des airs présomptueux, ils se persuadent aisément être des gens d'esprit et d'érudition, quoiqu'ils ne sachent ce qu'ils disent ; mais il leur suffit d'être applaudis du peuple, qui est ordinairement. plus touché et plus content de quelques discours vains et frivoles que de l'utilité et de la solidité de la saine doctrine. Nous voyons au contraire que des gens doctes, des personnes d'une profonde érudition demeurent dans l'obscurité, qu'ils souffrent de violentes persécutions, et que non-seulement ils ne sont pas en estime et en faveur, mais qu'ils sont même réduits à une grande pauvreté et à une extrême indigence. C'est là l'état incertain de la fortune des hommes dans ce monde, où la vertu et le mérite ne doivent pas attendre les récompenses qu'on leur prépare pour une autre vie : Et non est in presenti retributio meritorum, sed in futuro

V. 12. « L'homme ignore certainement le temps et l'heure de sa fin; et comme les poissons sont pris à l'hameçon et les oiseaux au filet, ainsi les hommes se trouvent surpris par l'adversité lorsque tout d'un coup elle vient foudre sur eux. » Nous avons déjà remarqué dans cet ouvrage que les hommes sont surpris de la mort et de l'adversité lorsqu'ils y pensent le moins : ainsi nous pouvons expliquer ici le même endroit dans un sens allégorique, et le rapporter à la parabole de l'Evangile, où le royaume du ciel est comparé à un filet qu'on jette dans la mer pour prendre des poissons. On doit aussi faire attention que les hérétiques ont un filet dans lequel ils enveloppent les âmes qu'ils font périr : ce filet n'est autre chose que leur affabilité, la douceur et la politesse de leurs discours, la pratique feinte ou forcée de leurs jeûnes, la simplicité et la modestie de leurs habits, leurs vertus apparentes et affectées. S'ils parlent des mystères divins et de ce qu'il y a de plus élevé dans la théologie, comme de la profondeur des jugements de Dieu, alors on peut dire qu'ils tendent des piéges dans les lieux les plus élevés. De même donc que les poissons tombent dans les filets et les oiseaux dans les piéges, de même aussi arrive-t-il aux enfants des hommes de donner dans les pièges des hérétiques lorsqu'on voit les méchants se multiplier, la charité de plusieurs refroidie, et ces actions merveilleuses, qui semblent tenir du prodige dans les séducteurs capables de faire tomber les élus mêmes, si cela était possible. En ce temps le danger n'est pas moins grand pour les ecclésiastiques, qui sont nommés enfants des hommes, et qui sont des gens de peu de foi, parce qu'ils peuvent tomber aussi promptement que tous les autres.

V. 13, 14 et 15. « J'ai vu aussi sous le soleil une action qui m'a paru en effet d'une très grande sagesse : une ville fort petite, où il v avait peu de monde : un grand roi est venu pour la prendre; il l'a investie, il a bâti des forts tout autour et l'a assiégée de toutes sparts. Il s'est trouvé dedans un homme pauvre, mais sage, qui a délivré la ville par sa sagesse; et après cela nul ne s'est souvenu de cet homme pauvre. » Pendant que d'autres assurent que les choses de ce monde sont abandonnées à l'inconstance du hasard et que l'homme juste n'a aucun avantage sur l'injuste, je trouve, pour moi, dit l'Ecclésiaste, une très grande sagesse et des actions admirables parmi les hommes : par exemple, je remarque qu'il arrive souvent qu'une petite ville, où il y a très peu de monde, est assiégée par une armée innombrable d'ennemis; que les habitants de cette ville désespèrent de pouvoir sauver leur vie, étant serrés de si près par les ennemis et presque morts de faim; mais qu'il se présente, contre l'attente de tout le monde, un homme pauvre, fort peu remarquable, qui promet de délivrer par sa sagesse la ville assiégée que les riches, les grands, les puissants et les orgueilleux n'ont pu secourir ni mettre en liberté. Mais, d ingratitude des hommes, sujette à oublier les bienfaits les plus importants! après que la ville a été délivrée de la puissance des ennemis, après avoir évité une captivité honteuse, après la liberté rendue à la patrie, il ne se trouve personne qui se souvienne du pauvre, du sage libérateur, ni qui lui rende les actions de grâces qui lui sont dues. Tous reviennent à leurs anciennes coutumes: ils n'honorent que les riches et les grands, qui n'ont été d'aucun secours à la petite ville dans le temps qu'elle était sur le point d'être renversée.

Mon précepteur hébreu m'expliquait autrement cet endroit de l'Ecclésiaste, et il voulait que je l'entendisse de la sorte. L'homme, disait-il, est cette petite ville ; et nous pouvons bien le comparer à une ville , puisque les philosophes le regardent comme un « petit monde »et qu'ils lui donnent ce nom. Le peu d'habitants de cette ville sont le petit nombre de membres dont le corps humain est composé. Lorsque le diable, ce roi grand et redoutable, s'approche de cette petite ville pour l'assiéger et s'en rendre maure, il se trouve dans la place un esprit humble, sage et tranquille, un homme intérieur et rempli de lumière, qui défend la ville assiégée et qui la délivre de la main de ses ennemis; et lorsque l'homme extérieur se sent délivré de quelque grand péril de perdre la vie, et qu'il se voit à couvert des persécutions, des afflictions, des adversités ou de quelque autre accident fâcheux et contraire à ses inclinations, ou, si l'on veut, des péchés mêmes où il était tombé, cet homme terrestre et charnel, ennemi déclaré de l'homme spirituel ou intérieur, ne se souvient plus de l'obligation qu'il a au pauvre et au sage, à l'esprit intérieur qui lui a sauvé la vie; il refuse même de suivre ses conseils, et abuse de la liberté que l'homme intérieur vient de lui donner.

Mais expliquons encore ces versets de cette troisième manière. L'Eglise, en comparaison de tout l'univers, peut être regardée comme une petite ville qui contient un petit nombre d'habitants. Il arrive souvent que le démon, ce grand roi (non qu'il soit grand en effet, mais parce qu'il affecte la grandeur et la domination dont il l'ait parade), vient assiéger cette petite ville et l'entourer de toutes parts. II s'élève contre elle par les persécutions qu'il lui suscite, ou par quelque autre espèce de tentations et d'afflictions dont il tâche de l'accabler. Mais il y trouve un homme pauvre, un homme sage, c'est-à-dire notre seigneur Jésus-Christ ( qui a bien voulu se faire pauvre pour l'amour de nous et qui est la sagesse de Dieu), et ce pauvre fait lever le siége du persécuteur et met en liberté la ville par sa seule sagesse. Hélas! combien de fois avons-nous vu ce lion infernal tendre des piéges secrets à l'Eglise avec les riches, c'est-à-dire avec les magistrats et les princes de ce monde! et combien de fois aussi avons-nous vu tous les artifices et tous les efforts des ennemis de l’Eglise rendus vains et inutiles par la sagesse de notre pauvre et de notre roi plein d'humilité, de douceur et de bonté! Mais après toutes les victoires de ce pauvre et la paix rendue à la patrie, à peine se trouve-t-il quelqu'un qui se souvienne de lui et qui veuille garder ses commandements; ils s'abandonnent au contraire au luxe, à l'impureté et à la volupté, ne cherchant que des richesses périssables qui ne peuvent nous délivrer dans de pressantes nécessités.

V. 16. « J'ai donc dit : La sagesse vaut mieux que la force, quelque méprisée qu'elle ait été dans la personne du pauvre dont on n'a pas voulu écouter les paroles.» Quoique personne ne se souvienne du pauvre et de ce sage dont nous parlons lorsqu'on commence à jouir de la paix et de la prospérité, et qu'on n'admire alors que les riches et les grands du siècle, j'aime mieux, ajoute l'auteur de ce livre, sur les principes que nous avons établis ci-dessus, honorer et. cultiver la sagesse , que les autres méprisent, et suivre ses conseils, que plusieurs ne daignent pas écouter, que de devenir ingrat et insensé comme eux.

V. 17. « Les paroles des sages s'entendent dans le repos plus que les cris du prince parmi les insensés.» Tout ceux que vous verrez faire le métier de déclamateur clans l'Église, et affecter dans leurs discours la galanterie et la délicatesse du langage pour s'attirer les applaudissements de l'auditeur, ou pour le divertir et le faire rire, ne faites pas difficulté de les regarder comme des insensés; car ces manières sont une marque que ce sont des insensés qui parlent à d'autres insensés. Les paroles donc des sages s'entendent dans le repos et avec peu de bruit, au lieu que les hommes imprudents et sans jugement, quoique d'ailleurs distingués parleur autorité et leur puissance, élèvent bien haut la voix et se plaisent aux cris excessifs d'un peuple qui leur applaudit, ce qui leur attire justement la réputation d'hommes insensés et ridicules.

« La sagesse vaut mieux que les armes des gens de guerre, et un seul qui pèche fera perdre de grands biens. » Il préfère encore en cet endroit la sagesse à la force, et il dit qu'elle vaut mieux dans le combat que les armes de ceux qui combattent ; que s'il se trouve un seul insensé, quoique ce soit un homme peu considérable, un homme de rien, il ne laissera pas d'être souvent cause qu'on perdra de grands trésors et de grandes richesses. Mais, comme nous pouvons lire selon l'hébreu : « Et celui qui commet un péché perd beaucoup de biens, nous devons encore prendre ces paroles dans ce sens. Celui qui tombe dans un seul péché perd quantité de saintes actions et d'oeuvres de justice qu'il avait faites auparavant et depuis longtemps; car les vertus ont une si grande connexité et une telle dépendance les unes des autres qu'on ne peut en posséder une sans posséder toutes les autres, de même qu'on ne peut être esclave d'un seul vice et d'un péché sans être assujetti à tous les autres. Et virtutes se invicem sequi, qui unam hahuerit, habere omnes. Et qui in uno peccaverit, eum omnibus vitiis subjacere.

 

CHAPITRE X

Néant et absence du bon ordre parmi les hommes

 

V. 1. « Les mouches qui meurent dans les parfums en gâtent la bonne odeur : ainsi une imprudence légère prévaut contre la sagesse et la gloire.» Il donne ici un exemple de ce qu'il disait un peu auparavant, savoir : qu'un seul insensé peut souvent gâter bien des affaires et être cause de la perte de plusieurs grands biens ; car un seul méchant homme, qui se trouve parmi les bons, est capable d'en corrompre et d'en infecter un fort grand nombre, de même que les huiles de parfum les plus précieuses se gâtent entièrement par la saleté des mouches mortes, qui leur font perdre la couleur et toute la bonne odeur. Mais comme il arrive ordinairement que la sagesse des hommes se tourne en ruses et en artifices, et que leur prudence est accompagnée de malice, l'Écriture nous ordonne de rechercher la simplicité de la sagesse et de la joindre avec L'innocence de la colombe, afin d'être prudents dans le bien et simples dans le mal. Il faut donc prendre en ce sens la fin du verset : Il convient à l'homme juste d'avoir un peu de simplicité, de devenir fou afin d'être sage, et de souffrir avec une très grande patience les injures qu'on lui fait; de ne pas se venger de ceux qui le maltraitent, mais de réserver la vengeance à celui qui a dit: « Il m'appartient de faire vengeance et je saurai bien la faire, dit le Seigneur; » car il est à craindre que ceux qui se vengent eux-mêmes des injures qu'ils ont reçues, ne couvrent leur malice de prétextes spécieux de sagesse et de justice.

On peut encore dire que ces mouches qui gâtent la bonne odeur des parfums sont celles dont Isaïe nous a parlé, et qui dominent sur une partie du fleuve d'Égypte, parce qu'elles laissent dans chacun des fidèles qu'elles touchent des impressions et des marques de leur mauvaise odeur et de leur saleté. C'est de ces mouches que Beelzebub, prince des démons, a pris son nom, puisqu'il signifie : idole des mouches, ou : mari des mouches, ou, si l'on veut : abondant en mouches.

