1. D'excellentes lois, de sages préceptes, règlent la vie des personnes qui aiment la vertu et qui veulent se conformer à la sainte parole ;

on y voit la pensée du législateur tendre vers deux grands buts : il détourne des choses défendues ; il anime à la pratique du bien. Il est impossible, en effet, d'arriver à une vie sage et bien réglée, si l'on ne fuit le vice de tout son pouvoir, et si l'on ne recherche la vertu, comme l'enfant sa mère. Rassemblés aujourd'hui en ce lieu pour écouter les commandements divins, nous avons entendu le prophète immolant les enfants pervers de l'usure, les intérêts, et bannissant de la société humaine le prêt sous condition de salaire : accueillons son précepte avec docilité, afin que nous ne ressemblions pas à ces pierres où la semence tombée se sécha et demeura stérile, afin qu'on ne nous dise pas ce qui fut dit à Israël rebelle : "Vous entendrez et ne comprendrez pas ; vous verrez et ne discernerez pas."

2. Je vous conjure, vous qui m'écoutez, de ne pas m'accuser d'audace ou de sottise, si, quand un homme éminent et renommé pour sa sagesse, formé à tous les genres de l'éloquence, a traité avec gloire le même sujet et a laissé au monde un discours contre les usuriers, véritable trésor, je descends à mon tour dans la même arène, et fais paraître un char attelé de mules ou de bœufs à côté de coursiers ornés de couronnes : toujours de petites choses se montrent près des grandes ; la lune fait voir sa lumière à côté du soleil qui rayonne ; le puissant vaisseau s'avance, poussé par l'impétuosité des vents, et la frêle barque le suit, sillonnant comme lui l'abîme ; les athlètes luttent selon leurs lois, et les enfants se couvrent comme eux de poussière. C'est à ce titre que je réclame votre indulgence.

3. Pour toi, à qui ma voix s'adresse, qui que tu sois, déteste un vil trafic ; tu es humain, aime tes frères, et non pas l'argent : ne franchis pas cette limite du péché. Dis à ces intérêts qui te furent si chers la parole de Jean Baptiste : "Race de vipères, fuyez loin de moi ; vous êtes les fléaux de ceux qui possèdent et de ceux qui reçoivent ; vous donnez un instant de plaisir, mais ensuite votre venin met dans l'âme l'amertume et la mort ; vous barrez le chemin de la vie ; vous fermez les portes du royaume ; vous réjouissez un moment l'œil de votre vue, l'oreille de votre bruit, puis vous enfantez l'éternelle douleur." Dis ainsi, et renonce à l'usure et aux intérêts ; embrasse les pauvres de ton amour, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi. C'est la pauvreté qui le fait te supplier et s'asseoir à ta porte ; dans son indigence, il cherche un refuge auprès de ton or, pour trouver un auxiliaire contre le besoin ; et toi, au contraire, toi l'allié tu deviens l'ennemi ; tu ne l'aides pas à s'affranchir de la nécessité qui le presse, pour qu'il puisse te rendre ce que tu lui auras prêté, mais tu répands les maux sur celui qui en est déjà accablé, tu dépouilles celui qui est déjà nu, tu blesses celui qui est déjà blessé, tu ajoutes des soucis à ses soucis, des chagrins à ses chagrins : car celui qui prend de l'or à intérêt reçoit sous forme de bienfait des arrhes de pauvreté, et fait entrer la ruine dans sa maison. Quand le malade, dévoré par la chaleur de la fièvre, en proie à une soif ardente, ne peut s'empêcher de demander à boire, celui qui par humanité lui donne du vin le soulage un moment tandis que la coupe se vide, mais au bout de peu de temps, la fièvre, à cause de lui, redouble de violence ; de même celui qui tend à l'indigent un or gros de pauvreté ne met pas un terme au besoin, mais aggrave le malheur.

4. Ne vis pas de cette vie inhumaine qui prend les dehors de la charité, ne ressemble pas à ce médecin homicide, n'affecte pas de sauver avec ton or, comme lui avec son art, tandis que d'intention et de cœur tu perds celui qui s'est confié à toi. L'oisiveté et la cupidité, voilà la vie de l'usurier : Il ne connaît ni les travaux de l'agriculture, ni les soins du commerce ; il demeure toujours assis à la même place, engraissant son bétail à son foyer ; il veut que tout croisse pour lui sans semailles et sans labour, il a pour charrue une plume, pour champ un parchemin, pour semence de l'encre ; sa pluie, à lui, c'est le temps, qui grossit insensiblement sa récolte d'écus ; sa faucille, c'est la réclamation ; son aire, cette maison où il réduit en poudre la fortune des malheureux qu'il pressure. Ce qui est à tout autre il le regarde comme sien ; il souhaite aux humains des besoins et des maux, afin qu'ils soient forcés de venir à lui ; il hait quiconque sait se suffire, et voit des ennemis dans ceux qui n'empruntent pas. Il assiste à tous les procès, afin de découvrir un homme que pressent des créanciers, et suit les gens d'affaires comme les vautours suivent les armées ; il promène sa bourse de tous côtés, il présente l'appât à ceux qu'il voit suffoquer, afin que si la nécessité les force d'ouvrir la bouche, ils avalent en même temps 1'hameçon de l'intérêt. Chaque jour il calcule son gain, et jamais sa cupidité n'est assouvie ; il s'indigne contre l'or qui se trouve dans sa maison, parce qu'il est là oisif et stérile ; il imite l'agriculteur qui vient sans cesse demander de la semence à ses greniers ; il ne laisse pas de repos à ce malheureux or, mais il le fait passer sans relâche de main en main. Aussi voit-on souvent un homme extrêmement riche n'avoir pas même une pièce d'argent à la maison ; ses espérances sont sur des parchemins, tout son bien est en contrats, il n'a rien et il tient tout ; il prend la vie au rebours de la parole de l'apôtre, donnant tout à ceux qui lui demandent, non par sentiment d'humanité, mais par avarice. Il accepte une pauvreté temporaire, afin que son or, après avoir travaillé comme un esclave infatigable, lui revienne avec un salaire. Vois-tu comment, grâce à cet espoir dans l'avenir, la maison devient vide, et le riche se fait pauvre pour un temps ? Quelle en est la cause ? l'acte dressé sur parchemin, la reconnaissance d'un débiteur misérable. « Je te donnerai mon argent à condition qu'il produise. - Je te le rendrai avec intérêt. » Puis (le croirait-on ?) l'emprunteur, bien que sans ressources, est cru sur son contrat ; et Dieu, qui est riche et qui promet, n'est pas écouté ? Donne, et je te rendrai, s'écrie Dieu dans les Évangiles, dans ce contrat commun de toute la terre, écrit par quatre évangélistes au lieu d'un scribe, et qui a pour témoins, depuis les jours du salut, tous les chrétiens. Ta garantie est le paradis, gage précieux. Que si là même tu cherches des sûretés, l'univers entier appartient à ce débiteur de bonne volonté. Étudie avec attention les ressources de celui qui demande ton bienfait, et tu découvriras la richesse. La moindre mine d'or est à ce débiteur ; toutes les mines d'argent, de cuivre et d'autres métaux, sont une partie de son domaine. Lève les yeux vers le vaste ciel, contemple la mer sans bornes, cherche à connaître l'immensité de la terre, compte les animaux qu'elle nourrit ; voilà les biens, voilà les esclaves de celui que tu crois pauvre et que tu méprises ; sois sage, ô humain ; n'outrage pas ton Dieu, ne fais pas de lui moins d'estime que de ces banquiers dont tu acceptes sans hésiter la caution ; donne à un garant qui ne meurt pas ; fie-toi à un contrat qui ne se voit pas, qui ne se déchire pas ; ne réclame pas d'intérêts, ne trafique pas de ton bienfait, et tu verras Dieu te rendre grâce et ajouter à sa dette.