V. 2 et 3. « Le coeur du sage est dans sa main droite, et le coeur de l'insensé est dans sa main gauche. L'insensé, de plus, lorsqu'il marche dans la rue, le cœur dépourvu de sens, s'imagine que tous ceux qu'il voit sont des insensés. » Le commandement qu'on nous fait dans l'Evangile porte aussi que la main gauche du sage ne doit pas savoir ce que fait sa droite ; et quand on nous ordonne de présenter l'autre joue à celui qui nous a déjà frappés sur la joue droite, il faut entendre cela d'une autre joue droite, parce que dans le juste tout y est «droit,» et que tout ce qui s'appelle« gauche » est indigne de lui. Nous savons encore que quand notre Sauveur viendra pour juger le monde, il mettra du côté de sa main droite les agneaux, et les boucs du côté de sa main gauche. Enfin il est dit dans les Proverbes: « Le Seigneur tonnait les voies droites ; mais celles qui ne sont pas droites sont du côté gauche. » De là on doit tirer cette conclusion, que celui qui est sage doit toujours penser au siècle futur, parce que cette pensée nous fait aller du côté droit; mais pour l'insensé qui ne regarde que les choses présentes qui l'attachent à ce monde , il va sans cesse du côté gauche, qui le mène au précipice.

Mais ne pensons pas qu'il y ait quelque contradiction entre les maximes que nous venons de proposer et ce qui est dit dans ce passage des Proverbes: « Ne vous détournez point ni à droite ni à gauche; » car dans les passages que nous avons rapportés le « côté droit » se prend en bonne fart, et marque le parti du bien et de la vertu; au lieu que dans ces dernières paroles du livre des Proverbes on blâme et condamne ceux qui s'éloignent de la droite, et non pas la partie droite elle-même; c'est-à-dire qu'on nous avertit de ne pas excéder la juste mesure, de ne pas vouloir être plus sages qu'il ne nous convient, nous souvenant que les vertus sont placées dans un juste milieu et comme dans le centre de leur sphère. Les vices au contraire ne connaissent ni tempérament ni mesure, ils tombent toujours dans quelque excès et aiment le trop ou le trop peu.

Quant à ce dernier verset où nous lisons « Mais l'insensé qui marche dans les rues, et dont le coeur est dépourvu de bon sens, s'imagine de ne rencontrer que des fous, » je crois qu'il faut lui donner ce sens : L'insensé qui pèche et qui tombe souvent dans des crimes (194) se persuade que tous les autres en font autant, et il en juge par ses propres dispositions. Symmaque a suivi cette explication , puisqu'il a traduit de cette manière : « Mais l'insensé quand il marche dans le chemin , quoiqu'il soit lui-même un homme sans jugement, il a si mauvaise opinion des autres qu'il les prend tous pour des insensés. » Les Septante nous ont donné un sens différent de celui-ci en disant : «Tout ce qui tombe dans l'esprit de l'insensé est plein de vanité et d'extravagance. »

V. 4. « Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous, ne quittez pas votre place, parce que les remèdes qu'on vous appliquera vous guériront des plus grands péchés. » L'Écriture parle en cet endroit du prince de ce monde, du prince des ténèbres,qui agit dans les incrédules, comme l'a remarqué l'apôtre saint Paul. Que si nous avons eu le malheur de lui donner entrée dans notre coeur, et si les mauvaises pensées ont fait quelque plaie. à notre âme, que ce malin esprit trouve désormais la porte du coeur fermée; combattons généreusement contre toutes sortes de pensées les plus mauvaises et les plus criminelles, afin d’être guéris et délivrés du très grand péché, c'est-à-dire: afin de ne pas accomplir par les actions ce que les mauvaises pensées nous suggèrent; car il y a une fort grande différence entre pécher par pensée et pécher par oeuvres et par actions. C'est de ce très grand péché d'action que parle le Psalmiste lorsqu'il dit : « Si je ne suis pas dominé par les miens, je serai alors sans tache et purifié d'un très grand péché. » Symmaque n'a retenu que le sens du mot hébreu marphé, que tons les autres interprètes grecs ont traduit par hiama, qui signifie: santé, ou : remède. Symmaque dit donc : « Si l'esprit du prince vient fondre sur vous, ne quittez pas ou ne vous éloigner. pas de votre place ; parce que la pudeur et l'honnêteté répriment de grands péchés. Cela veut dire : Si le démon excite en vous les chatouillements du péché et qu'il veuille vous porter à l'impureté, ne suivez pas ses mauvaises pensées ni les attraits de la volupté, mais demeurez ferme et constant dans le bien. Soyez sévère contre vous-même , pour éteindre par les froideurs de la chasteté les flammes impures de la volupté et du vice.

Mon Hébreu, en m'expliquant autrefois ce passage, me disait je ne sais quoi pour m’en faire comprendre le sens ; et voici ce qu'il en pensait. Si vous avez été élevé à quelque dignité dans le monde, et si l'on vous a donné un plus grand rang qu'aux autres parmi le peuple , gardez-vous de vous négliger sur la pratique de vos anciennes vertus, et ne quittez pas vos premiers exercices; continuez à travailler comme vous avez toujours fait, parce que vous ne sauriez trouver le remède et la guérison de vos maux et de vos péchés dans le faste et la vanité d'une dignité dont vous êtes revêtu ; mais vous la trouvez dans la vertu et dans la bonne conduite. » Quia peccatorum tuorum remedium ex conversatione bona nascitur ; non ex tumenti et ex superflua dignitate.

V. 5, 6 et 7. « Il y a un mal que j'ai vu sous le soleil et qui semble venir de l'erreur du prince : l'imprudent élevé à une dignité sublime, et les riches assis dans un lieu bas. J'ai vu les esclaves à cheval, et les princes marcher à pied comme des esclaves. » Ces paroles de notre traduction : « qui semble venir de l'erreur du prince, » se trouvent expliquées différemment dans les versions d'Aquila, de Théodotien et des Septante, où nous lisons : « Qui semble n'être pas volontaire devant le prince. » L'Ecclésiaste dit donc qu'il a vu cette injustice dans le monde, ou, pour mieux parier, cet injuste dérangement; parce qu'il semble que les jugements de Dieu ne sont pas équitables, en ce qu'il souffre tant de renversements dans cette vie ; car, soit qu'il ignore ce qui se passe dans ce monde, soit que les choses arrivent sans sa volonté, il ne parait point juste ni du bon ordre que les imprudents et les insensés tiennent le haut bout et les premières places, tant dans le siècle que dans l'Église, pendant que des personnes d'un mérite distingué, des personnes sages, éloquentes et remplies de bonnes oeuvres vivent dans l'obscurité et dans la poussière. L'Apôtre a reconnu ce désordre dans les choses humaines, et il n'a point balancé d'en faire auteur le diable qui est si puissant dans ce monde, et qui est attentif à faire souffrir et , à humilier les gens de bien et tous ceux qui sont puissants en science et cri bonnes oeuvres. Il ne permet point que ceux-la soient connus parmi les peuples, ni qu'ils aient une grande réputation. Il fait si bien par ses artifices qu'il pousse les plus petits sujets, ceux qui n'ont ni esprit ni jugement, afin que l'Église soit (195) gouvernée par des aveugles qui conduisent d'autres aveugles dans le précipice. Ce qui suit se dit dans le même sens et en confirme la vérité: « J'ai vu les esclaves à cheval, et les princes marcher à pied comme des esclaves. » Il veut dire qu'il a vu des gens esclaves du péché et Cie plusieurs vices, des gens qui n'ont pas plus de mérite que des valets méprisés de tous les hommes, il les a vus, dis je, élevés tout d'un coup par la faveur du démon aux plus grandes dignités, se promener dans les places publiques, montés sur de petits chevaux pour se distinguer et se faire remarquer; au lieu que des personnes sages et de naissance sont réduites à la dernière pauvreté , sont contraintes de marcher à pied et de faire ce que font les esclaves et les serviteurs.

Mon Hébreu croit que Dieu est le prince et le puissant dont il est parlé dans cet endroit, et que l'erreur des hommes semble venir de sa providence, parce qu'ils s'imaginent, vouant si peu d'équité et tant d'inégalité, clans les choses de ce monde, que Dieu ne juge pas justement et qu'il ne rend pas à chacun ce qu'il mérite. D'autres prétendent qu'il faut joindre ce verset avec ce qui a déjà été dit : «Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous, ne quittez pas votre place. » Ne soyons donc point tristes et ne nous affligeons point, s'il semble que nous vivons dans ce monde pour être humiliés et rabaissés, sachant que c'est l'ouvrage du démon d'élever les insensés et d'abaisser les riches en sagesse et en vertu, de revêtir des esclaves de marques illustres d'honneur qui n'appartiennent légitimement qu'à des maîtres, et de faire au contraire ramper dans la poussière des hommes qui méritent d'être honorés comme des princes et non pas d'être traités comme des esclaves.

V. 8. « Qui creuse la fosse y tombera, et celui qui coupe une haie sera mordu par les serpents. » Ce passage s'explique en partie dans un sens littéral et tout simple, et en partie dans un sens mystique; car Salomon lui-même dit ailleurs : «Celui qui dresse des pièges y sera pris; » et nous lisons dans le septième psaume: « Il a creusé une fosse et il l'a faite bien profonde, mais il est tombé lui-même dans la fosse qu'il avait creusée pour les autres. » Or la haie et la muraille qu'on ôte aux lieux qu'elles défendent et qu'elles conservent marquent les dogmes de l'Eglise, et les institutions sacrées des apôtres et des prophètes qui l'ont fondée. Si quelqu'un donc entreprend de l’empire ces clôtures ou de passer par-dessus, il sera puni de son peu de respect, mordu et piqué par le serpent, dont il est dit dans le prophète Amos: « S'il descend dans les enfers, je commanderai au serpent qu'il ne manque pas de le piquer, et il le piquera. »

V. 9. « Celui qui transporte des pierres en est souvent meurtri, et celui qui fend du bois est en danger d'en être blessé. » nous lisons dans le prophète Zacharie qu'il y a des pierres sacrées qui roulent sur la terre; c'est-à-dire qu'elles ne tiennent pas à la terre, qu'elles n'y sont pas ai tachées ni enfoncées, parce qu'elles s'élèvent continuellement en haut, qu'elles ne font que passer sur la terre, et qu'elles cherchent à être placées au lieu digne de leur destination, au lieu le plus sublime de l'édifice dont Dieu est l'architecte. Ces mêmes pierres, qui sont si précieuses dans l'Alocalypse, sont celles qui doivent servir à bâtir la ville sainte du Sauveur du monde ; et l'apôtre saint Paul parle souvent de ces pierres vives dont Dieu a bâti son Eglise. Si quelqu'un donc se laisse pervertir par les artifices des hérétiques, ou s'il ôte à l'Eglise quelqu'une de ces pierres pour les transporter ailleurs, il en souffrira un jour des peines et des tourments.