5. Que si ces paroles semblent étranges à ton oreille, j'ai un témoignage tout prêt pour te prouver que Dieu paye an centuple les personnes pieuses qui consacrent leur or à des bienfaits. Quand Pierre prit la parole et dit : « tu vois que nous avons tout quitté et que nous t'avons suivi, quelle sera donc notre récompense ? » « Je vous le dis en vérité, répondit Jésus, quiconque aura quitté, sa maison, ou ses frères ou ses sœurs, ou son père ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle. » Vois-tu quelle générosité ? Comprends-tu quelle bonté ? L'usurier le plus éhonté prend mille peines pour doubler son argent ; et Dieu, de son plein gré, donne le centuple à quiconque ne pressure pas son frère. Écoute le conseil de ce Dieu, et tu recevras des intérêts assurés. Pourquoi, outre que tu te rends coupable, te consumes-tu en soucis ? Calculant les jours, comptant les mois, songeant au capital, rêvant des intérêts, craignant le jour de l'échéance, de peur qu'il ne soit stérile comme une moisson frappée de la grêle, l'usurier épie les affaires de son débiteur, ses voyages, ses mouvements, ses pas, son commerce ; si une rumeur sinistre se répand, que tel ou tel est tombé dans les mains de voleurs ou qu'un coup soudain a changé son aisance en pauvreté, le voilà assis joignant les mains, il ne cesse de gémir, il verse des ruisseaux de larmes ; il déroule le parchemin, il pleure son or sur les caractères, et tirant le contrat de son armoire, comme la robe d'un fils qui n'est plus, il sent à cette vue s'éveiller en lui une douleur plus cuisante. S'il a prêté à la grosse, il demeure assis près du rivage, il s'inquiète des vents qui changent, il interroge sans relâche tous ceux qui abordent : leur a-t-on parlé d'un naufrage ? ont-ils couru des risques dans la traversée ? Et ces soucis de tous les jours laissent son âme assombrie. C'est à lui qu'il faut dire : « Renonce, ô homme, à cette inquiétude dangereuse, quitte cet espoir qui te mine, ne perds pas ton capital en courant après les intérêts ; tu demandes au pauvre des revenus et de nouvelles richesses, et tu ressembles à un homme qui voudrait obtenir des monceaux de blé d'un champ aride, brûlé par la sécheresse, ou de riches grappes d'une vigne sur laquelle a passé un nuage chargé de grêle, ou des enfants d'un ventre stérile, ou un lait nourrissant de femmes qui n'ont pas enfanté. Nul ne tente ce qui est contre nature, ce qui est impossible ; car, outre la vanité des efforts, on prête encore à rire. Dieu seul est tout-puissant ; lui qui trouve la voie de ce qui semblait impossible et qui exécute ce qu'on n'osait ni espérer ni attendre, tantôt ordonnant à la source de couler du rocher, tantôt faisant tomber du ciel un pain nouveau et miraculeux, tantôt adoucissant l'amère Mara par le contact d'une baguette, fécondant le sein stérile d'Élisabeth, donnant à Anne Samuel et à Marie le premier enfant né d'une vierge. Voilà les œuvres uniques de la main toute-puissante.