Mais comme l’Ecriture ne s'est point expliquée sur la qualité des pierres , et qu'on peut les prendre en bonne ou en mauvaise part, tâchons d'expliquer ce verset dans un sens contraire au premier, et disons que les méchantes pierres sont les coeurs endurcis, figurés dans le livre du Lévitique par une maison qui est gâtée de lèpre. S'il arrive donc qu'un ecclésiastique, je veux dire un évêque ou un prêtre, soit obligé de retrancher du corps de l’Eglise par l'ordre de Dieu une pierre gâtée, pour être brûlée et réduite en cendre, alors le ministre du Seigneur en ressentira de la peine et dira avec saint Paul : « Je pleure avec ceux qui pleurent, et je m'afflige avec ceux qui sont affligés; » et ailleurs: « Qui est dans les peines et dans les misères sans que j'y sois aussi? qui est tenté et scandalisé sans que je sois moi-même dans le feu des épreuves? » Celui aussi qui fend du bois court risque d'être blessé par ce même bois. Les hérétiques sont des arbres sans fruit, (196) des arbres sauvages et inutiles. C'est pour cela qu'il était défendu de planter des bois dans le temple de Dieu et d'y faire des ombrages de feuilles, qui signifient les discours vains et inutiles qui ne sont point accompagnés de bonnes oeuvres. Quelque sage donc et quelque savant qu'un homme soit, il périclite dans les disputes quand il entreprend de couper par l'épée de la parole les hérétiques, figurés par les bois et les arbres sans fruit. S'il n'est bien sur ses gardes, et si dans la dispute ses raisonnements n'ont pas toute la force ni la justesse qu'ils devraient avoir, non plus que ses paroles tout le piquant et le brillant qu'il est nécessaire pour faire tomber tout ce que les erreurs peuvent opposer, il se trouvera pris lui-même par la force de leurs arguments captieux, et, étant perverti par ceux qu'il voulait faire changer, il se blessera lui-même, et se confirmera de plus en plus dans la mauvaise doctrine qu'il avait voulu combattre. C'est le sens de la traduction des Septante, où nous lisons : « Il sera fortifié par la force , » c'est-à-dire : par une sagesse vaine et superflue qui n'apporte aucun profit ni aucun avantage à celui qui la possède.

V. 10. « Si le fer s'émousse, et si, après avoir été émoussé, il se recourbe encore, on aura bien de la peine à l'aiguiser : ainsi la sagesse ne s'acquiert que par un long travail. » Si quelqu'un, dit l'Ecclésiaste sous des métaphores, reconnaît qu'il a perdu par sa négligence la science des Écritures et que la pénétration de son esprit se trouve émoussée, il ne faut pas qu'il se trouble de n'être pas tel qu'il était auparavant; car il arrive quelquefois à des gens qui n'ont qu'une légère teinture de science de s'élever en eux-mêmes par orgueil , et de se négliger dans l'étude et. dans la lecture ; ce qui fait qu'ils perdent ce qu'ils avaient acquis, ne cultivant pas leurs premières connaissances et n'y ajoutant point de nouvelles lumières. Ainsi l'esprit, qui est marqué par le fer, devient tout émoussé, parce que l'oisiveté et la paresse sont la rouille de l'esprit et de la sagesse. Otium enim et desidia quasi quaedam rubigo sapientiae est. Si quelqu'un donc tombe dans cet état, qu'il ne désespère pas de pouvoir être rétabli, qu'il se mette de nouveau sous la discipline de quelque bon maître et qu'il n'ait pas honte de reprendre la qualité de disciple, parce qu'après un travail infatigable et les soins de son industrie, il pourra rattraper la sagesse et la science qui lui étaient échappées. Ce retour heureux est marqué plus distinctement dans les sources hébraïques, où il est dit: « Et il sera renforcé par plusieurs efforts, » c'est-à-dire : en suant, en travaillant, en s'occupant tous les jours de la méditation et de la lecture des Ecritures; car c'est par de semblables efforts qu'on acquiert la sagesse et qu'on parvient à une science sublime.

V. 11. « Celui qui a une méchante langue et qui médit en secret est semblable à un serpent qui pique sans faire de bruit. » Le sens simple et naturel de ce verset nous apprend qu'un homme qui détracte de son prochain fait autant de mal qu'un serpent qui pique de sa langue; car de même qu'un serpent fait glisser son venin dans celui qu'il mord sans faire de bruit, de mime aussi un médisant, qui parle mal et qui détracte de son frère en secret, répand contre lui le venin de son coeur, et fait en cela tout ce que fait un serpent. Dieu cependant, en formant l'homme, ne lui a donné une langue que pour bénir son Créateur et pour la faire servir à l'édification de ses frères; mais cet ingrat fait de sa langue une langue de serpent par le mauvais usage qu'il en fait contre les autres.

Dans un sens allégorique, le serpent qui pique en secret n'est autre que le démon, l'esprit de ténèbres. Si ce serpent donc vient à mordre et piquer quelqu'un en secret, et lui faire glisser dans le coeur le venin du péché, celui qui est infecté et blessé de ces piqûres diaboliques doit bien prendre garde de ne pas cacher son mal; car s'il le dissimule et s'il n'en fait point pénitence, c'est-à-dire s'il cache ses plaies à ses frères et à ses maîtres et s'il ne s'en confesse pas, ses frères et ses maîtres, quoiqu'ils aient une langue pour le guérir, ne pourront point lui appliquer le remède ; et alors se vérifiera cette maxime reçue de tout le monde : « Si le malade a honte de découvrir son mal à son médecin, l'art de la médecine ne saurait guérir ce qu'elle ignore. »

V. 12. « Les paroles qui sortent de la bouche du sage sont pleines de grâce; les lèvres de l'insensé le feront tomber dans le précipice. » Si la folie et l'imprudence demeurait dans les bornes de sa grossièreté rustique, elle serait plus supportable et beaucoup moins (197) dangereuse; mais nous voyons qu'elle ose s'élever et déclarer la guerre à la sagesse, jusque-là qu'elle contredit par une furieuse envie tout ce qu'elle voit de prudence et de capacité dans les gens savants. Ceux-ci ont une grande attention à ne prononcer que des paroles judicieuses pour l'édification de ceux qui les écoutent ; mais si des insensés les entendent, ils reçoivent mal les discours et les exhortations des personnes sages, et tâchent d'en détourner le vrai sens pour en faire des piéges à ceux mêmes qui leur parlent, et les faire tomber dans leurs sentiments pernicieux ; et en vérité un homme sage tombe en quelque manière dans le précipice quand il arrive qu'il parle devant des fous et des insensés, parce que toutes ses paroles demeurent comme ensevelies dans un gouffre très profond. C'est pour cela que l'Écriture dans les Proverbes déclare bienheureux tous ceux qui parlent à des oreilles dociles et attentives. Beatus qui loquitur in aure audientis.

V. 13 et 14. « Les premières paroles de l'insensé sont une imprudence, et les dernières sont une erreur très maligne. L'insensé se répand en paroles. L'homme ignore ce qui a été avant lui, et qui lui pourra découvrir ce qui doit être après lui? » Il continue à parler de l'insensé, dont les lèvres précipitent l'homme sage, ou, selon une autre exposition, dont les lèvres le font tomber lui-même dans le précipice, parce que l'imprudence accompagne toujours ses premières paroles, et que la fin de ses discours aboutit à des erreurs très pernicieuses, ou, comme dit Symmaque, « au tumulte et à une grande inconstance de paroles; » car un insensé ne saurait persister dans un même sentiment, et il croit qu'en multipliant ses paroles et en se répandant en beaucoup de discours il pourra excuser ses péchés et en éviter les châtiments. Quoiqu'il ignore le passé et que personne ne lui puisse apprendre les choses de l'avenir, dans cette profonde ignorance des choses les plus importantes il ne laisse pas de se flatter d'une haute science ; et pendant qu'il est environné de ténèbres il se persuade que , pourvu qu'il parle beaucoup, il mérite d'être mis au rang des sages et des savants.

On peut appliquer le sens du texte sacré à la manière de disputer des hérétiques, qui ne veulent pas comprendre ce que leur disent des personnes fort sages. Ils préparent donc des difficultés, pour les opposer dans les disputes à tout ce que les catholiques peuvent leur dire en leur montrant la vérité ; au lieu de la suivre ils se jettent, au commencement et à la fin de la dispute, dans la confusion et dans le tumulte, et, revenant toujours à leurs erreurs, ils disent beaucoup de choses qu'ils n'entendent pas, parce qu'en effet ils ne savent rien.

V. 15. « Le travail des insensés les accablera , parce qu'ils ne savent comment il faut. aller à la ville. » Il faut joindre le sens de ces versets avec ce qui précède, car l'Ecclésiaste y parle en général de tous les insensés, ou en particulier des seuls hérétiques. Lisez les ouvrages de Platon, ou les faux-fuyants d'Aristote; consultez Zénon et Carneades, et considérez ce que les uns et les autres ont dit, et vous verrez qu'il n'est rien de vrai comme cette parole de l'Écriture: « Le travail des insensés les accablera. » J'avoue qu'ils ont travaillé à la recherche de la vérité et qu'ils en ont fait toute leur étude, mais comme ils ne l'ont pas prise pour la règle de leur conduite et qu'ils ne l'ont pas regardée comme une lumière qui allait devant eux pour leur montrer le chemin, ils n'ont pu arriver à la ville qu'ils cherchaient, parce qu'ils se sont flattés de comprendre et d'acquérir la sagesse par des sentiments humains. C'est pourquoi il est dit dans un psaume « Seigneur, vous détruirez leur image dans votre cité; » car le Seigneur dissipera et anéantira dans sa ville toutes ces ombres et toutes ces différentes images dont l'erreur a coutume de se revêtir dans la personne des sectaires et des faux dogmatistes. Il est écrit aussi dans Isaïe: « Je suis la ville forte, la ville qui est attaquée. » En effet, la ville de la vérité et de la sagesse est une ville forte, une ville imprenable, contre laquelle les sages du monde, les philosophes et les hérétiques font tant d'efforts pour s'en rendre les maîtres.

Tout ce que nous avons avancé touchant les philosophes doit aussi s'entendre des hérétiques, qui font de vains efforts et qui s'accablent de travail dans l'étude des Écritures sans pouvoir en découvrir le sens véritable : c'est qu'ils marchent dans les déserts, dans des lieux perdus où il n'y a point de chemin qui mène à la ville. Le Psalmiste a fait mention de leurs égarements lorsqu'il a dit : « Ils ont été errants dans le désert et dans des lieux où il n'y avait (198) point d'eau; ils n'ont point trouvé le chemin qui conduit à la ville où l'on voit un grand nombre d'habitants. »

V. 16, etc. « Malheur à vous, ô terre dont le roi est encore enfant et dont les Princes mangent dès le matin ! Heureuse est la terre dont le roi a d'illustres ancêtres et dont les princes ne mangent que dans le temps marqué pour prendre des forces, et non pas pour satisfaire la sensualité et tomber dans la confusion ! L'Ecriture semble rejeter l'empire et le gouvernement des jeunes gens et condamner les juges voluptueux , parce que la sagesse est encore faible dans les enfants et que les plaisirs et les délices citent toute la vigueur de l'esprit à ceux qui sont dans un âge parfait. Au contraire elle fait ici l'éloge des princes qui sont bien nés, qui ont de lionnes inclinations et à qui on a donné une noble éducation. Elle loue aussi les juges et les magistrats qui ne préfèrent pas leurs plaisirs et leurs divertissements aux affaires publiques, et qui ne prennent leur repas que par nécessité et après avoir travaillé longtemps pour régler tout ce qu'il y a de plus utile au gouvernement de la république : Qui nequaquam voluptatem negotiis civium praeferant; sed post multum laborem et administrationem reipublicae, cibum capere quasi necessitate cogantur.