6. Ne demande pas un produit au cuivre et à l'or, matières stériles ; ne force pas la pauvreté à faire œuvre de richesse, ni celui qui te demande un capital à rendre des intérêts. Ne sais-tu donc pas que la demande d'un prêt n'est qu'une demande d'aumône déguisée ? Aussi le livre de la loi, qui nous conduit dans les voies de la piété, ne se lasse pas d'interdire l'usure : Si tu prêtes de l'argent à ton frère, tu ne le presseras pas. Et la grâce, cette source inépuisable de charité, commande la remise des dettes ; ici elle dit avec bonté : "Ne prêtez pas à ceux de qui vous espérez recevoir" ; ailleurs, dans la parabole, elle châtie amèrement le serviteur impitoyable qui ne se laisse pas fléchir par les supplications de son compagnon et ne lui remet pas une faible dette de cent deniers, lui qui avait obtenu la remise de dix mille talents. Notre Sauveur, celui qui nous enseigne l'amour, offrant à ses disciples une règle et un modèle de courte prière, y a fait entrer les paroles qui suivent, comme les plus nécessaires et les plus efficaces pour fléchir Dieu : « Et remettez-nous nos dettes comme nous 1es remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent. » Comment donc prieras-tu, toi, l'usurier ? De quel front demanderas-tu une grâce à Dieu, toi qui reçois toujours et ne sais pas donner ? Ignores-tu que ta prière ne fait que rappeler ton inhumanité ? Qu'as-tu pardonné pour venir demander le pardon ? Quand as-tu fait miséricorde, toi qui invoques le Dieu miséricordieux ? Si tu donnes une aumône, n'est-elle pas le fruit de tes rapines cruelles, n'est-elle pas grosse des malheurs, des larmes, des soupirs d'autrui ? Si le pauvre savait l'origine de cette aumône que tu lui offres, il ne l'accepterait pas ; il lui semblerait qu'il va goûter à la chair de ses frères et au sang de ses proches ; mais il te tiendrait ce langage plein d'une noble liberté : « 0 homme, ne me nourris pas des larmes de mes frères ; ne donne pas au pauvre ce pain, fruit des gémissements de ses compagnons de misère ; remets à ton semblable ce que tu as injustement exigé de lui, et je te rendrai grâce. Que sert-il que tu consoles un malheureux, si tu en fais mille ? S'il n'y avait pas un tel nombre d'usuriers, il n'y aurait pas un tel nombre de pauvres. Dissous ta confrérie, et nous pourrons tous nous suffire. Partout on accuse les usuriers, et rien ne peut guérir cette plaie, ni la loi, ni les prophètes, ni les évangélistes : « Écoutez ceci, dit Amos, vous qui réduisez en poudre les pauvres et qui faites périr ceux qui sont dans l'indigence, vous qui dites : Quand seront passés ces mois où tout est à bon marché, afin que nous vendions nos marchandises ? » En effet, les pères sont moins heureux de voir des enfants leur naître que les usuriers ne sont joyeux de voir les mois se remplir.

7. Ils donnent à leur péché des noms respectables, et appellent leur trafic humanité, semblables aux Grecs qui nommaient Euménides, d'un nom peu mérité, certaines divinités inhumaines et sanguinaires. Lui, humain ? Mais n'est-ce pas le paiement des intérêts qui renverse les maisons et épuise les fortunes ? qui réduit des hommes libres à vivre plus mal que des esclaves ? qui pour un plaisir de quelques instants remplit d'amertume le reste de la vie ? Les oiseaux se réjouissent des embûches du chasseur ; les grains qu'il répand pour eux leur font aimer et fréquenter des lieux où ils trouvent une abondante nourriture ; mais bientôt ils sont pris et périssent dans les pièges : de même celui qui reçoit de l'argent à intérêt se trouve quelque temps dans l'aisance, mais se voit ensuite banni du foyer paternel. La pitié n'habite pas dans ces âmes criminelles et cupides ; ils voient la maison même de leur débiteur mise en vente, et ne sont pas attendris, mais ils pressent sans relâche le marché, afin de recouvrer plus