Mais il nie semble que ce sens littéral nous en cache un autre plus mystérieux et plus divin. Je veux dire que l'Ecriture appelle jeunes gens ceux qui abandonnent. l'autorité des anciens et qui méprisent les préceptes vénérables des Pires, qui négligent les commandements de Dieu et qui veulent établir des traditions humaines. C'est d'eux que le Seigneur parle dans Isaïe, en invectivant contre le peuple d'Israël parce qu'il n'a pas voulu de l'eau de Siloé qui coule doucement et sans bruit, et qu'il a détourné le cours de l'ancienne piscine, donnant la préférence aux ruisseaux de Sa1narie et aux gouffres de Damas. « Je leur donnerai, » dit-il, « des jeunes gens pour princes, et des courtisans les domineront. » Lisez la prophétie de Daniel, et vous y verrez Dieu sous le nom d’Ancien des jours, » ou « d'Eternel. » Lisez aussi l'Apocalypse de saint Jean, et vous trouverez que la tête du Sauveur y est blanche comme la neige et ses cheveux comme la laine la plus blanche et la plus pure. On défend enfin à Jérémie de prendre le nom de jeune et d'enfant, parce qu'il était plein de sagesse et qu'elle avait pris en lui la place des cheveux blancs. Malheur donc à la terre qui a pour son roi le diable, toujours amateur de nouveautés, qui fit révolter Absalon contre son père, qui n'a dans son royaume que des juges et des magistrats toujours avides de tous les plaisirs passagers de ce monde! Ce sont eux qui disent pendant leur vie : « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain. » Au contraire bienheureuse est la terre de l'Eglise, dont Jésus-Christ est le roi , puisque c'est lui qui est descendu d'une race très illustre, et qui a eu pour ancêtres Abraham, Isaac et Jacob; sans parler de plusieurs autres grands prophètes, et de tous ces saints de l'Ancien-Testament qui ont été véritablement des personnes libres, parce qu'ils n'ont pas gémi sous la servitude du vice et du péché. C'est d'eux qu'est née la sainte Vierge Marie, plus noble et plus libre que tous ses ancêtres les plus illustres , qui n'a point eu à côté d'elle des rejetons, des arbrisseaux et de semblables productions, mais dont l'unique fruit a été cette fleur éclatante qui dit dans le Cantique des cantiques : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées. » Les princes aussi du roi dont nous parlons sont les apôtres et tous les autres saints qui vivent sous son empire, et qui ne connaissent point d'autre souverain que le fils d'une race illustre, le fils de la femme libre, non de la servante Agar, le fils de Sara, qui n'a mis au monde qu'un enfant libre, un fils de bénédiction et de promesse. Ces princes ne mangent point dès le mat in ni avec précipitation, car ce n'est point, dans ce siècle qu'ils cherchent leurs plaisirs et leurs joies : ils s'attendent à des délices plus solides, à des plaisirs dont ils jouiront au temps des récompenses éternelles que Dieu leur a préparées. Alors ils mangeront leur pain avec un plaisir extrême , parce qu'ils mangeront le pain des forts après s'être abstenus du bain qu'on ne mange qu'avec honte et confusion. Tous les biens présents de ce monde doivent être regardés comme une honte et une confusion : les biens futurs sont d'une force et d'une durée éternelle. Omne bonum praesentis saeculi confusio est; futuri perpetua fortitudo. Isaïe a dit quelque chose de semblable touchant le bonheur des serviteurs de Dieu : « Sachez que ceux (199) qui me servent mangeront et seront rassasiés, pendant que vous serez misérables jusqu'à mourir de faim ; » et derechef : « Sachez que mes serviteurs seront dans la joie, et que vous serez couverts de honte et de confusion. »

V. 18. « La charpente du toit se détériorera et s'abaissera peu à peu par la paresse , et les mains lâches seront cause qu'il pleuvra dans la maison. » Notre maison terrestre , qui a été faite lorsque Dieu a créé l'homme le corps droit et la tête élevée, et notre habitation qui est clans les cieux, seront abaissées si nous sommes paresseux et négligents dans la pratique des bonnes oeuvres; et l'on sait qu'une charpente qui soutient le toit ne peut venir a manquer et tomber à terre, sans qu'il en coûte la vie à ceux qui se trouvent sous les ruines de la maison. II est vrai aussi qu'on est exposé aux plus furieuses tempêtes et à toutes les injures des temps lorsqu'on n'a pas soin de travailler à réparer sa maison par le secours des vertus et par la pratique de toute sorte d'actions saintes et louables; mais l'explication que nous donnons ici aux paroles de l’Ecclésiaste s'entend encore mieux de toute l'Église en général que d'un homme en particulier; car la fauteur et la majesté divine de l'édifice de l'Église tombent ordinairement par la négligence de ceux qui la gouvernent et qui en sont les princes, parce qu'il se trouve que ceux-là suivent les attraits du vice et de la volupté qui passaient pour les protecteurs du bien et de la vertu. Quod per negligentiam principum , omnis ejus corruat altitudo. Et ibi vitiorum illecebrae sint, ubi tegmen putabalur esse virtutum.

V. 19. « Les Hommes emploient le pain et le vin pour rire et, se divertir et pour passer leur vie en festins; et toutes choses obéissent à l'argent. » Je crois que ceci est une suite du verset précédent dans le sens que nous lui avons donné ; car nous avons dit que la négligence et l'indolence de ceux qui gouvernent l'Église est cause que le toit de cette maison tombe par terre et qu'il y pleut partout. C'est donc de ces maîtres et de ces gouverneurs que l'Écriture veut encore parler. Elle leur a d'abord reproché leur silence et le peu de soin qu'ils ont de remplir les devoirs d'évêques et de prêtres: ici elle s'élève contre ceux qui enseignent dans l'Église, mais qui ne prêchent que ce qui peut flatter les passions de leurs auditeurs ou ce qui leur attire les applaudissements d'un grand peuple, d'un célèbre auditoire. En effet ne vous. semble-t-il point, quand vous entendez dans l'Église des discours élégants et affectés qui promettent à tout un grand auditoire la béatitude et le royaume de cieux , que. vous voyez un prédicateur qui se sert. du pain de la parole de Dieu pour rire et se divertir, et qui emploie son vin en festins avec ceux qui l'écoutent? N'êtes-vous pas persuadé qu'il ne fait ces agréables promesses au peuple que pour acquérir par là des biens, des récompenses et des richesses périssables? Le pain qu'on distribue dans l'Église est le pain de ceux qui pleurent et non de ceux qui rient, selon cette parole de l'Evangile: « heureux sont ceux qui pleurent, parce que ce sont eux qui riront ! » Ce pain donc ne doit pas se faire parmi les ris et les joies de la vie présente.

Quant à ce qui est dit sur la fin de ce verset « Et toutes choses obéissent à l'argent , » cela peut avoir deux significations et deux sens différents ; car ces paroles peuvent marquer qu'après que les docteurs se sont enrichis par leurs flatteries et par leurs lâches complaisances, ils se l'ont ensuite obéir et servir par les peuples sur lesquels ils exercent leur domination ; nubien cela marque qu'un peuple ignorant et grossier se soumet et se laisse facilement gagner par des discours qui ont du brillant et qui sont composés de belles paroles, dont l’argent est le symbole, comme il parait par cet endroit des Psaumes : « Les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, elles sont comme un argent purifié par le feu et qui a passé par sept épreuves. »

V. 20. « Ne parlez point mal du roi dans votre esprit, et ne médisez pas du riche dans le. secret de. votre chambre ; parce que les oiseaux même du ciel rapporteront vos paroles, et ceux qui ont des ailes publieront ce que vous avez dit. » Ce commandement de l'Ecriture, pris dans le sens le plus simple et le plus naturel, est d'une grande édification pour tous ceux qui l'écoutent et qui le mettent en pratique. On nous ordonne donc de ne pas nous laisser surmonter par l'impatience et par la colère, et de ne point, dans nos emportements, parler mal et maudire les rois et les princes, parce qu'il arrive souvent que les choses que nous avons dites sont rapportées aux personnes que nous avons offensées, et que nous sommes punis d'avoir mal parlé lorsque nous nous y attendions le moins. Mais quand l'Ecclésiaste dit : « Les oiseaux même du ciel rapporteront vos paroles, et ceux qui ont des ailes les publieront,» il faut se souvenir que c'est une expression hyperbolique, comme quand on dit ordinairement que les murailles des lieux où nous parlons ne cacheront point ce que nous aurons dit inconsidérément.

Si nous voulons prendre ce commandement dans un sens plus élevé et plus parfait, nous en ferons un principe de religion et de piété en nous persuadant, non-seulement qu'il ne faut point parler témérairement contre Jésus-Christ, mais que, dans les afflictions mêmes qui nous serrent de plus près, nous devons bien prendre garde de ne rien penser dans notre coeur qui sente l'impiété et le blasphème. Et comme l'amour que nous devons à Jésus-Christ doit s'étendre sur le prochain pour être conforme à cette règle : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, et votre prochain comme vous-même, » il parait qu'on nous ordonne aussi en cet endroit d'épargner les saints après leur roi, de ne point parler mal d'eux dans nos discours, c'est-à-dire de ne point diminuer la réputation de leur sagesse, de leur science ou de leurs vertus par des paroles de médisance et des termes piquants; car les anges, qui l'ont le tour de la terre et qui sont destinés au service des élus, porteront au ciel, comme des oiseaux, nos paroles et nos pensées; sans ajouter que Dieu connaît par lui-même ce qui est le plus caché dans notre esprit et dans notre coeur.

 

CHAPITRE XI

Néant des plaisirs de la jeunesse

 

V. 1. « Répandez votre pain sur la face des eaux , parce que vous le trouverez après un long espace de temps. » L'Ecclésiaste nous exhorte ici à faire l'aumône, à donner à quiconque nous demande et à faire du bien à tous généralement; car celui qui sème sur une terre arrosée et bien préparée s'attend à recueillir beaucoup de fruit : de même aussi celui qui donne aux pauvres répand dans leur sein, non des grains de blé, mais des pains entiers, afin qu'ils se multiplient par une espèce d'usure, et qu'il reçoive au jour du jugement beaucoup plus qu'il n'avait donné.

Expliquons encore ceci d'une autre manière et disons: Partout où vous verrez des hommes arrosés de cette eau dont il est dit : « Il sortira des fleuves d'eau vive de son coeur, » semez sans crainte le pain de la sagesse, le pain de la raison et le pain de vos avertissements , parce que si vous le faites souvent , vous trouverez que vous n'avez pas jeté en vain la bonne semence de votre doctrine. Je crois que c'est de la même chose que parle Isaïe lorsqu'il dit: .. Heureux celui qui sème sur le bord de l'eau où l'on voit les vestiges des pieds du boeuf et de l'âne! » C'est-à-dire qu'on doit estimer heureux un docteur et un maître qui répand ses instructions salutaires sur des coeurs arrosés des eaux de la grâce, soit qu'il parle aux Juifs, soit qu'il enseigne les gentils.

V. 2. « Faites-en part à sept ou même à huit personnes, parce que vous ignorez le mal qui doit venir sur la terre. » Ézéchiel fait aussi mention de sept ou huit degrés par lesquels on montait au temple. Nous voyons encore dans l'ordre du psautier que le psaume cent dix-huitième, qui est tout de morale, est mis devant les quinze psaumes graduels qui nous donnent d'abord la connaissance de la loi et qui nous font arriver, après avoir monté sept degrés, à la connaissance de l'Evangile,dont l'octave est la figure. On nous ordonne donc de croire et de recevoir avec une égale vénération l'ancien et le nouveau Testament. Praecipitur ergo ut in utrumque Testamentum, tam velus scilicet quam novum, pari veneratione credamus.

Les Juifs ont donné « la part à sept » en croyant au jour du sabbat; mais ils ne l'ont pas donnée « à huit, » parce qu'ils ont refusé de croire en la résurrection glorieuse de notre seigneur Jésus-Christ, qui arriva le huitième jour et le lendemain du sabbat, que nous appelons le jour du Seigneur, ou «la Dominique. » Au contraire, les hérésiarques Marcion et Manès, et tous ceux qui déchirent avec fureur la loi ancienne, ont donné « la part à huit » en recevant l'Évangile, mais ils n'ont pas voulu la donner « à sept, » parce qu'ils ont rejeté l'Ancien-Testament. Pour nous qui sommes véritablement fidèles , nous sommes obligés de croire à l'un et à l'autre Testament , et nous ne saurions comprendre les tourments et les (200) justes peines que Dieu prépare dès à présent à ceux qui ne veulent pas s'élever au-dessus de leurs sentiments tout terrestres, je veux dire aux Juifs et aux hérétiques, qui rejettent l'un ou l'autre des deux Testaments. Au reste les Hébreux expliquent ainsi les paroles de l'Ecclésiaste : Soyez observateurs du sabbat et de la circoncision, de peur que, si vous y manquez, il ne vous survienne quelque malheur auquel vous ne vous attendez pas.

V. 3. « Lorsque les nuées se seront remplies, elles répandront la pluie sur la terre. Si l'arbre tombe du côté du midi ou du côté du septentrion, en quelque lieu qu'il sera tombé, il v demeurera. »Obéissez exactement aux commandements qu'on vous a faits ci-dessus, afin que les nuées répandent sur vous les eaux de leur pluie ; car vous devez vous attendre que vous demeurerez après votre mort au même lieu et à la même place que vous vous serez préparée pour l'avenir, soit au midi, soit au septentrion.

Voici une autre explication. Nous vous avons dit auparavant : « Répandez votre pain sur les eaux, » et donnez à tous ceux qui vous demandent; car dès que les nuées sont remplies, elles répandent abondamment leurs richesses sur les mortels; et vous qui êtes comparé à un arbre, quelque longue que soit la durée de vos jours , vous ne subsisterez pas éternellement; mais vous serez coupé par la violence de la mort , qui vous renversera et fera tomber à terre , de même que les arbres seront renversés par les orages et les tempêtes. Tombé que vous serez, vous demeurerez au même lieu où la mort vous laissera , soit qu'elle vous ait trouvé cruel et impitoyable envers vos frères, soit que vous soyez mort riche en bonnes oeuvres et plein de douceur et de miséricorde.

On peut encore, par allusion aux nuées, expliquer en cette troisième manière les paroles de l'Ecclésiaste. Le Psalmiste dit à Dieu: «Votre vérité s'élève jusqu'aux nuées; » et Dieu, dans Isaïe, menace les Juifs impies sous la figure d'une vigne qui produit de mauvais fruits : « Je commanderai aux nuées de ne pas répandre leur pluie sur cette vigne. » Par là nous sommes avertis que les prophètes sont comparés à des nuées, et que tous les saints qui se sont remplis peu à peu de bons enseignements et d'une céleste doctrine sont propres à les répandre sur le coeur de leurs auditeurs. C'est à eux qu'il appartient de dire: « Que mes discours soient reçus comme une douce pluie et comme les eaux du ciel qui se répandent sur la terre.» C'est cette terre à qui Moïse a dit d'abord dans son cantique du Deutéronome : « Que la terre écoute mes paroles. » Quant à la dernière partie du même verset : « Et si l'arbre tombe au midi ou au septentrion , en quelque lieu qu'il sera tombé , il y demeurera, » il faut lui donner du jour par cet endroit du prophète Abacuc: « Dieu viendra de Theman; » ce que les autres interprètes ont traduit : « Dieu viendra du midi ; » et, autant que j'en puis juger, le côté du midi se prend toujours en bonne part. Ainsi nous lisons dans le Cantique des cantiques, « Levez-vous, aquilon, » c'est-à-dire : retirez-vous et vous en allez, et vous, midi, venez vers nous. »L'arbre donc qui sera tombé et qui aura été coupé par la nécessité de la mort, inévitable à tous les hommes, s'il a péché pendant qu'il était debout, qu'il était sur pied, il demeurera du côté du septentrion; mais s'il a porté de bons fruits et dignes de la ferveur de la charité, de la chaleur du midi, il demeurera éternellement du bon côté, du côté du midi. Il n'y a point d'arbre qui ne tombe et ne demeure ou du côté d'aquilon, ou du côté du midi. Isaïe nous a marqué la même chose en ces termes: « Je dirai à l'aquilon : Faites venir, et je dirai au midi : Ne vous y opposez pas; car on ne dit jamais au vent du midi ou au vent d'orient : « Faites venir, amenez-nous, » parce qu'il faudrait que ces vents soufflassent dans les autres régions et que ceux qu'on voudrait faire venir habitassent dans d'autres pays. L'aquilon mène donc vers le midi, et le vent du couchant d'hiver porte ses habitants du côté d'orient; car on est incapable d'aucun progrès et d'aucune perfection quand on est fixe dans un même endroit, et qu'on persévère toujours dans les mêmes fautes.

V. 4. « Celui qui observe les vents ne sème point, et celui qui considère les nuées ne moissonnera jamais. » Celui qui fait attention sur les personnes auxquelles il donne, et qui ne donne pas à tous indifféremment, manque souvent à donner à ceux qui sont dignes d'être assistés. Disons encore dans un autre sens : Celui qui sème la parole de Dieu et qui ne prêche que dans un temps favorable, lorsque tout le monde l'écoute volontiers et lui applaudit par ses louanges, celui-là, dis-je, est un prédicateur (202) négligent et paresseux , un laboureur lâche et fainéant, parce qu'il arrive assez souvent, au milieu de la prospérité , que des vents contraires s'élèvent coutre nous lorsque nous n'y pensions point du tout. Il faut donc prêcher en tout temps la parole de Dieu et ne point discontinuer; il faut suivre la règle que saint Paul a donnée à son disciple Timothée en lui ordonnant de prêcher et d'annoncer la parole de l'Évangile, de presser les hommes à temps et à contre-temps , sans se lasser jamais de les tolérer et de les instruire. II ne faut pas dans te temps de la foi craindre les tempêtes, ni s'arrêter à la considération des nuées qui nous paraissent contraires, de peur que ces paroles des Proverbes ne s'accomplissent en nous : « Ceux qui abandonnent la sagesse et qui louent l'impiété sont semblables à une pluie violente qui n'apporte aucune utilité sur la terre. » Semons donc même au milieu des orages et des tempêtes, sans considérer de quel côté tournent les nuées et sans craindre les vents contraires. Ne disons pas: Ce temps est favorable, celui-ci est peu commode; puisque nous ignorons les voies et la volonté de l'esprit qui gouverne tout le monde.

V. 5. « Comme vous ignorez par où l'âme vient et de quelle manière les os se forment dans les entrailles d'une femme grosse, ainsi vous ne connaissez point les oeuvres de Dieu , qui est le créateur de toutes choses. » Comme vous n'avez point. de connaissance du chemin que prend l'âme et l'esprit quand il entre dans le corps d'un petit enfant pour lui donner la vie, de même vous n'avez point de connaissance des ouvrages du créateur de toutes choses. Vous n'oseriez pas dire que vous comprenez distinctement comment les veines si différentes des os se forment dans le sein d'une femme grosse; comment une même matière et le même élément fournit à tant de membres différents la substance dont ils sont composés. Quelque vile et méprisable que soit cette matière, elle ne laisse pas de prendre mille diverses formes :une partie fait des chairs molles et délicates; une autre partie se durcit jusqu'à se changer en os; une autre palpite dans les veilles, et une autre enfin se convertit en nerfs pour servir de ligatures à toute la structure du corps humain. Par toutes ces considérations l'Écriture nous apprend à ne pas craindre les adversités et les événements qui pourraient nous être contraires, à ne pas juger témérairement des vents et des nuées dont nous avons parlé ci-dessus ; parce qu'un semeur doit aller sou chemin sans interrompre sa course, et en laisser l'évenement aux desseins de Dieu et à la volonté du Seigneur; car« l'événement et le succès ne dépend point de celui qui veut et de celui qui court, mais de Dieu qui l'ait miséricorde.

V. 6, 7 et 8. « Semez votre grain dès le matin, et que le soir votre main ne cesse point de semer, parce que vous ne savez lequel des deux lèvera plus tôt, celui-ci ou celui là ; que si l'un et l'autre. lèvent, ce sera encore mieux. La lumière est douce et l'oeil se plait à voir le soleil. Si un homme vit beaucoup d'années et. qu'il se réjouisse dans tout ce temps-là, il doit se souvenir de ce temps de ténèbres et de cette multitude de jours qui, étant venus, convaincront de vanité tout le passé. » Prenez garde de ne point faire de choix et de ne point avoir des égards quand vous faites du bien ; et quand vous avez commencé à bien faire, persévérez toujours dans la pratique des bonnes oeuvres; que le soir vous trouve plein des oeuvres de justice que vous aurez faites le matin, et que le soleil du lendemain ajoute à son lever beaucoup d'actes de vertu sur les oeuvres de miséricorde que vous aurez faites le soir du ,jour précédent ; car vous vivez dans l'incertitude du mérite de vos actions, et vous lie savez point quelles sont les plus agréables à Dieu et celles qu'il doit un jour récompenser. Il peut néanmoins arriver que les uns et les autres lui seront agréables; ce qui sera encore un plus grand avantage pour vous.

Expliquons ceci autrement. Travaillez également et dans votre jeunesse et dans votre vieillesse, et lie dites point : J'ai fait tout ce que j'ai pu pendant que j'étais jeune et robuste: maintenant que je suis vieux il est juste que je me repose; car vous ne. savez point si c'est dans vos premiers temps que vous avez été agréable à Dieu, ou si ce bonheur vous arrivera lorsque vous serez dans un âge fort avancé; et après tout, une jeunesse bien réglée et modérée ne sert de rien à un homme qui passe sa vieillesse dans le luxe et dans la volupté. Nec prodest adolescentiae frugalitas, si senecta ducatur in luxu. C'est pourquoi il est dit dans les Écritures que, si le juste vient à s'égarer des voies de la justice, en quelque jour qu'il s'en sera détourné, toutes ses premières bonnes oeuvres (203) ne sauraient le délivrer de la mort; mais si vous êtes constant à faire le bien en tout temps, et si vous marchez toujours d'un pied ferme et tout uni dans les voies de la vertu, vous verrez alors Dieu le Père, la source des lumières, la plus douce et la plus agréable de toutes les clartés. Vous jouirez aussi des rayons et de la lumière du soleil de justice, qui n'est autre que Jésus-Christ , selon le témoignage que lui rendent les prophètes et les autres écrivains sacrés. Au reste , si vous vivez une longue suite de jours, si vous jouissez pendant tout ce temps-là de toutes sortes de biens et de prospérités, et si vous l'ailes beaucoup de bonnes oeuvres, ayant toujours l'idée de la mort présente aux yeux de votre esprit et dans votre mémoire, vous regarderez toutes les choses présentes comme des biens périssables, fragiles, inconstants et méprisables.

 

CHAPITRE XII

Etre et bonheur de l'homme au milieu du néant

 

V. 1 , 2 et 3. « Réjouissez vous donc, jeune homme , dans le temps de votre jeunesse; que votre cœur soit dans l'allégresse pendant votre premier âge ; marchez selon les voies de votre coeur et selon les regards de vos veux , et sachez que Dieu vous fera rendre compte en son jugement de toutes ces choses. Bannissez la colère de votre coeur, éloignez le mal de votre chair ; car la jeunesse et le plaisir ne sont que vanité. Souvenez-vous de votre Créateur pendant les jours de votre jeunesse, avant que le temps de l'affliction soit arrivé et que vous approchiez des années dont vous direz : Ce temps me déplait infiniment. » Il n'y a pas deux auteurs qui soient d'accord dans l'explication de ce chapitre, et l'on peut presque dire ici ce que l'on dit ordinairement: Autant de têtes que d'opinions. Et tot pene sententiae quot homines. Comme ce serait donc une chose trop longue et fort ennuyeuse de rapporter tous ces sentiments différents et les opinions particulières de chacun de ces auteurs, aussi bien que les raisons qu'ils emploient pour prouver ce qu'ils avancent, je prie les lecteurs sages et prudents de se contenter que je leur indique seulement les sentiments des uns et des autres et que je les leur montre dans un abrégé, de même que l'on fait voir dans une petite carte la vaste étendue de l'univers et la circonférence de l'Océan dont la terre est environnée.