promptement leur or et d'enchaîner dans leurs liens un autre malheureux : tels ces chasseurs actifs et insatiables qui entourent de leurs filets une vallée tout entière, et, après avoir pris tout le gibier, transportent leurs toiles dans un autre vallon, puis dans un autre encore, jusqu'à ce qu'ils aient dépeuplé les montagnes. De quels yeux un pareil homme peut-il regarder le ciel ? Comment ose-t-il demander le pardon de ses fautes ? Ou n'est-ce pas par sottise qu'il ajoute à sa prière ces mots que nous a enseignés le Sauveur : « Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent » ? Oh ! combien de malheureux, à cause de l'usure, ont brisé leur cou dans un lacet ! Combien se sont précipités dans le courant des fleuves, ont trouvé la mort plus douce que leur créancier, et ont laissé des enfants orphelins sous la tutelle d'une mauvaise marâtre, la pauvreté ! Mais alors même ces honnêtes usuriers n'épargnent pas la maison déserte ; ils tourmentent des héritiers qui n'ont peut-être recueilli que la corde funeste, ils réclament de l'or à ceux qui ne trouvent que le pain de l'aumône et quand on leur reproche (quoi de plus juste ?) la mort du débiteur, quand pour les faire rougir on leur rappelle le lacet fatal, ils n'ont même pas honte de ce qu'ils ont fait, leur âme n'en est pas émue, mais un sentiment cruel leur dicte d'impudentes paroles : « C'est la faute de nos mœurs, si ce malheureux, cet insensé, né sous une mauvaise étoile, a été conduit par sa destinée à une mort violente. ­» Car nos usuriers sont philosophes, et ils se font les disciples des astrologues d'Égypte, quand il leur faut justifier leurs actions abominables et leurs meurtres.

8. Il faut répondre à 1'usurier : « c'est toi qui es la naissance fatale, la funeste influence des astres. Si tu avais adouci sa peine, si tu lui avais remis une part de sa dette, si tu avais réclamé l'autre sans rigueur, il n'aurait pas détesté cette vie de tourments, il ne serait pas devenu son propre bourreau. De quel œil, au jour de la résurrection, verras-tu celui que tu as fait périr ? Car vous viendrez tous les deux au tribunal du Christ, où l'on ne compte pas les intérêts, mais où l'on juge les vies. Que répondras-tu aux accusations du juge incorruptible, lorsqu'il te dira : « Tu avais la loi, les prophètes, les commandements de l'Évangile ; tu les entendais tous d'une seule voix, t'ordonner la charité, l'humanité ; les uns te disaient : Tu ne prêteras pas à usure à ton frère ; les autres : il n'a pas placé son argent à intérêt ; d'autres encore : si tu prêtes à ton frère, tu ne le presseras pas ; saint Matthieu te criait dans la parabole où il rapporte la parole du maître : « Méchant serviteur, je t'avais remis tout ce que tu me devais, parce que tu m'en avais prié ; ne fallait-il donc pas que tu eusses pitié de ton compagnon, comme j'avais eu pitié de toi ? » Et le maître, ému de colère, livra son serviteur entre les mains des bourreaux jusqu'à ce qu'il payât tout ce qu'il lui devait. Alors un repentir inutile se saisira de toi, alors viendront les profonds gémissements et le châtiment inévitable. Ni l'or ne courra à ton aide, ni l'argent ne te portera secours ; mais ce trafic d'intérêts sera pour toi plus amer que le fiel. Ce ne sont pas là des paroles pour t'effrayer, mais des faits véritables, qui attestent le jugement avant même que tu l'aies subi, et dont tout humain sage et prévoyant doit se garantir. »

9. Mais, en attendant les arrêts de Dieu, je veux, dans l'intérêt de ceux qui m'entendent, raconter ce qui s'est passé de notre temps dans la maison d'un usurier ; écoutez ce récit dont la plupart d'entre vous reconnaîtront sans doute la vérité. Il y avait dans cette ville un homme dont je tairai le nom pour ne pas mettre en scène celui qui n'est plus ; son industrie était l'usure, et ce misérable trafic des intérêts ; possédé de la soif de l'or, il dépensait pour lui-même avec parcimonie (car c'est ainsi que sont les avares), prenant une nourriture insuffisante, ne changeant ses vêtements ni pour leur vétusté ni selon ses besoins, ne fournissant pas à ses enfants le nécessaire même, ne prenant pas de bains, tant il craignait d'avoir à payer trois oboles, et s'ingéniant de mille manières pour augmenter la somme de ses écus. Il ne trouvait pas de gardien assez fidèle de sa bourse, ni enfant, ni esclave, ni banquier, ni sceau, ni clé ; mais il pratiquait des trous dans les murailles pour y enfouir son or, et les recouvrant de plâtre, il gardait son trésor ignoré de tous, changeant sans cesse de cachettes et de murs, et parvenant à force d'adresse à tromper tous les regards. Il quitta soudainement cette vie, sans avoir révélé à aucun de ses proches le lieu où son or était enfoui. On l'enterra, lui qui avait si bien réussi à cacher son trésor ; ses enfants, qui comptaient tenir le premier rang dans la ville, grâce à leur richesse, cherchèrent de tous côtés, s'interrogèrent les uns les autres, questionnèrent les domestiques, bouleversèrent les maisons, creusèrent les murs, visitèrent les demeures de leurs voisins et de leurs connaissances ; bref, après avoir, comme dit le proverbe, remué toute pierre, ils ne trouvèrent pas une obole. Ils vivent aujourd'hui sans maison, sans foyer, pauvres, et maudissant chaque jour la sottise de leur père. Voilà ce que fut, usuriers, votre ami, votre compagnon ; il termina sa vie d'une manière digne de son caractère, et après s'être épuisé de soucis et de faim, Il amassa comme héritage un châtiment éternel pour lui-même et la pauvreté pour ses enfants. Vous ne savez pas pour qui vous entassez, pour qui vous prenez tant de peines. Mille accidents, mille calomnies vous menacent ; les voleurs, les pirates infestent la terre et la mer ; craignez que, sans conserver votre or, vous n'augmentiez le nombre de vos péchés. « Ah! disent-ils cet homme nous est insupportable (car je sais ce que vous murmurez entre vos dents, moi qui vous fais comparaître sans cesse devant cette chaire) ; il en veut à ceux qui sont dans le besoin et attendent le bienfait. Allons, nous ne prêterons plus ; et comment ces malheureux pourront-ils vivre ? » Langage digne de la conduite, réponse bien faite pour ces hommes que les ténèbres de l'argent aveuglent ; ils n'ont pas même l'intelligence assez forte pour comprendre ce qu'on leur dit. Ils entendent à rebours les conseils qu'on leur donne : tandis que je leur parle, ils menacent de ne plus prêter à ceux qui sont dans le besoin, et murmurant tout bas ils menacent de fermer leur porte aux malheureux. Avant tout, je proclame à haute voix qu'il faut donner, mais j'engage aussi à prêter ; car le prêt est une seconde forme de don ; mais il faut prêter sans intérêt ni usure, comme le commande la parole divine. Le même châtiment est réservé à celui qui ne prête pas et à celui qui prête avec intérêt ; 1'un est convaincu d'inhumanité, l'autre de trafic déloyal, mais ces hommes vont d'un extrême à l'autre, lorsqu'ils déclarent qu'ils ne donneront plus d'aucune façon. C'est là une opposition impudente, une folle résistance à la justice, une lutte et une guerre contre Dieu. Ou nous ne donnerons pas, disent-ils, ou nous ferons marché d'intérêts.

10. J'ai assez combattu les usuriers dans ce discours, et j'ai suffisamment prouvé, comme devant un tribunal, les chefs de l'accusation ; puisse Dieu leur donner le repentir de leurs fautes. Quant à ceux qui empruntent avec tant de facilité, et qui se laissent prendre étourdiment aux hameçons de l'usure, je ne leur dirai rien ; il leur suffit des conseils que notre vénéré père, saint Basile, a si éloquemment exposés dans cet écrit où il s'adresse plus encore à l'emprunteur téméraire qu'à 1'usurier cupide.