Les Hébreux se persuadent que ce commandement de l'Ecclésiaste s'adresse à ceux de leur nation, et que l'Ecriture leur ordonne de jouir de leurs biens et de leurs richesses avant le temps de leur captivité, où ils doivent changer le temps agréable de la jeunesse avec les jours tristes de la vieillesse et de l'âge caduc. Qu'Israël donc jouisse de tout ce qu’il y a de plus agréable et de plus délicieux , de tout ce qui réjouit le coeur, de tout ce qui plait aux yeux ; qu'il ne laisse échapper aucun de ces plaisirs pendant qu'ils sont présents et qu'il est en son pouvoir d'en jouir tranquillement. Qu'il se souvienne pourtant, au milieu de ces divertissements, qu'il rendra compte de toutes ces choses et que Dieu en jugera; ce qui l'oblige à rejeter les mauvaises pensées et à fuir tous les attraits de la volupté, ne doutant point que l'imprudence et la précipitation n'accompagnent toujours l'âge de la jeunesse. Qu'il se souvienne aussi de son Créateur avant le temps de la captivité de Babylone et de celle des Romains, qui seront des jours qui lui déplairont infiniment. C'est l'explication que donnent les Juifs aux paroles de l'Ecclésiaste ; et depuis cet endroit où il est dit : « Avant que le soleil, la lune et les étoiles ne perdent leur lumière, » jusques à cet autre où nous lisons : « Et que la poussière ne retourne eu terre comme elle était , et que l'esprit ne retourne au Seigneur qui l'avait donné , » ils prétendent qu'on doit entendre tous ces passages de l'état où ils se trouvent aujourd'hui ; mais comme cette explication est forcée et qu'elle est faite de plusieurs parties séparées et découpées qui mènent trop loin, nous n'en parlerons qu'en peu de mots , nous contentant d'en luire ce petit extrait.

Réjouissez-vous donc , ô Israël , dans votre jeunesse, avant que d'être réduit à l'état misérable d'une honteuse captivité dont votre vieillesse sera accablée ; jouissez, pendant que vous êtes encore en liberté, de tous les plaisirs dont nous avons parlé ci-dessus; n'attendez pas d'être mené captif dans une terre étrangère , quand on vous dépouillera de toute votre gloire et qu'on vous enlèvera vos ,juges, vos saints et vos docteurs, qui brillent chez vous comme des astres, et qui vous éclairent de leur lumière comme le soleil et la lune éclairent la terre. N'attendez pas la venue de Nabuchodonosor ni celle de Titus, fils de Vespasien, qui seront invités et appelés par la voix des prophètes pour accomplir ce qu'ils ont prédit de votre ruine. Hâtez-vous de prévenir ce jour malheureux où les saints anges, protecteurs et habitants du temple, doivent l'abandonner et s'en retirer , lorsque vos braves dans les armées perdront leur valeur et leurs forces , que vos magistrats ne seront plus obéis et que vos prophètes, qui recevaient autrefois d'en haut la lumière de leurs visions, tomberont dans l'obscurité et dans les ténèbres. Alors les portes du temple seront fermées pour jamais, et Jérusalem sera humiliée sous les pieds des Chaldéens que la voix de Jérémie, comme celle d'un oiseau, fera venir de leur pays, quand on n'entendra plus ni le chant des Psaumes ni les voix des instruments de musique dont le temple avait retenti pendant tant de siècles. C'est en ce temps-là que vos ennemis mêmes; qui viendront à Jérusalem pour en faire le siège, auront un profond respect pour la majesté de Dieu, et qu'ils craindront en chemin, dans le doute où ils seront , ne sachant pas s'ils doivent périr devant votre ville, comme l'armée de Sennacherib qui fut exterminée par la main d'un ange. Les Hébreux disent que ce respect et cette crainte des Chaldéens sont marqués par ces paroles : « Ils auront une crainte respectueuse pour le Très-haut, et ils trembleront de peur dans le chemin. » En ces jours-là on verra « fleurir l'amandier, » c'est-à-dire : le bâton et la baguette que Jérémie vit dès le commencement de ses révélations et de ses prophéties ; « et la sauterelle s'engraissera, » laquelle est la figure de Nabuchodonosor et de ses soldats. Alors enfin « les câpres se dissiperont,» ce qui signifie que l'amitié de Dieu et d'Israël sera détruite et anéantie. Nous expliquerons plus au long ce que veut dire le mot capparis,« un câprier, » dans le commentaire particulier de chaque verset. Toutes ces choses arriveront un jour au peuple d'Israël, parce que l'homme doit s'en aller clans la maison de son éternité et retourner de l'héritage de Dieu vers le ciel. Lorsqu'il partira pour s'en aller en sa demeure , on verra des gens qui pleureront dans les rues et dans les places publiques , et qui se lamenteront à cause du siège de la ville, qui sera serrée de près. Réjouissez-vous donc, ô Israël, dans votre jeunesse, « avant que la chaîne d'argent soit rompue, » c'est-à-dire: pendant que vous êtes en honneur et en gloire; « avant que la bandelette d'or se retire, » avant que l'arche d'alliance vous soit enlevée; « avant que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne, » pendant que vous avez présentés les tables de la loi dans le Saint des saints , et la grâce du Saint-Esprit; avant que vous retourniez au pays de Babylone d'où vous étiez sorti étant encore dans Abraham votre aïeul , et avant que d'être brisé dans la Mésopotamie d'où vous étiez autrefois venu; avant enfin que les grâces et les lumières de la prophétie dont vos saints étaient inspirés ne retournent à l'auteur de tous ces dons. Voilà l'explication que les Juifs même d'aujourd'hui donnent au dernier chapitre de l'Ecclésiaste, en appliquant le sens à toute leur nation comme s'ils ne faisaient tous qu'une seule personne.

Mais, pour moi, je vais tâcher de l'expliquer d'une autre manière, et de reprendre l'ordre et la liaison du discours comme j'ai déjà fait dans les chapitres précédents. « Réjouissez vous, jeune homme, dans votre jeunesse; que votre coeur soit dans l'allégresse pendant votre premier âge ; marchez selon les voies de votre coeur et selon les regards de vos yeux; et sachez que Dieu vous fera rendre compte en son jugement de toutes ces choses. » Il a dit auparavant que la lumière de cette vie est très douce et très agréable, et que l'homme doit se réjouir pendant qu'il jouit de la vie et de la lumière du soleil , ne laissant point échapper aucune occasion de se divertir et de prendre ses délices, parce que tout passe dans ce monde comme une ombre, et qu'il faut s'attendre à une nuit éternelle qui vient à grands pas vers nous , où il ne nous sera plus permis de jouir des biens que nous aurons pu amasser et mettre en réserve. C'est pourquoi il exhorte ici les hommes et leur dit : Réjouissez-vous , ô jeune homme , dans la fleur de votre âge, et n'attendez pas que la vieillesse et la mort, qui succéderont bientôt, vous ravissent vos plaisirs et les douceurs de la vie; jouissez de tout ce qui flatte davantage les inclinations de votre coeur et de tout ce qu'il y a de plus beau et de plus (205) agréable à la vue ; faites servir , en un mot, à vos plaisirs toutes les choses de ce monde , et usez-en comme bon vous semble. Mais parce qu'on pouvait lui reprocher que de tels discours sentaient l'impiété et le libertinage, et qu'ils n'étaient dignes que des enseignements d'un Epicure, il corrige par ce qu'il ajoute tout ce qui pouvait causer du scandale : « Et sachez,» dit-il, « que Dieu vous fera rendre compte de toutes ces choses dans son jugement. » Usez en sorte des créatures et des choses de ce monde que vous ne perdiez pas le souvenir du jugement que vous devez subir à la fin des siècles « Bannissez la colère de votre coeur ; éloignez le mal de votre chair, parce que la jeunesse et l'imprudence ne sont que vanité. » Il comprend dans la colère toutes les passions de l'âme, et dans le mal ou la malice de la chair toutes les voluptés animales et corporelles. Jouissez à la bonne heure, dit-il, de tous les biens de ce monde ; mais jouissez-en de telle manière que vous ne péchiez point, ni par aucun mauvais désir ni par aucune action extérieure de votre corps. Renoncez à vos anciennes habitudes criminelles et aux vices qui vous ont dominé dans votre jeunesse, où vous étiez assujetti à toutes les vanités et aux folies du siècle; car la jeunesse est attachée avec l'imprudence et la folie. « Souvenez-vous donc de votre Créateur dans le temps de votre jeunesse, avant que ces jours d'affliction et de peine soient arrivés où vous direz : Ces jours et ces années me déplaisent extrêmement. » Conservez toujours la mémoire de celui qui vous a créé, et réglez si bien vos démarches dans votre jeunesse que vous ne perdiez jamais le souvenir de la mort, qui doit être le terme de votre vie et de toutes vos actions. Faites cela pendant que vous êtes en liberté de le faire, et prévenez ces temps fâcheux où vos joies se changeront en tristesse.

V. 4. « Avant que le soleil, la lumière, la lune et les étoiles s'obscurcissent, et que les nuées retournent après la pluie. » Si nous entendons ces paroles de la consommation des siècles et de la fin générale de toutes choses, nous trouverons qu'elles s'accordent avec ce que notre Seigneur a dit dans saint Mathieu : « L'affliction de ces jours sera grande , et telle qu'il n'y en a point eu de pareille depuis le commencement. du monde, et qu'il n'y en aura jamais; car le soleil s'obscurcira et la lune n'éclairera point; les étoiles tomberont du ciel, et ce qu'il y a de plus ferme dans le ciel sera ébranlé; » mais si l'on applique ce verset à latin et à la monde chaque particulier, il est aisé de comprendre que le soleil, la lune, les étoiles, les nuées et les pluies cessent entièrement pour un homme mort, et ne sont plus d'aucun usage pour lui.

On peut aussi l'appliquer aux fidèles et leur dire : Réjouissez-vous, ô jeune peuple, ô peuple chrétien , et jouissez de tous les dons spirituels que Dieu vous avait préparés; mais sachez que vous devez rendre compte de toutes ces grâces devant le tribunal du Seigneur. Ne vous flattez pas de vous voir enté sur l'olivier franc depuis que les premières branches en ont été rompues et séparées ; ne vous croyez pas en sûreté comme si tout était fait pour vous; travaillez au contraire avec plus de soin pour bannir la colère de votre coeur et pour mortifier dans votre corps tous les appétits de la chair; et après que vous serez mort à tous les vices ayez toujours présent dans l'esprit votre Créateur, afin que vous marchiez continuellement en la présence de votre Dieu. Prévenez par cette pratique de piété ces jours d'affliction que personne ne pourra détourner ni éviter, quand les peines préparées pour les impies viendront fondre sur eux et les accableront; car si vous venez à tomber dans le péché, le soleil de justice se couchera pour vous en plein midi ; la lumière de la science vous sera enlevée en même temps; et la splendeur de la lune, c'est-à-dire de l’Eglise de Jésus-Christ, vous sera entièrement ôtée. Les étoiles mêmes dont il est dit : « Vous brillez au milieu de la gentilité comme les étoiles du firmament; » et ailleurs : « Une étoile a plus de clarté qu'une autre étoile, » ces étoiles, dis-je, tomberont à votre égard et retireront toute leur clarté. Enfin les prophètes du Seigneur, destinés à répandre les pluies de leurs saints discours sur le coeur des fidèles, vous voyant indigne d'être arrosé de leurs eaux, retourneront au lieu de leur propre demeure, retourneront à celui qui les avait envoyés.

V. 5. « Lorsque les gardes de la maison seront ébranlés et qu'il n'y aura plus d'hommes forts et robustes. » On peut entendre par «les gardes de la maison, » le soleil, la lune, et tout le reste des astres ; ou, si l'on veut: les (206) anges qui veillent à la conservation de ce monde. « Les hommes forts » qui doivent périr, ou qui doivent s'égarer, selon la version d'Aquila, sont les démons, qui tirent ce nom de « forts» du diable, leur prince, qui est appelé « fort dans l'Evangile , et que notre seigneur Jésus-Christ a terrassé et enchaîné pour piller et ravager sa maison, suivant l'idée que la parabole des évangélistes nous en a donnée. Ceux qui expliquent à la lettre ce passage de l’Ecclésiaste, et qui en rapportent le sens au corps humain, disent qu'il faut entendre par « les gardes de la maison, » les côtes du corps, qui servent de défense aux intestins , et qui mettent à couvert les parties molles et délicates qui composent les entrailles. Ils entendent encore par «les hommes forts » les jambes, parce qu'elles soutiennent et qu'elles portent tout le reste du corps. Le soleil , la lune et les étoiles signifient aussi dans leur sentiment : les yeux, les oreilles, les narines et tous les autres sens qui résident dans la tête. Ils parlent de cette manière parce que la suite du texte les oblige à quitter l’opinion de ceux qui prétendent que le soleil, la lune et les autres astres marquent les anges et les démons; ce qui ne peut avoir aucune liaison avec les membres du corps, dont l'Ecclésiaste va parler dans les versets suivants.

V. 6. « Lorsque celles qui avaient coutume de moudre seront réduites en petit nombre et ne seront plus d'usage, et que ceux qui regardaient par les trous seront couverts de ténèbres. » Cela doit arriver vers la fin du monde, quand la charité de plusieurs sera refroidie, et que les personnes établies pour enseigner les autres et pour leur préparer une nourriture céleste auront quitté la terre et seront montées au ciel ; car alors ceux qui avaient quelque connaissance de la vérité, et qui la voyaient comme par des trous, tomberont dans l'aveuglement et se trouveront environnés de ténèbres. On reconnaît manifestement l'imperfection des connaissances que nous avons dans ce monde par ces paroles que Dieu dit à Moïse : « Je vous placerai dans le trou du rocher, et vous nie verrez seulement par-derrière. » Si ce grand ami de Dieu n'a pu le voir qu'imparfaitement et comme par-derrière, combien plus les autres mines seront-elles sujettes à ne regarder la vérité que comme par des trous et dans l'obscurité des cavernes et des rochers ! Quanto magis unaquaeque anima per foramen et quasdam tenebrosas casernas aspicit veritatem!

Il y en a qui croient qu'il faut entendre ceci des dents, parce que ce sont elles qui ont coutume de moudre des viandes dans la bouche, et d'amollir le pain pour le préparer à être digéré. Les dents sont réduites en petit nombre dans le temps d'une extrême vieillesse, ou tombent même les unes après les autres. Les yeux aussi se couvrent de ténèbres après avoir perla leur vivacité et la force de leur lumière, qui se répandait au dehors comme des éclairs.

V. 7. « Quand on fermera les portes de la rue, quand la voix de celle qui avait coutume de moudre sera basse, qu'on se lèvera au citant de l'oiseau et que les filles de l'harmonie deviendront sourdes. » Tout cesse dans l’Eglise quand la doctrine et les bonnes instructions viennent à manquer, quand il ne sort plus de la bouche des maîtres et des prédicateurs, qui sont les vieillards et les anciens, qu'une voix faible et peu articulée, parce qu'ils ont peu de dents pour faire bien entendre la distinction des sons et peu de force pour hausser la voix. Alors aussi l'on trouve fermées les portes dans les rues, car la porte de la vérité et de la saine doctrine est fermée dans les rues et dans les places publiques quand la charité de plusieurs se trouve refroidie dans l'Eglise et parmi les chrétiens.

« Et qu'on se lèvera au chant de l'oiseau »,ou «du passereau. » Nous pouvons appliquer à propos ces paroles quand nous voyons que de grands pécheurs font pénitence, et qu'ils se relèvent. du lit de leurs crimes et de leurs mauvaises habitudes, y étant exhortés par la voix des prêtres ou des évêques. Remarquez en passant que le mot« passereau » ne se prend jamais en mauvaise part dans l'Ecriture ; au moins, je ne me souviens pas d'avoir jamais lu de passage où ce terme n'eût un sens favorable et avantageux. Je prends pour exemples ces passages suivants du livre des Psaumes. Le juste, parlant dans le dixième psaume, dit ces premiers mots : «J'ai mis ma confiance au Seigneur: pourquoi donc me dites-vous : Gagnez comme un passereau les montagnes pour vous dérober à la poursuite de vos ennemis; » et ailleurs : « J'ai passé les nuits sans dormir, et je suis devenu semblable à un passereau qui se (207) tient seul sur un toit ; » et encore dans un autre psaume : « Le passereau trouve une demeure pour s'y loger. »

Ceux qui prennent ce verset dans un sens propre et littéral prétendent qu'il faut l'expliquer de la sorte. « Quand on fermera les portes de la rue, » c'est-à-dire: lorsque l'extrême vieillesse nous réduira à demeurer toujours assis et à ne point sortir de la maison.

Clausus in plateis januas, in fermes senis gressus accipi volunt; quod semper sedeat , et ambulare non possit. La voix basse de celle qui avait coutume de moudre marque les mâchoires d'un vieillard, parce qu'elles n'ont plus la fore d'amollir les viandes dans la bouche et d'en faire la première digestion. D'ailleurs la respiration est si faible et si pressée dans les gens vieux qu'à peine peut-on les entendre quand ils parlent. Ils ont aussi beaucoup de peine à dormir et le moindre bruit les éveille, ce qui est marqué par ces paroles : « On se lèvera au chant de l'oiseau; » car le corps étant desséché par l'âge, on a peine à dormir et on s'éveille non-seulement au chant du coq, mais au moindre bruit mène des plus petits oiseaux. Le sang étant devenu froid, et les autres matières qui servent comme d'aliment au sommeil étant desséchées, il est difficile que les vieilles gens puissent reposer et dormir longtemps : c'est pourquoi ils aiment mieux se lever dès qu'ils entendent chanter les coqs que de demeurer dans un lit sans dormir et n'y faire autre chose que de se retourner tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Nequaquam valens strato saepius membra convertere. Ce qui suit : «Lorsque les filles de l'harmonie se tairont » ou, comme il y a dans l’original hébreu : «deviendront sourdes, » signifie : les oreilles. L'ouïe est le sens qui s'affaiblit le plus dans les vieillards et qui devient plus posant dans ses fonctions : à cet âge on ne distingue presque point les divers sons, et la musique n'a plus de charmes pour un vieillard. Berzellaï, dans le livre des Bois, s'excusa auprès de David de le suivre au-delà du Jourdain et d'aller vivre à la cour de ce prince, parce qu'il se sentait accablé des incommodités de la vieillesse. » Berzellaï dit au roi : « Suis-je maintenant en âge d'aller avec le roi à Jérusalem? Ayant comme j'ai quatre-vingts ans, peut-il me rester quelque vigueur dans les sens pour discerner ce qui est doux d'avec ce qui est amer ? Puis-je trouver quelque plaisir à boire et à manger, ou à entendre la voix et les sons des instruments de musique?»

V. 8. «Ils auront même peur des lieux élevés, et ils craindront dans le chemin. » C'est-à-dire que la faiblesse de leurs jambes ne leur permettra pas de monter sur les lieux élevés, et qu'ils craindront de se lasser et de broncher en marchant dans les chemins les plus unis.

V. 9. « Et l'amandier fleurira, et la sauterelle s'engraissera, et les câpres se dissiperont, parce que l'homme s'en ira dans la maison de son éternité et qu'on marchera en pleurant autour des rues. » L'Ecclésiaste continue à parler encore métaphoriquement des membres du corps humain. Il dit donc que quand l'homme sera devenu fort vieux ses cheveux seront tout planes; que ses pieds chancelleront et seront tout tremblants; que le feu de la concupiscence n'aura plus en lui aucune force, et qu'enfin l'âme sera séparée tin corps par la violence de la mort ; que ce corps sera mis dans sa demeure éternelle, et qu'il retournera en terre d'où il avait été pris; que cela se fera après qu'on lui aura rendu les honneurs des funérailles, et qu'on aura vu une grande multitude de peuple marcher devant lui vers le lieu de sa sépulture.

Quelques-uns prétendent que l'amandier avec ses fleurs, que nous croyons signifier : les cheveux blancs, se doit entendre de l'épine sacrée du dos, parce que les chairs de derrière étant toutes desséchées dans les vieillards, cette épine parait élevée comme les fleurs qui sortent du bois des arbres.

Pour ce qui est de ces mots figurés : « la sauterelle s'engraissera,» ils souffrent diverses explications; car il ne faut pas ignorer que le mot hébreu qu'on a traduit par locusta, « sauterelle,» peut aussi signifier le « talon ; » ce qui vient de l'ambiguïté des mots hébreux, dont la signification dépend souvent de la variété des accents. Nous en voyons un bel exemple dans le premier chapitre de Jérémie, où le mot hébreu sored peut signifier : une noix, ou bien : les veilles de la nuit, selon la différence des accents qu'on donne à ce mot en le prononçant. Dieu donc, dit à Jérémie : «Que voyez-vous, Jérémie? » Le prophète répond : «Je vois une baguette de noyer. » Le Seigneur répliqua : « Vous avez, dit vrai, car je veillerai sur ma parole afin que telle ou telle chose ait son accomplissement. »

D'abord le mot soced signifie, selon son étymologie : un noyer; mais Dieu prend occasion de ce terme pour dire qu'il « veillera, » et qu'il punira le peuple juif comme il le mérite; parce que le même mot dont Jérémie s'était servi signifie non-seulement : noix, ou : noyer, mais aussi : veille, ou: veiller. Il en est de même du mot hébreu aagab, qui est ambigu dans sa signification, et qui en cet endroit marque : les jambes des vieillards, qui sont ordinairement enflées et accablées de gouttes, grosses et pesantes. Ce n'est pas qu'if n'y ait des personnes âgées qui ne ressentent pas ces incommodités, mais l'Écriture parle en général de la vieillesse et de ce qui arrive à plusieurs vieillards.

« Les câpres se dissiperont;» c'est-à-dire, selon notre traduction du mot hébreu abiona, qui est aussi ambigu comme les précédents, que les désirs de l'intempérance, figurés par cet arbrisseau, se dissiperont et se refroidiront dans un corps usé de vieillesse et qui n'a plus l'usage de ses membres ; car abiona chez les Hébreux signifie : amour, désir, concupiscence, ou : câpres et câprier. C'est pourquoi on a traduit tous ces termes ambigus dont nous avons parlé par: « amandier, sauterelle» et « câprier», quoique, les rapportant à d'autres sujets, ils puissent avoir un autre sens. Ici on les emploie figurément pour marquer la faiblesse des membres dans les corps des personnes les plus âgées. Et per figuram ad sensus qui seni conveniunt, derivantur.

Il faut enfin remarquer que le mot hébreu soced de ce verset est le même qui se lit dans le commencement de la prophétie de Jérémie, mais qu'on la traduit au commencement de Jérémie par : noyer, au lieu qu'ici les Septante l'ont tourné par : amandier. Symmaque nous a donné une version fort différente des autres, et je ne sais à quoi il pensait quand il a dit

« Outre cela l'on regardera même d'en haut, et il y aura des égarements dans le chemin : ceux qui veillent s'endormiront, et la force de l'esprit sera dissipée; car l'homme s'en ira dans la maison de son éternité, et l'on marchera en pleurant autour des rues. » Apollinaire de Laodicée a suivi cette interprétation, et cela est cause qu'il n'a pu être approuvé ni des Juifs ni des chrétiens; car en s'éloignant du texte hébreu il a déplu aux Juifs, et en témoignant du mépris pour la version des Septante il a perdu l'estime des Eglises de Jésus-Christ.

V. 10, 11 et 12. «Avant que la chaîne d'argent soit rompue, que la bandelette d'or se retire, que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne; que la poussière rentre en la terre d'où elle avait été tiré( et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné. Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, tout est vanité. » Il remonte à ce qu'il avait dit auparavant, et après une grande transposition qu'il a l'ait commencer à ce verset : « Souvenez-vous de votre Créateur pendant les jours de votre jeunesse, avant que le temps de l'affliction soit arrivé et avant que le soleil et la lune s'obscurcissent,» et le reste jusqu'à ces mots: « Lorsque les gardes de la maison commenceront à trembler,» il reprend le fil de son discours et; l'achève par les mêmes expressions: «Avant que la chaîne d'argent soit rompue, » et qu'il arrive telle et telle chose. Or «la chaîne d'argent. est la figure de la vie dont nous jouissons sur la terre, parce que c'est une chose précieuse et toute éclatante comme le pur argent. « La bandelette d'or» qui « se retire » marque l'action de notre âme qui se sépare du corps et qui s'en retourne à Dieu, d'où elle était descendue. Ce qui suit : « Avant que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne, » sont deux expressions figurées et des images de la mort; car comme, la cruche étant brisée sur la fontaine et la roue sur la citerne ou sur le puits, l'une et l'autre demeurent inutiles et ne peuvent plus tirer d'eau, ainsi, lorsque cette chaîne d'argent dont il a été parlé auparavant vient à se rompre, l'homme cesse d'être et de vivre sur la terre, par la séparation de l'âme d'avec le corps; ce qui devient encore plus clair par. ces paroles suivantes : « Avant que la poussière rentre en la terre d'où elle avait été tirée, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné. » Sur quoi nous devons remarquer les opinions ridicules de ceux qui s'imaginent que l'âme n'a point d'autre principe que le corps, et que ce n'est pas Dieu qui l'a créée, mais les parents qui l'engendrent; car puisqu'il est vrai, par le témoignage de l'Écriture, que la chair rentre en la terre d'où elle avait été tirée et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné, il résulte manifestement que Dieu est le père des âmes et des esprits, et non pas les hommes, qui sont les pères du corps.

Après la peinture qu'il a faite de la mort de tous les hommes en général, il reprend les premières paroles de son livre, et finit par où il avait commencé, en disant : « Vanité des vanités; tout est vanité. » En effet, rien n'est plus vain et plus inutile que de travailler tous les jours de sa vie pour des choses périssables et passagères, et de négliger les biens éternels, qui sont les seuls véritables et propres à faire pour jamais le bonheur et la félicité des hommes, qui ne peuvent pas ignorer que le jour de la mort est le terme de toutes choses, et le commencement des récompenses de l'homme juste ou des châtiments et des peines des impies. Magnae vanitatis est in hoc saeculo laborare, et nihil profutura conquirere.

V. 13 et 14. « L'Ecclésiaste donc, étant très sage, enseigna le peuple et leur fit connaître ce qu'il avait fait ; et dans ce dessein il composa plusieurs paraboles. Il rechercha des paroles utiles et il écrivit des discours pleins de droiture et de vérité. » Salomon parle encore à la fin de son discours de la profonde sagesse qui l'élevait au-dessus de tous les sages et de tous les savants. Il ne se contenta pas d'avoir été bien instruit dans toutes les pratiques de la loi de Moïse ni de savoir à fond l'histoire de sa nation. Il voulut encore aller plus loin, et s'affairer ( ?) (texte illisible) à la recherche d'une plus grande sagesse, et approfondir les matières et les questions les plus difficiles. C'est pour cela qu'il composa des proverbes et des paraboles, afin d'enseigner le peuple par des recueils de plusieurs belles sentences énigmatiques dont la superficie nous présente un sens simple et naturel, pendant que l'esprit caché sous la lettre nous en conserve un autre, comme une moelle divine, pour la nourriture de nos âmes. Aliud habentes in medulla, aliud in superficie pollicentes. C'est ce que nous persuadent les paraboles que nous trouvons dans les livres des Evangiles, où Jésus-Christ parlait si souvent en paraboles quand il annonçait au peuple le mystère du royaume de Dieu, et qu'il en réservait l'intelligence à ses disciples et à ses apôtres, qui le priaient, lorsqu'ils étaient seuls avec lui, de leur expliquer tout ce qu'il avait dit d'obscur en public. Par là il est clair que le livre des Proverbes ne contient pas des préceptes aisés et faciles à comprendre, comme on le croit d'ordinaire parmi les personnes simples; mais qu'il renferme des sens divins, mystérieux, et cachés comme la terre cache l'or dans son sein, et qu'il faut les tirer de dessous l'écorce de la lettre, comme on tire de la coque de la noix et de la châtaigne le fruit qui est bon à manger.

Après cela Salomon nous dit encore qu'il avait voulu connaître la cause et la nature de toutes les choses de ce inonde ; qu'il avait eu assez de présomption pour examiner la sagesse de la conduite de Dieu, et qu'il voulait savoir la raison de l'existence de chaque créature, pourquoi et comment elles avaient été créées. Il avait fait tous ses efforts pour connaître dès à présent ce que David n'espérait de voir qu'après sa mort, et lorsqu'il serait retourné au ciel après la résurrection , comme il s'en explique lui-même en disant : « Je verrai les cieux, qui sont les ouvrages de vos mains. » Enfin Salomon voulut connaître des vérités dont Dieu s'est réservé la connaissance, et qui ne sont pas à la portée des hommes mortels pendant que leurs âmes sont environnées des faiblesses d'un corps tout terrestre . Ut veritatem soli Deo cognitam, corporis vallata septo mens humana comprehenderet.

V.15. « Les paroles des sages sont comme des aiguillons et comme des clous enfoncés profondément, que le Pasteur unique nous a donnés par le conseil et la sagesse des maîtres. » L'Ecclésiaste, craignant qu'on ne l'accusât d'être un docteur téméraire qui s'ingérait de lui-même et affectait d'enseigner à son peuple la doctrine que Moïse avait reçue d'abord avec tant de. répugnance que Dieu témoigna en être mal satisfait, quoiqu'il la reçût ensuite avec une parfaite soumission aux mouvements du Saint-Esprit, dont il était inspiré, l'Ecclésiaste, dis-je, nous assure en cet endroit que ses paroles ne sont point différentes de celles des sages, puisqu'elles ont la même portée et les mêmes avantages. Elles sont comme des aiguillons dont la pointe se l'ait sentir pour corriger et redresser ceux qui s'égarent, et pour presser et faire avancer les personnes lentes et paresseuses qui ont besoin d'être excitées à faire leur devoir. Elles s'enfoncent si profondément dans le coeur de ceux qui les écoutent qu'on peut les comparer à des clous enfoncés et attachés fermement dans une matière épaisse et solide. Mais pour être telles, il ne suffit pas de les prêcher de sa propre autorité : il faut qu'elles soient autorisées par l'avis (210) et le consentement de tous les docteurs. Nec auctoritate unius, sed consilio atque consensu magistrorum omnium proferantur. Nais de peur qu'on ne méprisât la sagesse des particuliers, il avertit qu'elle a été donnée par le Pasteur unique, c'est-à-dire que bien qu'il y ait plusieurs maîtres qui enseignent la même doctrine, il n'y a toutefois que Dieu seul qui en soit l'auteur.

Ce passage est d'un grand poids pour combattre les hérétiques qui prétendent que le Dieu de l'ancienne loi est différent du Dieu du Nouveau-Testament, puisqu'il parait manifestement qu'il n'y a qu'un seul pasteur qui donne à tous les maîtres la sagesse et la prudence. Or il est clair que les prophètes ont été remplis de sagesse aussi bien que les apôtres, et qu'ils ont tous parlé par le même esprit.

Une autre remarque qu'on doit faire, c'est que les paroles des sages tic sont pas flatteuses; elles sont au contraire piquantes comme des pointes et des aiguillons, et elles font des blessures salutaires qui portent les pécheurs à quitter le vice et à faire pénitence. Elles ne flattent point les gens du monde qui sont engagés dans le péché ; elles ne les entretiennent point dans leurs dérèglements et dans la mollesse; au contraire elles leur inspirent le désir d'une sincère conversion, et leur causent la douleur d'une pénitence qui est selon Dieu et qui les blesse pour les guérir. Nec molli manu attrectare lasciviam ; sed errantibus et tardis, paenitentiae dolores et vulnus infigere. Si donc la parole d'un ministre de l'Eglise ne pique pas le coeur en cette manière, il ne mérite pas d'être mis au rang des sages. Ne parler que pour plaire et divertir les auditeurs n'est pas une chose digne de la parole de Dieu et des vérités qu'on annonce parmi les fidèles; car les paroles des vrais sages doivent avoir de la pointe comme des aiguillons, et s'enfoncer profondément dans le coeur pour le percer de la crainte des jugements de Dieu. C'est ainsi que Saul, avant que d'être nommé Paul, fut saintement percé lorsqu'il allait à Damas; du moins je crois que le sens des paroles suivantes semble nous le persuader : «ll vous est dur de regimber contre l'aiguillon. »

V. 16. « Ne recherchez rien de plus, mon fils, et tenez-vous sur vos gardes; car il n'y a point de fin à multiplier les livres, et la continuelle méditation d'esprit afflige le corps. » Ne faites rien qui ne soit réglé sur les paroles que le Pasteur unique nous a données, et que l'assemblée des sages a reçues et approuvées d'un consentement unanime. Ne dites jamais rien de vous-même ; suivez les traces de ceux qui vous ont précédé, et que vos sentiments soient toujours fondés sur les sentiments de ces divine maîtres. Si vous agissez autrement, vous trou venez une infinité de livres qui se présenteront comme d'eux-mêmes pour satisfaire votre curiosité, mais qui vous feront tomber dans l'erreur et qui vous feront perdre beaucoup de temps et travailler inutilement.

V. 17 et 18. «La fin de tout ce discours est très facile pour ceux qui veulent l'entendre. Craignez Dieu, observez ses commandements ; car c'est là le vrai bonheur de l’homme; et Dieu fera rendre compte lorsqu'il jugera de tout ce qui est caché et secret, soit du bien ou du mal qu'on aura fait. » Les Hébreux disent sur ces paroles que leurs ancêtres, ayant délibéré s'ils ne rejetteraient point ce livre du canon des Ecritures saintes, comme beaucoup d'autres ouvrages de Salomon qui n'existent plus et que l'antiquité ne nous a point conservés, le jugèrent digne d'être mis parmi les livres sacrés à cause de la conclusion qu'il a mise à la fin de tout son discours; car, comme. il semble d'abord que l'auteur de ce livre a parlé avec mépris des ouvrages du Créateur et qu'il a regardé toutes les créatures comme un pur néant, que d'as leurs il a préféré les plaisirs passagers des sen à tout le reste, les Hébreux, scandalisés de ce langage, l'auraient volontiers retranché du nombre des écritures canoniques, s'ils n'avaient vu dans les dernières paroles une espèce de récapitulation où il témoigne que son dessein et son intention, en composant tout cet ouvrage, a été d'inspirer aux hommes la crainte de Dieu et l'observation de ses commandements. En rapportant donc à cette fin ce que l'Ecclésiaste a dit dans tout son livre, il a eu raison de nous assurer que ses discours sont faciles à comprendre, et qu'il n'y a point de passage obscur qui ne devienne clair et fort aisé quand on se souvient que tous sans exception tendent à la même fin, c'est-à-dire à nous apprendre à craindre Dieu et à redouter ses jugements; que l'homme ne vient au monde pour vivre sur la terre qu'afin de connaître son créateur, et de l'honorer tous les jours de sa vie par la crainte de sa grandeur et de sa puissance et par le culte qu'il demande qu'on lui rende en gardant ses saintes lois et ses préceptes. Il ajoute que nous avons une nouvelle obligation de pratiquer les commandements de Dieu, parce qu'il viendra un temps où nous serons cités à son jugement pour y rendre compte de toutes nos actions bonnes et mauvaises, et pour y recevoir ce que nous aurons mérité; que la sentence du juge demeure longtemps incertaine ou suspendue, et que ce délai nous engage à travailler sérieusement pour nous la rendre favorable, afin de n'être pas enveloppés dans la condamnation des pécheurs et des impies.